Le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, peut être conduit à diligenter plusieurs actions judiciaires à l’encontre de son employeur. En vue d’engager sa responsabilité civile contractuelle, par exemple sur le fondement de son obligation de santé et sécurité au travail, il peut saisir le Conseil de prud’hommes ; en vue d’obtenir l’indemnisation complémentaire due en conséquence d’une faute inexcusable, par ailleurs, il doit en revanche saisir le Pole social du Tribunal judiciaire.

Plusieurs confusions peuvent ainsi être commises, lorsque les procédures sont initiées concomitamment. La Cour de cassation précise les compétences respectives de ces juridictions sur quelques illustrations, à l’occasion de l’arrêt reproduit ci-dessous par extraits.

Ainsi la perte de chance d’être rémunérée pour son salaire complet est-elle indemnisée par l’allocation des indemnités journalières, et le cas échéant les dommages-intérêts réparant les préjudices complémentaires suie à la reconnaissance d’une fautes inexcusable : ces demandes sont portées devant le Pole social. En revanche les domages-intérêts pour licenciement abusif en raison des manquements de l’employeur à son obligation de santé et sécurité ayant causé l’inaptitude physique, relèvent de la compétence prud’homale, même s’ils réparent les conséquences économiques de la perte d’emploi due à la maladie professionnelle causée par ailleurs par la faute inexcusable de l’employeur.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 6 septembre 2023 (pourvoi n° 22-10.419, inédit)

M. [D] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 22-10.419 contre l’arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l’opposant à la société BM chimie Martigues, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2021) et les pièces de la procédure, M. [P] a été engagé en qualité de conducteur poids-lourd le 1er septembre 2003 par la société BM chimie, devenue BM chimie Martigues. Il a été élu membre titulaire de la délégation unique du personnel le 7 janvier 2013.

2. Son contrat de travail a été suspendu à trois reprises pour maladie non professionnelle en 2009, 2011 et 2013. Le salarié a été déclaré invalide, catégorie 1, par décision de la caisse primaire d’assurance maladie (la caisse) du 8 avril 2011. Il a été en arrêt de travail du 7 avril 2013 au 31 décembre 2014. Il a été classé invalide, catégorie 2, à compter du 1er janvier 2015.

3. Le 21 janvier 2015, lors de la seconde visite médicale de reprise, le médecin du travail a confirmé l’inaptitude du salarié à son poste en précisant qu’il serait apte à un poste de type administratif à temps partiel.

4. Par lettre du 5 février 2015, le salarié a indiqué à son employeur qu’il imputait sa pathologie et son inaptitude à son emploi de chauffeur et à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et lui a demandé de procéder à une déclaration d’accident du travail, ce que l’employeur a refusé.

5. Le 11 avril 2015, le salarié a formulé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse.

6. Le 23 juillet 2015, l’employeur a sollicité de l’inspecteur du travail l’autorisation de procéder au licenciement du salarié, autorisation qui lui a été accordée le 17 août 2015.

7. Le 26 août 2015, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

8. Le 7 octobre 2015, la caisse a pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle.

9. Le 11 mars 2019, le salarié a introduit devant le pôle social un recours afin de reconnaître que la faute inexcusable de l’employeur est à l’origine de sa maladie professionnelle et a demandé, notamment, le paiement d’une indemnité provisionnelle à valoir sur l’ensemble des préjudices subis, comprenant l’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, la perte d’emploi, la perte de chance d’être rémunéré à 100 % et la perte de droit à la retraite.

10. Par jugement prononcé le 7 septembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a, notamment, ordonné une expertise médicale et alloué une indemnité provisionnelle au salarié.


11. Auparavant, le 23 mars 2017, invoquant le caractère professionnel de sa maladie, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de diverses sommes.

(…)

Enoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l’arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice pour perte de chance d’être rémunéré à 100 % de son salaire, alors « que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’employeur de son obligation de sécurité, le juge prud’homal est compétent ; que la cour d’appel qui a décidé qu’elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d’être rémunéré à 100 % constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l’emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s’expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 1242-1 du code de sécurité sociale et de l’article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte des articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale que si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

16. Ayant constaté que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la perte de chance d’être rémunéré à 100 % de son salaire était un préjudice résultant non pas de la rupture abusive mais de la maladie professionnelle et que cette demande relevait de la compétence du pôle social du tribunal judiciaire.

(…)

Sur le moyen relevé d’office

24. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale :

25. Il résulte de ces articles que si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

26. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, l’arrêt retient que celui-ci n’expose pas la nature et l’étendue du préjudice qu’il aurait subi à raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, en sorte que malgré la reconnaissance de la maladie professionnelle du salarié, la cour d’appel ne peut que garder sa compétence et le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

27. En statuant ainsi, alors qu’il résultait d’une part des conclusions du salarié que celui-ci invoquait, au titre des préjudices subis, les souffrances endurées, la dégradation de son état de santé et son inaptitude, d’autre part des constatations de l’arrêt que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, et que, sous le couvert d’une action en responsabilité contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, le salarié demandait en réalité la réparation d’un préjudice né de la maladie professionnelle dont il avait été victime, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

(…)

Enoncé du moyen

28. Le salarié fait grief à l’arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi, alors « que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’employeur de son obligation de sécurité, le juge prud’homal est compétent ; que la cour d’appel qui a décidé qu’elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d’être rémunéré à 100 % constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l’emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s’expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 1242-1 du code de sécurité sociale et de l’article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1411-1 du code du travail et les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale :

29. D’une part il résulte des textes susvisés que, si l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

30. D’autre part, est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.

31. Pour renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi, après avoir constaté que le lien de causalité, au moins partiel, entre le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité qui a consisté à ne pas réduire le temps de conduite poids-lourd après l’avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011 et la maladie professionnelle du salarié ayant abouti à son inaptitude, est avéré, l’arrêt retient que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprennent le préjudice lié à la perte de l’emploi et que cette demande d’indemnisation de la perte de l’emploi, même consécutive au licenciement pour inaptitude, correspond à une demande en réparation d’un préjudice né de la maladie professionnelle, du ressort de la juridiction des affaires de sécurité sociale saisie.

32. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié demandait la réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et faisait valoir que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE