La responsabilité civile de l’employeur est engagée en cas d’accident du travail d’un de ses salariés : il s’agit d’une garantie automatique, même si l’indemnisation est forfaitaire, puisque c’est le régime de sécurité sociale qui prend en charge le risque profesisonnel. Au-delà des cotisations « ATMP » (accident du travail et maladie professionnelle), due par la seule entreprise, lesquelles peuvent être augmentées lorsqu’un tel risque survient, l’employeur peut être contraint d’assumer l’indemnisation des préjudices complémentaires en cas de faute inexcusable.

C’est la raison pour laquelle il lui est conseillé de contracter une assurance spécifique, destinée à couvrir ce risque ATMP. Or l’entreprise employeur n’est pas la seule à assumer une responsabilité en cas d’accident du travail. La règlementation sociale vise en outre notamment d’autres entreprises, dont l’activité peut avoir un impact sur la sécurité du personnel salarié présent sur un chantier.

Ainsi en est-il par exemple des fournisseurs de matériaux ou matériels, des distributeurs de nourriture et boisson, des constructeurs et aménageurs de locaux professionnels, etc. L’arrêt ici éclairé vise une entreprise intervenant avec d’autres sur un chantier du Bâtiment, et ce sur le fondement de l’article L. 4532-7 du Code du travail.

Cette dernière, parmi les autres titulaires de lots de construction immobilière, assumait en outre la mission « Sécurité / protection », selon les clauses particulères du marché (CCTP). Un salarié d’une autre entreprise présente sur le chantier, ayant subi un accident du travail, elle a été condamnée pénalement en raison d’un manquement à une règle de sécurité.

Bien entendu l’employeur subit les conséquences de cet accident du travail, et peut-être de sa faute inexcusable. Mais tous les responsables pénaux de l’accident sont susceptibles pareillement d’engager leur responsabilité civile, et notamment l’entreprise responsable « Sécurité / protection ».

Or cette responsabilité ne ressort pas de sa qualité d’employeur : une assurance ATMP est donc ici insusceptible d’intervenir. En revanche l’assurance profesionnelle de l’entreprise couvre-t-elle ce risque, de même qu’elle la garantit concernant les dommages causés au mâitre d’ouvrage (client) ou aux tiers ?

En l’espèce l’assureur déniait sa garantie, au motif que la mission « Sécurité / protection » est distincte de l’activité technique de l’entreprise assurée, et que seule cette activité est précisément couverte. La Cour de cassation ne retient pas cette interprétation restrictive : une telle mission « Sécurité / protection » étant susceptible d’être assumée par toute entreprise du Bâtiment, elle est l’accessoire obligé de son activité technique.

L’assurance professionnelle est donc présumée couvrir le risque ATMP subi par le salarié d’une entreprise tiers, notamment lors de l’intervention de plusieurs titulaires de lots sur le même chantier. Le fait que l’assuré assume ou pas une mission « Sécurité / protection » est indifférent à cette garantie.

Cour de cassation, chambre criminelle, 23 mai 2018 (pourvoi n° 15-80.549, publié au bulletin)

(…)

« en ce que l’arrêt attaqué a reçu l’exception de non-garantie de la société Gan Assurances ;

