La rupture conventionnelle du contrat de travail à durée indéterminée connaît un succès constant depuis 10 ans. Le contentieux est rare, et la jurisprudence a récemment rappelé que son intérêt est limité : ainsi le salarié ne peut guère obtenir sa disqualification, notamment si la date de la rupture du contrat est imprécisément portée sur la convention, ou encore si l’indemnité conventionnelle est inférieure au montant exigé par la Loi.
Dans ces hypothèses, le Juge va simplement reporter la date de la rupture, ou condamner l’employeur à verser le solde d’indemnité dû. Mais pour faire produire à la résiliation les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié doit démontrer par exemple que son consentement a été vicié, ou encore que la rupture est intervenue dans le cadre d’un harcèlement moral, ou d’une discrimination abusive, etc. ou enfin que la procédure formelle visée à l’article L.1237-11 du Code du travail n’a pas été respectée
L’arrêt de la Cour de Cassation en date du 13 juin 2018, ici éclairé, illustre ce dernier cas. En l’espèce, à la suite du refus d’homologation de la rupture par l’Administration, salarié et employeur décident ensemble de poursuivre la procédure de rupture conventionnelle, et vont formaliser un nouveau bordereau administratif.
Le refus était motivé par le montant insuffisant de l’indemnité, inférieure dans ce cas à l’indemnité conventionnelle de licenciement ; le consentement du salarié n’était pas en cause, pas plus que le respect de la procédure légale. A la suite de cette décision de refus, les parties redéposent donc immédiatement une nouvelle convention rectifiée quant au montant de l’indemnité ; elles sont d’ailleurs encouragées en ce sens par la DIRECCTE, qui leur indique de maintenir les autres éléments de la convention, dont les dates encadrant le délai de rétractation.
L’Administration a donc dans ce contexte homologué la rupture conventionnelle. Pourtant le salarié, quelques mois après, va saisir le Conseil de Prud’hommes en vue de contester la validité de cette rupture, et demandé que lui soit « accordé le bénéfice » d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse…
Le fondement de son action repose sur le raisonnement suivant : à la suite du refus d’homologation, la procédure antérieure est annulée ; si l’on formalise un nouveau bordereau administratif concrétisant une convention de rupture, l’article L.1237-11 du Code du travail exige que les parties respectent un nouveau délai de rétractation avant de demander l’homologation administrative.
En l’occurrence, et pour cause, ce nouveau délai n’avait pas été respecté. Toutefois l’on peut objecter avec l’employeur qu’il ne s’agissait pas de renégocier le principe d’une rupture conventionnelle, mais seulement de corriger à la hausse le montant de l’indemnité : le salarié avait ici bien bénéficié du délai de rétractation légal avant d’accepter une rupture pour un montant d’indemnité donné, et il avait même plusieurs semaines après réitéré son consentement pour un montant supérieur !
On rappelle que si l’Administration avait homologué la rupture dans son premier état, la seule réclamation qu’aurait pu légitimement soutenir le salarié, aurait été le versement d’un rappel d’indemnité… Les conséquences de la disqualification de la rupture conventionnelle sont bien plus sévères : l’employeur devient débiteur d’une indemnité compensatrice de préavis (et accessoires), ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier et/ou illégitime.
Pourtant, et malgré le fait que ce salarié ne soutenait pas en l’espèce que son consentement avait été abusé, le Juge va faire une application étroite des dispositions légales en la matière. Il est vrai que le refus d’homologation n’équivaut pas à une demande de précision ou de correction par l’Administration : la procédure doit être reprise à son début, soit dès l’invitation à négocier, avec rappel au salarié de la possibilité d’être à cette occasion assisté.
Par conséquent le délai de rétractation doit être formellement respecté ; à défaut le Conseil de Prud’hommes doit invalider la rupture conventionnelle. Sur ce point d’ailleurs, peu importe que la DIRECCTE ait expressément indiqué aux parties qu’elles pouvaient maintenir le premier délai de rétractation.
En effet si le Juge judiciaire n’est pas compétent pour apprécier une décision administrative, la Loi lui donne exclusivement compétence pour apprécier la validité d’une rupture conventionnelle même homologuée par l’Administration. Et la disqualification de cette rupture peut donc intervenir en raison du non-respect du délai de rétractation, même si la DIRECCTE l’a quant à elle (explicitement ou implicitement) toléré…
Léger bémol dans cette affaire : la Cour de Cassation rappelle que si l’employeur est condamné au titre du licenciement abusif, l’indemnité versée à la suite de la rupture conventionnelle vient en déduction des indemnités de licenciement. Piètre consolation au regard du délai de préavis, additionné aux dommages-intérêts (même désormais limités par la Loi), dans cette hypothèse bien sûr où l’indemnité de rupture est négociée au minimum.
Il s’agit souvent de cas où c’est le salarié qui sollicite son employeur pour un départ négocié. Cet arrêt rappelle donc qu’il peut être parfois dangereux pour l’employeur de se montrer libéral lorsqu’une telle demande est faites.

