L’adage selon lequel « le criminel tient le civil en l’état » impose au Juge civil de surseoir à statuer s’il est saisi d’une action indemnitaire, mettant en cause la responsabilité civile d’un sujet dont la responsabilité pénale est mise en cause devant le Juge pénal. Pareillement le Juge civil devra retenir la responsabilité civile de ce sujet, dès lors que sa responsabilité pénale a été définitivement retenue par le Juge pénal.

Toutefois si le Juge civil s’est déjà définitivement prononcé lorsque le Juge pénal statue sur l’infraction, la victime ne peut solliciter une indemnisation supplémentaire de ce dernier. L’adage  »una via electa » impose en effet au demandeur sur intérêt civil, dans ce cas de figure, de choisir auparavant s’il saisit de sa demande le Juge civil ou le Juge pénal.

Ce raisonnement vaut notamment pour l’action en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, dont les conséquences indemnitaires (indemnisation forfaitaire et indemnisation de la rupture du contrat, outre le cas échéant celle relative son exécution) vident l’action civile de la victime de l’infraction pénale afférente. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ici signalé, tant pour l’action du salarié que pour l’action sur intérêt collectif d’un syndicat.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, 22 FÉVRIER 2022 (pourvoi n°20-86.772, inédit)

La société [1] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 5-12, en date du 1er décembre 2020 qui, pour infractions à la législation du travail, l’a condamnée à 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

(…)

Faits et procédure

  1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
  2. Par actes des 22 juin et 1er juillet 2016, Mme [V] [Y], journaliste, et le 3 ont fait citer à comparaître devant le tribunal correctionnel M. [O] [W] et Mme [G] [Z] ès qualités de présidents directeurs généraux successifs de la société [1], le premier de l’année 1999 au 21 août 2015 et la seconde à compter du 22 août 2015, ainsi que M. [F] [D] en sa qualité de directeur des ressources humaines, et la société [1], des chefs de recours abusif au contrat à durée déterminée, ou CDD, non respect du formalisme relatif auxdits CDD, non respect du délai légal de transmission des CDD, discrimination et harcèlement moral.
  3. Devant le tribunal, les prévenus ont notamment soulevé une exception d’irrecevabilité de la citation directe, tirée des dispositions de l’article 5 du code de procédure pénale, en ce que Mme [Y] et le syndicat [3] ayant saisi le conseil des prud’hommes d’une action à fin indemnitaire à l’encontre de la société [1] par assignation du 27 juin 2013, ne pouvaient plus porter leur action devant la juridiction pénale.
  4. Par jugement du 21 mars 2018, le tribunal a notamment :
  • rejeté l’exception de nullité de la citation,
  • rejeté l’exception d’irrecevabilité de l’action civile tirée des dispositions de l’article 5 du code de procédure pénale,
  • relaxé Mme [Z] de l’ensemble des faits reprochés,
  • relaxé M. [D] et la société [1] des faits de discrimination et harcèlement moral,
  • déclaré M.[D] et la société [1] coupables des faits d’embauche de salarié pour une durée déterminée sans contrat de travail écrit conforme et sans lui adresser dans les délais son contrat de travail, et conclusion de contrat de travail à durée déterminée pour un emploi durable et habituel,
  • condamné le premier à 3 000 euros d’amende avec sursis et la seconde à 10 000 euros d’amende,
  • reçu les constitutions de partie civile de Mme [Y], et des syndicats [3] et [2],
  • condamné M. [D] à leur payer certaines sommes au titre de l’indemnisation de leurs préjudices et au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

5. M. [D] et la société [1] ont relevé appel des dispositions pénales et civiles de ce jugement. Le ministère public a relevé appel incident. Les parties civiles ont relevé appel des dispositions civiles.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

  1. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté « l’exception d’irrecevabilité » tirée de la règle electa una via soulevée par la société [1] sur le fondement de l’article 5 du code de procédure pénale, et de l’avoir condamnée en conséquence des chefs de recours abusif au CDD, non-respect du formalisme relatif aux CDD, et non-respect du délai légal de transmission des CDD, alors :

