Le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail, en raison des manquements graves commis par l’employeur dans l’exécution de ses obligations. Ce mode original de résiliation est une création prétorienne, disctincte de la démission : le salarié prend certes l’initiative de la rupture, mais il l’impute à la responsabilité contractuelle de son co-contractant.

Ainsi si les fautes de ce derniers sont prouvées (le doute profite toutefois à l’employeur), et qu’elles apparaissent au Juge suffisamment graves pour justifier la rupture du lien contractuel, alors cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, et donc même en cas de doute, elle produit les effets d’une démission : le salarié doit avoir respecté le préavis afférent, et ne peut solliciter la liquidation de ses droits à assurance-chômage

Créée par la jurisprudence, la prise d’acte ne peut être obligatoirement formelle : l’on ne peut exiger du salarié qu’il notifie une lettre de rupture, expliquant les raisons de sa décision. Une rupture concommitante à un litige sérieux avec l’employeur, suffit ainsi à qualifier la prise d’acte.

Mais cette souplesse peut aussi être opposée au salarié. Ainsi en est-il dans l’arrêt repoduit ci-dessous : le salarié a adressé un courrier à l’employeur indiquant qu’il saisissait le Conseil de Prud’hommes afin de voir « constater la rupture du contrat de travail du fait de l’employeur« .

Cela suffit pour qualifier la rupture de prise d’acte, et en l’espèce lui faire produire les effets d’une démission. Sur ce point en effet, comme le rappelle la Chambre sociale, le Juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation de la décision du salarié, formelle ou pas.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 13 OCTOBRE 2021 (pourvois n° 20-17.351 et 20-17.352, inédit)

(…)

  1. Selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 18 mars 2020), Mmes [Y] et [C] ont été engagées, à compter des 6 septembre 2010 et 22 décembre 2009, en qualité d’agent de conditionnement et de production et de responsable de conditionnement et opératrice de fabrication, par la société French Gateway puis par la société W & Corb (la société).
  2. A la suite de l’expulsion de la société du local commercial dans lequel travaillaient les salariées, le gérant, par lettre du 3 juin 2015, a proposé aux salariées une modification de leur contrat de travail prévoyant leur mutation en région parisienne à compter du 1er juillet 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

  1. Les salariées font grief aux arrêts de dire qu’elles avaient pris acte de la rupture de leur contrat de travail à la date du 8 juin 2015, que cette prise d’acte produit les effets d’une démission, et de les avoir déboutées de l’ensemble de leurs demandes, alors :

« 1°/ que la saisine du conseil de prud’hommes par un salarié pour voir juger que la rupture intervenue est imputable à l’attitude fautive de l’employeur ne peut être assimilée à une prise d’acte de la rupture du contrat ; que la cour d’appel a constaté que, par lettre du 8 juin 2015, l’exposante avait annoncé saisir le conseil de prud’hommes pour constater la rupture de son contrat de travail du fait de l’employeur ; qu’une telle saisine est incompatible avec une prise d’acte de la rupture du contrat de travail de sorte qu’en retenant malgré tout l’existence d’une telle prise d’acte, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant l’article L. 1231-1 du code du travail ;

2°/ que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est adressée par le salarié à l’employeur ; qu’en se fondant sur le résumé de l’affaire rédigé par le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour en déduire que l’exposante avait pris acte de la rupture, la cour d’appel a violé l’article L. 1231-1 du code du travail ;

3°/ que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est adressée par le salarié à l’employeur ; qu’en se fondant sur la teneur des conclusions de la salariée demandant à ce qu’il soit constaté que l’employeur avait rompu le contrat le 8 juillet 2015, incompatibles avec une prise d’acte, la cour d’appel a violé l’article L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

  1. Le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel de la portée de l’écrit adressé par les salariées à l’employeur le 8 juin 2015.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

  1. Les salariées font grief aux arrêts de dire qu’elles avaient pris acte de la rupture de leur contrat de travail à la date du 8 juin 2015, que cette prise d’acte produit les effets d’une démission, et de les avoir déboutées de l’ensemble de leurs demandes, alors :

« 1°/ que lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour un motif économique, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ; que cette proposition doit être loyale et complète ; qu’en excluant toute faute de l’employeur du fait du caractère incomplet de sa proposition, qui ne mentionnait même pas le lieu où la salariée devait être mutée, car il aurait appartenu aux salariée de se renseigner, la cour d’appel a violé les articles L. 12131-1 et L. 1222-6 du code du travail, et 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

2°/ que la lettre de notification de la modification du contrat de travail informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus ; que la cour d’appel a constaté que la lettre de l’employeur était datée du 3 juin et annonçait une mutation le 1er juillet ; qu’en excluant tout manquement de l’employeur, elle n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article L. 1231-1 et L. 1222-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

  1. Le moyen est inopérant, la cour d’appel n’ayant pas exclu toute faute de l’employeur, mais décidé qu’il n’était pas justifié de manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)