La convention de forfait, qu’il s’agisse d’un forfait en jours ou d’un forfait en heures, et quel que soit le cycle annuel ou mensuel sur lequel il est calculé, est sujette à un formalisme strict. Ainsi dansl’hypothèse où le contrat de travail, ou du moins la clause de forfait, n’a pas fait l’objet d’un acte écrit et signé expressément par les deux parties, la convention n’existe pas, et il revient alors au Juge de calculer les heures supplémentaires selon les règles de Droit commun.

Toutefois la charge de la preuve de la durée de travail repose alors sur les deux parties, et il peut se révéler que le salarié ne soit créancier d’aucun rappel de salaire, si factuellement le salaire forfaitaire réellement perçu est supérieur à la rémunération majorée qui devait lui être versée. Un arrêt récent de la Cour d’appel de Rouen, ci-dessous reproduit par extraits, illustre ce raisonnement.

COUR D’APPEL DE ROUEN, Chambre sociale et des affaires de sécurité sociale, 1er septembre 2022 (RG n° 20/03195)

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 14 Septembre 2020

(…)

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [P] [E] a été engagé par la société Cordel en qualité de technicien installateur de luminaires par contrat de travail à durée indéterminée du 12 mai 2014 à effet au 19 mai 2014.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de gros.

Le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été notifié au salarié le 20 avril 2018.

Par requête du 20 mars 2019, M. [P] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

(…)

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

I – heures supplémentaires

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

M. [P] [E] sollicite confirmation du jugement entrepris ayant statué dans la limite de la prescription triennale sur sa créance au titre des heures supplémentaires non rémunérées, expliquant qu’il possédait sur son téléphone mobile une application Kelio qui est une pointeuse, laquelle transférait à l’employeur les heures de début et de fin de travail et que dès lors le décompte du temps de travail est incontestable, contestant avoir été soumis à une convention de forfait en heures laquelle suppose son accord.

Outre qu’elle soulève la prescription pour les demandes antérieures à mars 2016, l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 3] s’oppose à la demande en soutenant que M. [P] [E] était soumis à un forfait horaires annuel de travail effectif de 1 737 heures hors samedi, dimanche, jours fériés et congés payés, bénéficiant d’une rémunération lissée avec paiement d’un salaire de base de 151,67 heures et 10,83 heures hors contingent, auquel s’ajoutaient les heures de trajet et les heures supplémentaires accomplies au-delà de 37h30.

L’article L.3245-1 du code du travail prévoit que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.

En l’espèce, M. [P] [E] ayant saisi conseil de prud’hommes le 20 mars 2019, ses créances salariales exigibles antérieures au 1er mars 2016 sont prescrites.

Il résulte du contrat de travail produit au débat qu’en sa qualité de technicien, exerçant son activité sur les lieux d’exécution des contrats souscrits par la Société dans la zone géographique qui lui était impartie, et compte tenu de la latitude dont il disposait pour planifier son travail et les exigences d’organisation demandées par la clientèle, qui impliquent une indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, il ne peut être fait référence à l’exécution d’un horaire de travail précis et contrôlable, sauf à préciser qu’il travaillera 5 jours par semaine du lundi au vendredi.

En conséquence, M. [P] [E] relève pour le calcul de son temps de travail du forfait annuel en heures prévu à l’article 2-3 de l’accord du 14 décembre 2011. A ce titre, il est soumis aux dispositions de l’article L.3121-38 du code du travail. Il s’engage à travailler 1 737 heures par an, l’année de référence s’étendant du 1er décembre N au 30 novembre N+1.

En contrepartie des services que rend M. [P] [E], il était prévu qu’il percevrait une rémunération mensuelle brute de 1 900 euros pour une durée de travail hebdomadaire à temps complet, rémunération forfaitaire incluant la rémunération majorée des heures supplémentaires dans la limite de la durée du travail fixée ci-dessus.

Néanmoins, alors que le salarié produit un exemplaire non signé du contrat de travail, qu’au soutien de ses prétentions, la partie appelante ne verse pas un exemplaire signé de ce contrat et que la convention individuelle de forfait nécessite l’accord écrit du salarié, à défaut de justifier de la signature du contrat de travail prévoyant une telle modalité, le forfait est inopposable à M. [P] [E] et dès lors les heures supplémentaires doivent être appréciées au regard du droit commun.

Il est produit les enregistrements des temps de travail opérés par le biais d’une application dont les mentions sont suffisamment précises pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

Les mentions qui y sont portées ne sont remises en cause par aucune des parties et dès lors ils doivent servir de support pour apprécier les demandes du salarié.

Il convient d’observer que les temps de trajet étaient pris en compte de manière séparée et rémunérés en tant que tels, jusque fin novembre 2017.

Alors que les modalités de travail du salarié n’ont pas évolué, les enregistrements opérés ne mentionnent plus les temps de trajet qui doivent être décomptés du temps effectif de travail pour apprécier la durée effective de travail.

C’est pourquoi, compte tenu des éléments produits, des majorations applicables à hauteur de 25 % pour les huit premières heures, soit 14,38 euros, puis de 50 % pour les suivantes, soit 17,26 euros, des versements effectués par l’employeur au titre des heures supplémentaires, déduction faite des temps de trajet pour la période au cours de laquelle ils n’étaient plus décomptés compte tenu de la conviction de la cour quant aux heures supplémentaires accomplies sur cette même période, les comptes entre les parties s’établissent comme suit sur la période non prescrite :

(…)

Dès lors que l’employeur a trop payé pour un montant cumulé de 1 297,76 euros alors qu’il est dû au salarié 821,50 euros, il en résulte un solde en faveur de l’employeur, de sorte que le salarié doit être débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, la cour infirmant ainsi le jugement entrepris.

(…)

PAR CES MOTIFS, LA COUR (…) infirme le jugement entrepris