Lorsque le contrat de travail est conclu en France par une entreprise française, la compétence prud’homale peut être retenue pour tout litige élevé entre l’employeur et le salarié, même si ce dernier est affecté sur un poste de travail à l’étranger, hors Union Européenne. Toute clause désignant une autre juridiction est inopposable au salarié, qui peut choisir de saisir le Conseil de prud’hommes selon les dispositions normalement appliquées du Code du travail.

Cette compétence ne peut être écartée de façon contraignante à l’encontre du salarié, que lorsque la clause est postérieure à la naissance du litige : un compromis en vue d’un arbitrage, par exemple. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous signalé.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 3 MARS 2021 (pourvoi n° 19-20.506, inédit)

La société Vinci construction France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° H 19-20.506 contre l’arrêt rendu le 25 juin 2019 par la cour d’appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l’opposant à M. W… F…, domicilié […] , défendeur à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Colmar, 25 juin 2019), M. F… a été engagé, suivant un contrat de travail à durée déterminée, du 4 janvier 1984 au 31 mars 1989, par la société Chantiers modernes, établie en France et aux droits de laquelle vient la société Vinci construction France, en qualité de technicien du service matériel. Il a été affecté, pendant la durée de cet engagement, au chantier de construction de la route menant d’Edea à Yaoundé, au Cameroun.
  2. Il était stipulé au contrat de travail que les différends nés à l’occasion de l’exécution et de la rupture de celui-ci relèveront de la compétence des juridictions camerounaises.
  3. Se plaignant d’un préjudice résultant du défaut d’affiliation pendant cette période à la Caisse de retraite des expatriés, le salarié a saisi, le 1er décembre 2017, la juridiction prud’homale. La société Vinci construction France a soulevé une fin de non-recevoir tirée de l’incompétence de cette juridiction pour connaître des demandes du salarié.

(…)

  1. La société Vinci construction France fait grief à l’arrêt de dire que le conseil de prud’hommes de Strasbourg est territorialement compétent pour juger le litige, alors :

« 1°/ qu’une clause attributive de compétence peut être conclue sans formalisme ; qu’en l’espèce, tout en mentionnant ce principe, la cour d’appel a considéré que la renonciation de M. F… au privilège de juridiction des articles 14 et 15 du code civil était équivoque, dès lors qu’il n’avait ‘pas spécialement approuvé la clause attributive de juridiction’ ; qu’en instaurant ainsi un formalisme que la loi ne prévoit pas, la cour d’appel a violé les textes susvisés, ensemble les articles 1103, anciennement 1134, du code civil et L.1221-1 du code du travail ;

2°/ qu’une clause attributive de compétence est un engagement autonome, indépendant de l’accord substantiel, qui peut être conclue sans formalisme, de sorte que la volonté des parties de s’engager sur ce point ne saurait être contestée sur le fondement de considérations étrangères à la clause et aux stipulations portant sur le même objet ; qu’en l’espèce, pour considérer que M. F… n’était pas valablement engagé par la clause attributive de compétence conclue par ce dernier avec la société Chantiers modernes, la cour d’appel a jugé que le caractère équivoque de sa renonciation au privilège de juridiction des articles 14 et 15 du code civil résultait de ce qu’il n’avait ‘pas spécialement approuvé la clause attributive de juridiction’, que le contrat était imprécis et incomplet, qu’il ne décrivait pas ses fonctions et qu’il ne s’agissait que d’une convention type destinée à satisfaire aux exigences des autorités camerounaises afférentes à l’accueil des travailleurs étrangers ; qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants, dès lors qu’il était constant que la clause avait été signée librement par M. F…, et qui n’étaient susceptibles de remettre en cause ni la validité de la clause autonome d’attribution de juridiction, ni l’absence d’équivoque de son consentement à la clause litigieuse, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et L.1221-1 du code du travail ;

3°/ qu’une clause attributive de compétence peut être conclue sans formalisme, de sorte que la volonté des parties de s’engager sur ce point ne saurait être contestée sur le fondement de considérations étrangères à la clause et aux stipulations portant sur le même objet ; qu’en l’espèce, la cour était saisie d’une clause stipulant que ‘les différends nés à l’occasion de l’exécution de la rupture du présent contrat de travail relèveront de la compétence des juridictions camerounaises et notamment de l’inspecteur du travail (art. 146) et des tribunaux (art. 138 et 139 du code du travail) du Cameroun’ ; qu’en affirmant ‘que la clause attributive de juridiction ne lui permettait aucunement d’avoir conscience qu’en l’approuvant il renonçait au privilège de juridiction’ qu’il invoquait, bien que cela ressortait nécessairement des termes clairs de la clause litigieuse et qu’il n’existait aucun élément potentiellement contradictoire avec celle-ci, la cour d’appel, qui a implicitement exigé une mention expresse de la renonciation que la loi n’exigeait pas, a violé les articles 14 et 15 du code civil, ensemble les articles 1103, anciennement 1134, du code civil et L.1221-1 du code du travail ;

4°/ qu’ est claire et précise la clause selon laquelle ‘les différends nés à l’occasion de l’exécution de la rupture du présent contrat de travail relèveront de la compétence des juridictions camerounaises et notamment de l’inspecteur du travail (art. 146) et des tribunaux (art. 138 et 139 du code du travail) du Cameroun’ ; qu’en jugeant que cette clause ne valait pas renonciation au privilège de juridiction, la cour d’appel a dénaturé le sens et la portée clairs de la clause attributive de compétence et a violé le principe selon lequel les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits produits devant lui ;

5°/ que les juges du fond ne peuvent méconnaître les termes du litige, tels que fixés par les conclusions des parties ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a affirmé ‘que la clause attributive de juridiction ne lui permettait aucunement d’avoir conscience qu’en l’approuvant il renonçait au privilège de juridiction’ qu’il invoquait devant elle ; qu’en statuant ainsi, bien que M. F… n’ait pas soutenu dans ses écritures qu’il n’aurait pas compris le sens de la clause, la cour d’appel a méconnu les termes du litige et violé l’article 4 du code de procédure civile ;

6°/ que les juges du fond doivent répondre aux conclusions des parties et examiner les pièces qui les fondent ; qu’en l’espèce, face aux allégations de M. F… selon lesquelles son contrat de travail était incomplet, la société Vinci construction France répondait que, ‘si certaines rubriques n’étaient pas complétées dans le contrat de travail, elles l’étaient dans le contrat transmis aux autorités camerounaises compétentes ainsi que dans l’annexe au contrat (en particulier le poste de travail et la classification) . Il ne fait donc guère de doute que ces éléments forment un ensemble contractuel cohérent, soumis tant à la clause de choix de la loi qu’à la clause de choix des juridictions compétentes’ ; qu’en affirmant simplement que le contrat était ‘incomplet’ et ne décrivait pas les fonctions confiées à M. F…, la cour d’appel, qui n’a ni répondu aux conclusions opérantes et étayées de l’exposante, ni examiné les pièces qui les sous-tendaient, a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

7°/ que les juges du fond doivent s’expliquer sur les conclusions opérantes des parties ; qu’en l’espèce, la société Vinci construction France faisait valoir que la compétence des juridictions camerounaises résultait aussi du choix fait par les parties de soumettre leurs relations à la loi camerounaise, dès lors que l’article 139 de la loi camerounaise du 27 novembre 1974 portant code du travail disposait que ‘le tribunal compétent est en principe celui du lieu du travail’ et que, s’il demeurait loisible au travailleur qui ne résiderait plus au lieu du travail de porter le tribunal du lieu de sa résidence, c’était uniquement à la condition que celui-ci soit situé au Cameroun ; qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen opérant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

  1. Selon l’article 23 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable en vertu de son article 66 aux actions intentées à compter du 10 janvier 2015, il ne peut être dérogé aux dispositions de la section de ce règlement afférente à la compétence en matière de contrats individuels de travail que par des conventions postérieures à la naissance du différend ou qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à cette section.
  2. Aux termes de l’article 21, §1, sous a), dudit règlement, un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile.
  3. L’arrêt relève que la société Chantiers modernes, aux droits de laquelle vient la société Vinci construction France, est établie en France et que la clause attribuant compétence aux seules juridictions camerounaises pour connaître des différends nés à l’occasion de l’exécution et de la rupture de la relation de travail était stipulée au contrat de travail, en sorte que cette clause est antérieure à la naissance du différend en cause se rapportant à la liquidation des droits à la retraite du salarié.
  4. Il en résulte que ladite clause attributive de juridiction n’est pas opposable au salarié.
  5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)