« 1°/ que de l’article 5 du code de procédure pénale, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive ; qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Mme [Y] et le syndicat [3] ont saisi le conseil de prud’hommes d’une action à fin indemnitaire dirigée à l’encontre de la société [1] pour non-respect des conditions de fond et de forme des dispositions du code du travail relatives aux contrats à durée déterminée par acte du 27 juin 2013 ; que par citation directe du 22 juin 2016, les mêmes parties ont cité à comparaître la société [1] et ses dirigeants devant le tribunal correctionnel des chefs de recours abusif au contrat à durée déterminée, non-respect du formalisme relatif aux contrats à durée déterminée et non-respect du délai légal de transmission des contrats à durée déterminée ; que pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la règle posée par l’article 5 du code de procédure pénale soulevée par la société [1], l’arrêt attaqué reprend l’affirmation du tribunal correctionnel selon laquelle « si l’objet apparaît parfaitement identique s’agissant des demandes indemnitaires formées au titre des discriminations devant les deux juridictions, l’action en requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée apparaît en revanche distincte de l’action en réparation du préjudice résultant de la violation des textes sur le CDD [?] engagée devant le tribunal correctionnel » ; qu’en se déterminant ainsi quand les deux actions ainsi exercées, fondées sur les mêmes violations des règles de fond et de forme relatives aux contrats à durée déterminée édictées par le code du travail, avaient le même objet et la même cause et visaient les mêmes parties, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de l’article 5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’il est établi et non contesté que les trois infractions relatives à la méconnaissance des textes du code du travail sur le contrat à durée déterminée visées par la citation directe du 22 juin 2016 devant le tribunal correctionnel incriminent les violations des articles L. 1242-1, L. 1242-12 et L. 1242-13 du code du travail ; qu’il résulte des éléments de la procédure prud’homale produits aux débats que l’action en requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée, exercée par Mme [Y] et le syndicat [3] à l’encontre de la société [1] devant le conseil de prud’hommes était fondée, d’une part, sur le non-respect des conditions de forme du recours au contrat à durée déterminée, en violation des articles L. 1242-12 et L. 1242-13 du code du travail, d’autre part, sur le non-respect des conditions de fond du recours au contrat à durée déterminée, en violation des articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail ; que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la règle electa una via s’agissant des délits concernant les contrats à durée déterminée, la cour d’appel affirme que la « violation dénoncée à la citation des dispositions du code du travail afférentes aux CDD ne figure pas dans l’assignation délivrée par Mme [Y] devant la justice civile à la société [1] » ; qu’en prononçant ainsi quand les trois infractions visées à la citation incriminaient les violations des articles L. 1242-1, L. 1242-12, et L. 1242-13 du code du travail, soit exactement les mêmes textes dont la violation était invoquée devant le juge prud’homal au soutien de son action de requalification, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la fin de non-recevoir tirée de l’application de la règle electa una via sur le fondement de l’article 5 du code de procédure pénale doit s’apprécier de façon distincte pour chacun des chefs de prévention visés à la citation directe ; qu’en justifiant le rejet de l’exception tirée de la règle electa una via s’agissant des délits de recours abusif au contrat à durée déterminée, de non-respect du formalisme relatif auxdits contrats à durée déterminée, et de non-respect du délai légal de transmission des contrats à durée déterminée, aux motifs inopérants qu’aucune « demande à propos de la réparation du harcèlement moral ne figure dans cette assignation, contrairement à la citation », quand l’absence de demande d’indemnisation au titre du harcèlement moral devant le juge civil en première instance, était nécessairement sans incidence sur l’appréciation de l’identité d’objet, de cause et de parties, s’agissant des délits relatifs au contrat à durée déterminée, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que toute insuffisance ou contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la règle electa una via s’agissant des délits de recours abusif au contrat à durée déterminée, de non-respect du formalisme relatif auxdits contrats à durée déterminée, et de non-respect du délai légal de transmission des contrats à durée déterminée, l’arrêt attaqué se fonde sur le fait que « le syndicat CGC n’est pas partie au procès civil » ; qu’en se déterminant ainsi, sur le fondement de motifs inexacts dès lors qu’il est établi par les pièces de la procédure que ce syndicat est intervenu volontairement devant le juge civil en cause d’appel et a obtenu indemnisation de son préjudice, et en tout état de cause inopérants dans la mesure où ce syndicat n’était pas à l’origine de la citation directe devant le tribunal correctionnel laquelle n’avait été délivrée à l’encontre de [1] qu’à la demande de Mme [Y] et du syndicat [3], de sorte que son intervention devant le tribunal correctionnel était nécessairement conditionnée à la recevabilité de la citation délivrée par les autres parties civiles au regard du principe electa una via, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 5 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que l’action civile a une double nature indemnitaire et vindicative ; qu’il résulte des propres énonciations de l’arrêt attaqué que le conseil des parties civiles a indiqué « qu’en application des dispositions du principe electa una via, il ne formule aucune demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société [1] dans la présente procédure pour l’avoir déjà fait devant une juridiction civile » ; qu’il est par ailleurs précisé, sur l’indemnisation du préjudice, que « devant la justice civile, et ainsi que l’atteste la société poursuivie (pièce 71 du dossier de la défense), Mme [Y] a obtenu réparation » ; qu’en admettant la recevabilité d’une action civile exercée par les parties civiles devant le juge pénal à des fins exclusivement vindicatives dès lors que les fins indemnitaires étaient satisfaites par l’exercice de l’action prud’homale permettant l’obtention d’une indemnisation de l’ensemble des préjudices résultant de la violation des règles de fond et de forme relatives aux CDD telles que visées à la prévention, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de l’article 5 du code de procédure pénale dont le but est précisément d’éviter la mise en mouvement de l’action publique lorsque la partie civile a déjà choisi d’agir devant le juge civil, et détourné l’action civile de son objet, en violation de l’article 2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 5 du code de procédure pénale :