Cour de cassation, chambre sociale, 13 juin 2018 (pourvoi n° 16-24.830, Publié au bulletin)
(…)
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 septembre 2016), qu’engagée le 6 octobre 2008 par la société Béryl en qualité de responsable de magasin-gérant salarié, Mme X… a vu son contrat de travail transféré à la société André en avril 2013 ; qu’après un entretien du 26 juillet 2013, la salariée et l’employeur ont convenu d’une rupture conventionnelle datée du 27 juin 2013 ; que, par lettre du 30 août 2013, l’autorité administrative a refusé d’homologuer cette convention au motif que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle était inférieure au minimum conventionnel ; qu’à la suite de ce refus, les parties ont signé un second formulaire de rupture conventionnelle indiquant une date d’entretien au 26 juillet 2013 et une date de rupture du contrat de travail au 9 octobre 2013 ; que la salariée a saisi le 6 décembre 2013 la juridiction prud’homale d’une contestation de la validité de la rupture ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que la rupture du contrat de travail de la salariée équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, qu’en application de l’article L. 1237-13 du code du travail, chaque partie à la rupture conventionnelle bénéficie de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation ; que la stipulation d’une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l’article L. 1237-13 du code du travail n’entache pas de nullité la convention de rupture ; qu’ainsi, la signature d’une nouvelle convention de rupture augmentant le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, intervenant après un refus d’homologation motivé par l’insuffisance d’un tel montant, ne fait pas naître un nouveau délai de rétractation ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les parties avaient signé une première convention de rupture prévoyant une indemnité de 2 980 euros et une date d’expiration du délai de rétractation au 11 août 2013 ; qu’elle a également constaté qu’à la suite de la décision de refus d’homologation, en date du 30 août 2013, résultant de ce que l’indemnité de rupture était inférieure au minimum conventionnel, les parties avaient établi une nouvelle convention portant le montant de l’indemnité spécifique de rupture à la somme de 3 300 euros et retenant la même date d’expiration du délai de rétractation, à savoir le 11 août 2013 ; que cette dernière convention avait été homologuée ; que, pour dire que la rupture du contrat de travail de Mme X… équivalait à un licenciement sans cause réelle ni sérieuse et condamner la société André à lui verser diverses sommes à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité de préavis et congés payés afférents, ainsi qu’à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, la cour d’appel a retenu que dès lors que la salariée n’avait pas bénéficié d’un nouveau délai de rétractation après la seconde convention de rupture, laquelle fixait la fin d’un tel délai (11 août 2013) à une date antérieure au refus d’homologation (30 août 2013), il s’en inférait que, nonobstant le courrier électronique de l’administration du 9 septembre 2013 précisant à l’exposante, « vous pouvez garder les dates d’entretien, de signature et de rétractation », la modification du montant de l’indemnité spécifique de rupture imposait que la salariée bénéficie d’un nouveau délai de rétractation ; qu’en statuant ainsi, quand le montant de l’indemnité spécifique de rupture avait été modifié à la hausse et que la salariée n’avait pas exercé son droit de rétractation dans le cadre de la première convention, la cour d’appel a violé l’article L. 1237-13 du code du travail ;

Mais attendu qu’il résulte de l’application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail qu’une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l’homologation de cette convention à l’autorité administrative avant l’expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes ;

Et attendu que la cour d’appel, qui a relevé que la première convention avait fait l’objet d’un refus d’homologation par l’autorité administrative, a exactement décidé que la salariée devait bénéficier d’un nouveau délai de rétractation et que, n’en ayant pas disposé, la seconde convention de rupture était nulle ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que la rupture du contrat de travail de la salariée équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de le condamner à lui verser une somme à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement alors, selon le moyen ;

1°/ que le créancier ne peut obtenir deux fois le paiement d’une même créance ; qu’en l’espèce, il résultait des conclusions concordantes des deux parties, oralement soutenues, que la salariée avait perçu 3 300 euros au titre de l’indemnité spécifique de rupture correspondant au montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement ; qu’en condamnant néanmoins l’employeur au paiement d’une telle somme à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, alors surtout qu’elle n’avait pas annulé la convention de rupture en exécution de laquelle cette somme avait été versée, la cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice ;

2°/ qu’une contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d’appel avait retenu que « la demande formée au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis doit donc être accueillie, sous réserve des paiements déjà effectués à hauteur de 3 300 euros » ; qu’en condamnant néanmoins l’exposante, aux termes de son dispositif, à payer à la salariée les sommes de 3 300 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement et de 7 527,06 euros à titre d’indemnité de préavis, sans tenir compte du « paiement déjà effectué » et qu’elle avait « réservé », la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le moyen critique en réalité une erreur matérielle qui peut, selon l’article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré l’arrêt dont la rectification sera ci-après ordonnée ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deuxième et troisième branches du premier moyen ci-après annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Réparant l’erreur matérielle, dit que, dans le dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Douai, RG n° 15/01538, la mention « Condamne la société André à payer à Mme Vanessa X… 3.300 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 7 527,06 euros à titre d’indemnité de préavis » est remplacée par la mention « Condamne la société André à payer à Mme Vanessa X… la somme de 3 300 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 7 527,06 euros à titre d’indemnité de préavis, sous réserve des paiements déjà effectués à hauteur de 3 300 euros (…)