« aux motifs que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait que forme la base commune de l’action civile et pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui elle est imputée » ; qu’ « elle s’étend par ailleurs, au motif qui constitue le soutien nécessaire de la décision pénale » ; que « en l’espèce, pour rejeter le pourvoi formé par la société Romuald contre l’arrêt précité de la cour d’appel de Caen, la cour de cassation a reconnu que l’arrêt, après avoir rappelé que, selon l’article L. 235-4 devenu L. 4532-7 du code du travail, pour les opérations soumises à l’obtention d’un permis de construire et entreprises par un particulier pour son usage personnel ou celui de sa famille, la coordination est assurée, pendant la phase de réalisation de l’ouvrage, par la personne qui assure effectivement la maitrise du chantier, retient que le cahier des charges des clauses techniques particulières applicable à l’opération prévoit que le maître d’ouvrage désigne le lot maçonnerie pour la mission sécurité protection de la santé et que l’entrepreneur chargé de ce lot assurera jusqu’à réception finale du projet la mission de coordonnateur » ; que les juges ajoutent que la société Romuald, en acceptant le lot maçonnerie, a endossé la fonction de coordonnateur, le cahier des clauses techniques particulières s’intégrant à son contrat, et que son dirigeant a indiqué lors de l’enquête que, pendant le déroulement du chantier, elle était chargée de la sécurité ; qu’ils ajoutent que l’intervention fréquente de l’architecte, autorisé par le cahier des clauses administratives particulières à donner des directives de sécurité aux entreprises, n’a pas relevé la société Romuald de sa mission ; qu’ils déduisent de leurs constatations que la prévenue, qui n’a pas vérifié la présence constante de la protection de la trémie de l’escalier, cause de l’accident, est responsable de l’infraction et de ses conséquences dommageables ; que « la société Romuald fait valoir que l’obligation sanctionnée est également relative à une obligation particulière qui lui incombait relativement à son lot « gros oeuvre » en ce qu’il est indiqué au n° 1.04 (page 8 du CCPI ainsi libellé : « les protections des trémies, baies,
etc, seront mises en place par l’entreprise de maçonnerie dès le début de leur réalisation, l’entreprise de maçonnerie en sera responsable jusqu’à l’intervention du plaquiste. Localisation aux endroits nécessaires
» ; que « toutefois, force est de relever que, selon les énonciations de l’arrêt de la cour d’appel, p. 4, l’origine de l’accident n’est pas à rechercher dans une absence de protection de la trémie ab initio, ce qui relèverait en effet à la fois de la responsabilité du lot maçonnerie et du coordonnateur de sécurité, mais de l’enlèvement de la protection, quelques jours avant l’accident, pour permettre le passage de différents matériels, et non remise en place, quand bien même disposerait-il d’un recours contre le tiers à l’origine de ce défaut » ; que « c’est donc bien pour des fautes commises au titre de la mission de sécurité protection santé du chantier, activité autonome et spécifique, que la société Romuald a été déclarée coupable de l’infraction de blessures par involontaires et il importe peu qu’elle n’ait pas facturé cette intervention ; que « au terme des conditions particulières que la société a souscrites, elle bénéficie outre de la garantie responsabilité civile décennale, d’une garantie « responsabilité civile en cours d’exploitation ou d’exécution des travaux », mais elle n’a déclaré que les métiers suivants : maçon, carreleur, plâtrier avec la mention au titre autre métier ou spécialité : « néant » ; que dès lors c’est à bon droit que le tribunal a prononcé la mise hors de cause de la société Gan, faute pour la société Romuald d’avoir déclaré l’activité de coordonnateur de sécurité ; que « les premiers juges ont rappelé à bon droit qu’il n’appartient pas au juge correctionnel de statuer sur l’application éventuelle de la règle de la réduction proportionnelle du taux de prime s’agissant d’une exception qui n’est pas de nature à exonérer totalement l’assureur de garantie au sens des dispositions de l’article 385-1 du code de procédure pénale ; que « la société Romuald doit être déclarée irrecevable en cette demande en tant qu’elle est présentée devant la juridiction correctionnelle » ;

« 1°) alors que, dans l’assurance responsabilité civile de l’exploitant, le risque assuré est déterminé en fonction de l’activité professionnelle déclarée par l’assuré et comprend toutes les fonctions qu’une telle activité peut impliquer, sauf exclusion expresse de la garantie ; que, par ailleurs, il résulte de l’article L. 235-4 devenu L. 4532-7 du code du travail, qu’en matière de construction de maison par un particulier, le coordonnateur de sécurité est l’entrepreneur qui exerce effectivement la maîtrise du chantier ; qu’il en résulte que, dans ce cadre, la coordination de sécurité est une fonction attribuée à l’un des entrepreneurs intervenant sur le chantier et non une activité distincte de l’un de ceux-ci ; qu’en considérant que la société Romuald n’avait pas déclaré l’activité de coordonnateur de sécurité, alors que n’était en cause qu’une fonction accessoire à l’exercice de l’activité professionnelle de la société, qui plus est obligatoire, qu’elle n’avait ainsi pas à déclarer, la cour d’appel a méconnu l’article L. 235-4 devenu L. 4532-7 du code du travail ;

« 2°) alors que, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi entre les parties ; que la cour d’appel a décidé de la mise hors de cause de l’assureur aux motifs que la société Romuald n’avait pas déclaré l’activité de coordonnateur de sécurité qui lui avait été attribuée ; que la fonction de coordonnateur de sécurité n’est pas un métier, ni même une spécialité des entrepreneurs intervenant sur la construction d’une maison par un particulier, en vertu de l’article L. 235-4, devenu L. 4532-7 du code du travail ; qu’en déduisant l’absence de couverture du risque en cause, du fait que la société n’a déclaré que les métiers suivants : maçon, carreleur, plâtrier avec la mention au titre autre métier ou spécialité : « néant », la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

