L’arrêt ci-dessous signalé met en oeuvre une solution récente, inspirée par la jurisprudence communautaire, dans une hypothèse originale où des jours de congés payés étaient « prépositionnés » par une mention au contrat de travail. L’on sait en effet que si le congé supérieur à deux semaines est fractionné, au-delà d’une semaine en période hivernale, l’employeur doit 1 ou 2 jours de congé supplémentaires au salarié.

Ce bonus n’est pas dû en cas d’accord exprès du salarié. Au-delà du fait que la Cour de cassation rappelle qu’un salarié ne peut renoncer par avance, notamment par une clause de son contrat, à un droit issu de la règlementation sociale impérative, elle précise son appréciation de cet accord exprès.

Ainsi il ne suffit pas que les dates de congés, constituant le fractionnement, aient été décidées à l’initiative du salarié (le salarié a « posé » des congés, que sa direction a acceptés), pour que l’employeur soit exonéré du bonus. Il est nécessaire qu’en outre le salarié ait précisément accepté de perdre ses jours de fractionnement, en fonction des dates de ces congés.


Cour de cassation, Chambre sociale, 5 mai 2021 (pourvoi n° 20-14.390, publié au Bulletin)

(…)
2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 18 décembre 2019), la société Sofrabrick (la société) est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pâtes traditionnelles brick et filo. Afin de pouvoir apposer l’estampille « casher » sur ses produits, elle doit respecter les règles essentielles du judaïsme parmi lesquelles l’interdiction de travailler ou de faire travailler les samedis et durant les fêtes juives.


3. Les contrats de travail conclus avec les salariés indiquent que la société étant sous le contrôle du consistoire israëlite, les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes juives sont obligatoirement décomptés des congés payés.


4. M. [H] et vingt-trois autres salariés de la société ont saisi la juridiction prud’homale afin de demander la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts pour privation de leurs droits à congés.

(…)
Enoncé du moyen


6. Par son premier moyen l’employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer diverses sommes aux salariés à titre de dommages-intérêts pour privation du congé annuel légal, avec les intérêts légaux capitalisés dans les conditions de l’article 1154 ancien du code civil, alors :


« 1°/ qu’en application de l’article L. 3141-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le congé principal est d’une durée supérieure à douze jours ouvrables et au plus égale à 24 jours ouvrables, il peut être fractionné par l’employeur avec l’accord du salarié ; que si l’acceptation par le salarié doit être expresse et ne peut résulter de la seule exécution du contrat de travail sans contestation, cette acceptation peut se prouver par tous moyens ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu qu’il était constant que les contrats de travail des salariés stipulaient que la société étant sous contrôle du consistoire israélite, les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes religieuses étaient obligatoirement décomptés des congés payés ; qu’en jugeant que faute de préciser la liste des fêtes concernées et leur durée dont la date variait chaque année, cette stipulation qu’elle relevait n’était pas suffisamment précise pour valoir agrément des salariés au fractionnement de leur congé principal, lorsqu’il en résultait l’expression par ces derniers d’une volonté claire et non équivoque de voir toutes les fêtes juives décomptées de leurs congés payés et donc leur accord au fractionnement desdits congés qui en découlait, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 du code civil ;


2°/ que lorsque le congé s’accompagne de la fermeture de l’établissement, le fractionnement peut être réalisé par l’employeur sur avis conforme des délégués du personnel ou, à défaut, avec l’agrément des salariés ; que ces conditions sont alternatives ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu qu’il était constant que les contrats de travail des salariés stipulaient que la société étant sous contrôle du consistoire israélite, les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes religieuses étaient obligatoirement décomptés des congés payés ; qu’en jugeant qu’en tout état de cause, l’employeur ne justifiait pas d’un avis conforme exprès des délégués du personnel, lorsque les mentions du contrat de travail relevées par l’arrêt, qui valaient agrément des salariés au fractionnement de leurs congés payés, avec fermeture de l’entreprise, autorisaient en elles-mêmes le recours à une telle pratique, la cour d’appel a violé l’article L. 3141-20 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;


3°/ que lorsque le congé s’accompagne de la fermeture de l’établissement, le fractionnement peut être réalisé par l’employeur sur avis conforme des délégués du personnel ; que l’accord individuellement donné par tous les salariés, y compris ceux titulaires d’un mandat électif, à voir les fêtes juives décomptées de leurs congés payés vaut avis conforme de ces derniers au fractionnement des congés payés ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 3141-20 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, ensemble l’article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 du code civil. »


7. Par son second moyen, l’employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer aux salariés des sommes à titre de dommages-intérêts pour privation des deux jours supplémentaires dus au fractionnement, outre les intérêts légaux capitalisés dans les conditions de l’article 1154 ancien du code civil à compter de la date de la demande de capitalisation, alors « qu’il résulte de l’article L. 3141-19, dernier alinéa, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que le salarié peut donner son accord individuel pour renoncer à l’octroi de jours de congés supplémentaires en raison du fractionnement de la prise des congés ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté qu’il était constant que les contrats de travail des salariés stipulaient que les société étant sous contrôle du consistoire israélite, les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes religieuses étaient obligatoirement décomptés des congés payés ; que cette stipulation relevée par l’arrêt valait renonciation des salariés à l’octroi de congés supplémentaires du fait du fractionnement des congés qui découlait de la fermeture de l’entreprise lors des fêtes religieuses juives ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 du code civil. »


Réponse de la Cour


8. Aux termes de l’article L. 3141-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le congé ne dépasse pas douze jours ouvrables, il doit être continu. Lorsque le congé principal est d’une durée supérieure à douze jours ouvrables et au plus égale à vingt-quatre jours ouvrables, il peut être fractionné par l’employeur avec l’accord du salarié. Dans ce cas, une des fractions est au moins égale à douze jours ouvrables continus compris entre deux jours de repos hebdomadaire.


9. Selon l’article L. 3141-19 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, des jours supplémentaires de congé sont dus quand des congés d’une certaine durée sont pris en dehors de la période légale, à moins que des dérogations ne soient intervenues par accord individuel, convention collective ou accord collectif d’établissement.


10. Le droit à des congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l’employeur qui en ait pris l’initiative.


11. Le salarié ne pouvant pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public avant que ce droit ne soit né, il ne peut renoncer dans le contrat de travail à ses droits en matière de fractionnement du congé principal.


12. Examinant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a estimé, d’une part, que les salariés n’avaient ni donné leur agrément au fractionnement du congé principal ni renoncé à leurs droits à des jours de congés supplémentaires du fait de ce fractionnement, d’autre part, que l’employeur ne justifiait pas d’un avis conforme des délégués du personnel au fractionnement du congé consécutif à la fermeture de l’établissement lors des fêtes religieuses juives.


13. En l’état de ces constatations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.


PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE les pourvois (…)