L’apprenti est un salarié soumis à un règime spécifique ; il reste toutefois soumis aux dispositions protectrices de la règlementation sociale, en matière de risque professionnel. La Cour de cassation rappelle sur ce point plusieurs principes, découlant de cette spécificité, dans l’arrêt ci-dessous principalement reproduit.

Ainsi le Centre de formation des apprentis (CFA), et dans son prolongement l’établissement au sein duquel l’apprenti suit la formation théorique, sont assimilés à l’employeur. Par conséquent une faute inexcusable peut être le cas échéant qualifiée à leur encontre, si les conditions en sont réunies, avec toutes conséquences de Droit : en l’occurence seuls les préjudices complémentaires peuvent être indemnisés, à leur charge, le recours de Droit commun étant irrecevable.

Par ailleurs si les ayant-droits sont limités par le régime exceptionnel de responsabilité civile de l’assujetti salarié, dans l’hyposthèse où cette qualité ne peut être qualifiée, le recours de Droit commun reste ouvert au tiers à la relation de travail. Aussi si l’apprenti victime d’un accident du travail n’est pas décédé, ses proches victimes par ricochet peuvent agir en indemnisation de leurs préjudices personnels devant le Juge civil, notamment à l’encontre du CFA ou de l’établissement de formation.

COUR DE CASSATION, 2ème Chambre civile, 6 juin 2024

1°/ M. [N] [W],

2°/ Mme [I] [O], épouse [W], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de tutrice de M. [N] [W],

3°/ M. [L] [W],

tous trois domiciliés [Adresse 9],

4°/ Mme [H] [W], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité d’administratrice légale de sa fille [P] [Y], née le 2 juin 2010,

5°/ [P] [Y],

toutes deux domiciliées [Adresse 4],

6°/ Mme [M] [W], domiciliée [Adresse 9],

7°/ Mme [K] [X], épouse [O], domiciliée [Adresse 6],

ont formé le pourvoi n° U 21-23.216 contre l’arrêt rendu le 29 juin 2021 par la cour d’appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société [10], dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à M. [J] [C], domicilié [Adresse 7],

3°/ à M. [A] [F], domicilié [Adresse 2],

4°/ à la caisse de mutualité sociale agricole de Saône-et-Loire, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à l’Etablissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles de [Localité 8] [Localité 11], dont le siège est [Adresse 1],

6°/ au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole [Localité 8] [Localité 11], dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 29 juin 2021), M. [N] [W] (l’apprenti) a été victime d’un accident du travail le 15 novembre 2007 alors qu’il était en formation, en exécution de son contrat d’apprentissage, dans l’un des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (le CFPPA) de l’Etablissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles de [Localité 8] [Localité 11] (l’EPLEFPA).

2. L’apprenti a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable du CFPPA. Le maître d’apprentissage (l’employeur) a été appelé en la cause. Par arrêt du 5 mai 2017, une cour d’appel a dit que le CFPPA avait commis une faute inexcusable, dont devait répondre l’employeur.

3. L’apprenti, Mme [I] [W], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de tutrice de ce dernier, Mme [M] [W], Mme [H] [W], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité d’administratrice légale de sa fille [P] [Y], M. [L] [W] et Mme [O] (les demandeurs) ont saisi un tribunal de grande instance d’une demande d’indemnisation des préjudices non déjà réparés dirigée contre l’EPLEFPA, la société [10], son assureur (la [10]), le CFPPA, ainsi que les deux formateurs, MM. [F] et [C] (les formateurs), condamnés par un jugement correctionnel définitif du 14 novembre 2011 pour blessures involontaires sur la personne de l’apprenti.

(…)

Enoncé du moyen

5. L’apprenti et sa tutrice font grief à l’arrêt de déclarer irrecevable leur action, alors « que, selon l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, si la lésion dont est atteint l’assuré social est imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conservent contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application de la législation sur les accidents du travail ; que la cour d’appel ne pouvait dès lors refuser à la victime et ses ayants droit le droit de demander contre l’organisme de formation l’indemnisation de la part du préjudice non réparé par les organismes sociaux au prétexte que « le centre de formation ne saurait être considéré comme un tiers par rapport à l’employeur », tout en constatant qu’avait seul la qualité d’employeur, en l’espèce le maître d’apprentissage, ce dont elle aurait dû déduire que le centre de formation avait bien la qualité de tiers par rapport à l’employeur ; qu’en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, elle a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

6. Selon l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, si la lésion dont est atteint l’assuré social est imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application de la législation sur les accidents du travail.

7. L’arrêt constate que l’apprenti, durant sa formation au CFPPA, a fait une chute de grande hauteur alors qu’il était placé sous l’autorité de ses formateurs, salariés de l’EPLEFPA, qui étaient chargés de lui apprendre les techniques pour grimper aux arbres dans le cadre de sa formation d’élagueur. Il relève que cette formation s’effectuait tant en entreprise, auprès du maître d’apprentissage, qu’au CFPPA.

8. De ses constatations, dont elle a fait ressortir que le CFPPA, l’EPLEFPA dont il dépend, et les préposés de ce dernier ne pouvaient être considérés comme des tiers par rapport à l’employeur, la cour d’appel a exactement déduit que l’apprenti et sa tutrice n’étaient pas recevables à agir à leur encontre sur le fondement de l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale.

9. Le moyen n’est, dés lors, pas fondé.

(…)

Mais sur le moyen relevé d’office

11. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 434-7 à L. 434-14 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale :

12. Il résulte des premiers de ces textes que l’expression d’ayant droit figurant au dernier vise uniquement les personnes énumérées par ceux-ci qui perçoivent des prestations en cas de décès de leur auteur.

13. Pour débouter Mme [I] [W], agissant en son nom personnel, Mme [M] [W], Mme [H] [W], agissant en son nom personnel et en qualité d’administratrice légale de sa fille [P] [Y], M. [L] [W] et Mme [O] de leur demande, l’arrêt retient que le CFPPA, l’EPLEFPA dont il dépend, et les préposés de ce dernier ne pouvaient être considérés comme des tiers par rapport à l’employeur.

14. En statuant ainsi, alors que ces demandeurs n’avaient pas la qualité d’ayants droit de l’apprenti, de sorte qu’ils pouvaient demander réparation de leurs préjudices selon les règles de droit commun, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)