« 3°) alors que, selon l’article L. 113-2, 2°, du code des assurances l’assuré est obligé de répondre exactement aux questions précises posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l’interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu’il prend en charge ; que l’assuré ne saurait se voir opposer des questions auxquelles il n’a pas été appelé à répondre ; que la cour d’appel qui n’a pas recherché si, comme le soutenait l’assurée, l’absence de déclaration de la fonction de coordonnateur de sécurité, accessoire à son activité professionnelle n’était pas exclusive de mauvaise foi, dès lors qu’aucune question ne lui avait été posée sur son éventuelle désignation en qualité de coordonnateur de sécurité du fait de son activité professionnelle lors de la souscription de son contrat d’assurance, directement ou par l’intermédiaire de son agent d’assurance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

« 4°) alors qu’enfin et qu’à tout le moins, dans le cas où la constatation d’une aggravation du risque assuré n’a lieu qu’après un sinistre, la garantie de l’assureur est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés, en vertu de l’article LU3-9 alinéa 3 du code des assurances ; que dans ses conclusions, la prévenu soutenait qu’à tout le moins, étant de bonne foi quant au défaut éventuel de déclaration de l’aggravation du risque résultant de la fonction de coordonnateur de sécurité, la garantie restait due, même si elle pouvait être limitée proportionnellement aux garanties ; que, faute d’avoir répondu à ce chef péremptoire de ses conclusions, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » ;

Vu l’article L.235-4 ancien du code du travail, devenu l’article L. 4532-7 dudit code ;

Attendu que l’assuré qui a déclaré exercer son activité professionnelle dans un secteur qui l’expose à être légalement obligé, dans les conditions prévues à l’article L. 235-4, devenu L. 4532-7, alinéa 2, 1° du code du travail, d’exercer une mission de coordonnateur en matière de sécurité et de santé des travailleurs lorsque, pendant la phase de réalisation de l’ouvrage, il assure effectivement la maîtrise d’un chantier de construction de maison individuelle soumis à l’obtention d’un permis de construire, bénéficie pour cette mission de la garantie souscrite pour l’activité déclarée dans laquelle elle est nécessairement incluse ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 26 juin 2006, M. Y…, charpentier, salarié de la société Mahaux, travaillant sur le chantier de construction d’une maison individuelle, où plusieurs entreprises indépendantes intervenaient, dont la société Romuald, chargée du lot maçonnerie, a été blessé en tombant d’un escalier par une trémie alors qu’il effectuait des travaux de finition sur la charpente ; que, selon le constat de l’inspection du travail et l’enquête effectuée, cette chute était due à l’insuffisance de l’équipement d’un garde-corps ; qu’un précédent arrêt de la cour d’appel de Caen, en date du 23 juin 2010, devenu définitif par suite du rejet du pourvoi formé à son encontre, (Crim., 27 avril 2011, n° 10-85.544), a déclaré la société Romuald pénalement responsable de blessures involontaires en raison de manquements constatés dans sa mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé, prévue à l’article L. 235-4 du code du travail, applicable à l’époque des faits et mentionnée au cahier des clauses techniques particulières, le maître de l’ouvrage ayant désigné l’entrepreneur de maçonnerie, la société Romuald, pour assurer la mission de coordonnateur de sécurité jusqu’à la réception finale du projet de construction ; que, statuant sur les intérêts civils, la société Romuald ayant appelé en garantie la société Gan Assurances, le tribunal correctionnel a accueilli l’exception de non-garantie de cette dernière et l’a mise hors de cause ; qu’ayant été condamnée au paiement de diverses sommes à la victime, l’entreprise Romuald a fait appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement en ce qu’il a mis hors de cause la société Gan Assurances, l’arrêt énonce que les fautes imputables à la société Romuald ont été commises au titre de sa mission de sécurité et de protection de la santé sur le chantier, activité autonome et spécifique, et qu’aux termes des conditions particulières souscrites auprès de la compagnie d’assurances, à part la garantie décennale et la responsabilité civile en cours d’exploitation ou d’exécution de travaux, ladite société n’a déclaré que les métiers de maçon, carreleur, plâtrier, la rubrique relative aux autres métiers ou spécialités portant la mention « néant » ; que les juges en déduisent que c’est à bon droit que le tribunal a prononcé la mise hors de cause de la société Gan, faute pour l’entreprise Romuald d’avoir déclaré l’activité de coordonnateur de sécurité ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la société Romuald avait déclaré à l’assureur son activité professionnelle dans un secteur l’exposant à être légalement obligée d’exercer une mission de coordonnateur en matière de sécurité et de santé des travailleurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;
(…)

CASSE et ANNULE (…)