On se souvient des scandales médiatiques provoqués par la vague de suicides survenue au sein des effectifs du « Technocentre » de la société Renault France, ou de la société France Telecom. A cette occasion l’on découvrait ce que la Cour de cassation allait bientôt caractériser comme un harcèlement managerial : des méthodes de gestion des ressources humaines conduisant à la multiplication de pressions psychologiques sur les salariés, dégradant leurs conditions de travail au point d’altérer gravement leur santé physique ou psychique.

Le volet pénal de ces affaires commence à être mis à jour, l’enquête et son secret parvenant à leur terme. A cette occasion la Cour de cassation est amenée à préciser ces notions contextuellement innovantes.

Ainsi le délit de complicité de harcèlement moral peut-il être constitué dès lors qu’un salarié participe en toute connaissance de cause à la mise en oeuvre d’une méthode de management toxique. Le fait qu’il soit cadre de direction ou pas, ou encore qu’il exerce ou pas une autorité hiérarchique sur la victime du harcèlement, importent peu.

Dès lors il est pareillement logique de retenir la qualification pénale, même si les effets néfastes de ces méthodes se font sentir postérieurement à leur mise en oeuvre, alors que le salarié mis en cause n’est plus sous contrat de travail. Cette solution développée par la Chambre criminelle est certainement adaptée aux structures importantes et complexes, lesquelles contrairement aux TPE et PME ne sont pas managées par un dirigeant incarné.

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 juin 2018 (pourvoi n° 17-87.524, inédit)
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Sur le moyen unique de cassation proposé pour Mme X…, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-6, 121-7, 222-33-2 du code pénal, préliminaire, 80-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que la chambre de l’instruction a rejeté le moyen tiré de la nullité de la mise en examen de Mme X… du chef de complicité de harcèlement moral au préjudice de salariés ne relevant pas de son autorité hiérarchique et de salariés dont la situation s’est dégradée après qu’elle a quitté la direction des actions territoriales de France télécom en mars 2008 ;
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Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite d’une plainte déposée au mois de décembre 2009 par la fédération syndicale Sud des activités postales et télécommunications, contre la société France Télécom et ses dirigeants, pour dénoncer la mise en place, dans le cadre des plans NEXT (« Nouvelle Expérience des Télécoms ») et ACT (« Anticipation et Compétences pour la Transformation »), suivant annonce faite au cours de la convention du 20 octobre 2006 de l’Association des cadres supérieurs et dirigeants de France Télécom (ACSED), d’une nouvelle politique de gestion des ressources humaines ayant eu pour objet le départ de 22 000 salariés ou agents et pour effets, selon la plaignante, de déstabiliser le personnel, de créer un climat anxiogène et de provoquer plusieurs suicides et arrêts de travail, une enquête préliminaire a été diligentée, au terme de laquelle une information judiciaire a été ouverte le 8 avril 2010 du chef, notamment, de harcèlement moral ; qu’après que la société France Télécom et trois de ses dirigeants (M. Didier DD…, président-directeur général, M. Olivier AA…, directeur des relations humaines, et M. JJ… BB…, directeur exécutif délégué) eurent été mis en examen de ce chef au mois de juillet 2012, quatre autres cadres ont été entendus en qualité de témoins au cours des mois de novembre 2013 et septembre 2014, puis mis en examen du chef de complicité de harcèlement moral au mois de décembre 2014 ; que deux d’entre eux, Mme X… et M. Z…, ont présenté une requête aux fins d’annulation de leur mise en examen, motif pris de ce que l’acte vise, comme victimes, certains salariés ne relevant alors pas ou plus de leur autorité hiérarchique ;

Attendu que, pour dire n’y avoir lieu à annulation d’une pièce quelconque de la procédure, après avoir écarté l’argumentation des requérants, prise de ce qu’étant mis en examen en qualité de directeurs d’un service, ils ne peuvent se voir reprocher une complicité de harcèlement qu’à l’égard des salariés relevant, à l’époque du dommage invoqué, de ce service, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent l’existence d’indices graves ou concordants à l’encontre de Mme X… et de M. Z… d’avoir, en leur qualité de cadres de la société France télécom, indépendamment du rôle spécifique de direction d’un service qu’ils exerçaient, par aide et assistance, en l’occurrence par leur contribution active à l’efficacité, pour l’ensemble du groupe, du plan ACT, qui a créé un climat d’insécurité permanent pour tout le personnel, facilité la préparation et la consommation des délits de harcèlement moral reprochés à la société et trois de ses dirigeants au préjudice de chacun des salariés visés dans leur mise en examen, peu important que certains d’entre eux n’eussent pas relevé de la direction dont ils avaient alors la charge ou, s’agissant de Mme X…, que le dommage invoqué se fût produit après qu’elle eut quitté ses fonctions, la chambre de l’instruction a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que les moyens, inopérants en leur troisième branche en ce que l’arrêt ne mentionne les déclarations faites par Mme X… et M. Z…, lors de la convention du 20 octobre 2006, qu’à titre d’indice rendant vraisemblable leur participation à la commission des faits pour lesquels ils sont mis en examen, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE (…)