L’on moque souvent la lourdeur (au propre comme au figuré…) du Code du travail français, jugé trop complexe et à ce titre contre-productif, notamment quand on le compare à la règlementation sociale de pays voisins : il est vrai par exemple que la Suisse ou Monaco n’encadrent que de quelques textes simples les relations individuelles et parfois collectives de travail. Les organisations professionnelles sont sur ce point les plus sévères, soupçonnant le juriste en Droit social de se complaire dans cette jungle foisonnante d’articles de Loi et de références jurisprudentielles, voire d’en chérir leur complexité « confuse » qui nourrit leur activité économique…

Le temps des Diafoirus est toutefois révolu, et cela vaut tant dans le domaine juridique que cela est aujourd’hui admis dans les domaines technique ou médical. Nul ne songe désormais à douter, en effet, de la difficulté toujours croissante et diversifiée de la Médecine, d’autant plus qu’elle intègre ou associe sereinement des techniques ou méthodes complémentaires même si moins académiques : ceux qui prétendent avoir découvert ou inventé une « thérapie parallèle », et dénoncent une prétendue science obscure et arrogante, sont toujours rattrapés par la réalité décevante, voire convaincus de charlatanisme.

De la même manière ne doit-on pas juger l’état du Droit comme incompréhensible parce que le profane ne le comprend pas aisément : il s’agit d’une science et d’une technique complexes et diversifiées, répondant au mieux aux besoins de notre société. Ceux qui appellent à une simplification radicale de la législation, sont souvent les mêmes qui exigent du Législateur d’intervenir davantage pour leur protection : ainsi en est-il par exemple des mêmes organisations professionnelles (dans le BTP, ou récemment les entreprises de surveillance et sécurité) réclamant depuis une dizaine d’années un texte les protégeant contre le dumping social des entreprises est-européennes.

Le Droit du travail contemporain est ainsi construit par strates continues depuis une quarantaine d’années, d’origine nationales, communautaires et internationales ; des sources légales ou conventionnelles, et encore jurisprudentielles évoluant en fonction des revirements doctrinaux, des politiques et des alternances. Cette construction lente et solide d’un cadre juridique subtil aux relations sociales, pris entre des contraintes administratives immédiates et des considérations de rang constitutionnel, protégeant les enjeux socio-économiques aux niveaux macro et de l’entreprise, tout comme les droits et libertés fondamentaux, ce dans un contexte international multi-dimensionnel, est garante d’une efficacité du Droit du travail et du Droit de la protection sociale adaptée à la complexité de notre monde.

A ce titre l’appréhension difficile du Droit social est-elle incontournable. Bien entendu doit-on chercher à simplifier, notamment par la synthèse, certains enchevêtrements de normes ou certains iatus générés par une réforme soutenue et parfois trop rapide ; bien sûr doit-on regretter la propension du Législateur ou de l’Administration à produire de la norme constamment et dans l’urgence.

Mais cette simplification de nature essentiellement quantitative ne doit pas sacrifier le niveau qualitatif de la règlementation sociale. La précision du Droit n’impose pas sa pauvreté.

Ainsi peut-on se réjouir de l’inauguration par la Chambre sociale de la Cour de cassation, d’une prose dépouillée de ses tournures archétypales : l’arrêt du 19 décembre 2018 (pourvoi n° 18-14.520) n’est pas rédigé par « Attendus » ; il y a déjà longtemps que les avocats, et parfois le Juge du fond, ne rédigent plus ainsi. L’impact de cet évènement est d’ailleurs exclusivement en terme de communication, car cela renvoie notamment à l’exigence nouvelle d’une motivation développée des décisions judiciaires, non en raison de leur meilleure compréhension mais pour le renforcement de leur légitimité.

En revanche l’annonce par le gouvernement d’un Code du travail numérique, accessible en ligne et entrant en vigueur en 2020, peut être moins enthousiasmante. Il s’agit selon l’Administration de proposer à l’usager (donc au profane) une présentation plus « immédiate et compréhensible » du Droit du travail, dotée d’une syntaxe et d’un vocabulaire simples : l’objectif affiché est de mettre fin à ce qui fait « … l’exclusivité de [la] fonction … » du juriste.

La mission confiée à Etalab par la Direction du numérique au sein de l’Administration centrale, s’appuie sur une compréhension du Droit sans doute marquée par le souci d’être entendue par le grand public. Si ce Code du travail bis est présenté comme concurrent au Code actuel, l’on se rapproche en revanche d’un message démagogique.