  1. Selon ce texte, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile ne peut la porter devant la juridiction répressive. Cette disposition n’est susceptible d’application qu’autant que les demandes, respectivement portées devant le juge civil et devant le juge pénal, ont le même objet, la même cause, et visent les mêmes parties.
  2. Pour écarter l’exception d’irrecevabilité de la citation tirée de la règle « electa una via » à l’égard de la société [1], l’arrêt attaqué énonce que c’est à bon droit que le tribunal a jugé que l’action en requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée apparaît distincte de l’action en réparation du préjudice résultant de la violation des textes sur le CDD (non respect du formalisme, non respect du délai de transmission et recours abusif au CDD) engagée devant le tribunal correctionnel, et que la fin de non-recevoir tirée de la violation de la règle posée par l’article 5 du code de procédure pénale devra être écartée s’agissant de ces délits.
  3. Les juges du second degré ajoutent que la violation, dénoncée à la citation, des dispositions du code du travail, afférentes aux contrats à durée déterminée, ne figure pas dans l’assignation délivrée par Mme [Y] devant la justice civile à la société [1], et que le syndicat CGC n’est pas partie au procès-civil.
  4. Ils relèvent également s’agissant de l’indemnisation du préjudice, que le tribunal qui n’était saisi d’aucune demande à l’encontre de la société [1] s’est prononcé par de justes motifs, et signalent que devant la justice civile ainsi que l’atteste la société poursuivie, Mme [Y] a obtenu réparation, précisant que cet élément, extrait d’une procédure tierce, est signalé à titre indicatif et à effet de mentionner un élément établissant que l’action civile engagée par celle-ci était fondée, pour enfin rejeter le surplus des demandes des parties civiles.
  5. En se déterminant ainsi, alors qu’ il n’était pas contesté que le syndicat [2] est intervenu en cause d’appel devant la juridiction civile, la cour d’appel, qui a constaté que la partie civile poursuivante avait été préalablement indemnisée par celle-ci sans faire état d’un préjudice distinct, alors que les textes du code du travail relatifs à la réglementation sur le contrat à durée déterminée visés dans la citation directe renvoient à ceux visés dans l’assignation devant le conseil des prud’hommes, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
  6. La cassation est par conséquent encourue .

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE et ANNULE (…)