C’est une évolution notable de la jurisprudence sociale que la Cour de cassation vient de décider, à l’occasion de l’arrêt ci-dessous reproduit. D’autres décisions contemporaines de la deuxième Chambre civile ont été récemment publiées, qui constituent globalement un revirement largement salué par les observateurs, concernant l’indemnisation du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

En l’espèce il s’agit d’estimer les préjudices subis par un salarié agressé par un tiers dans le cadre de son emploi. Un recours est par principe ouvert à l’encontre de l’auteur de l’infraction distinct de l’employeur, permettant l’indemnisation des préjudices non pris en charge par le régime de sécurité sociale.

Or le Juge du fond refuse ici de prendre en compte, pour estimer ces préjudices, la réclamation relative à la perte de droits à la retraite arguée par le salarié victime. En effet d’une part à la suite de son licenciement pour inaptitude causée par l’affliction médicale due à l’agression, le salarié ne perd pas de période d’assurance (trimestres actifs) au titre de l’arrêt-maladie et du chômage, et d’autre part sa pension de retraite sera complétée par la rente accident du travail tant qu’elle sera servie, y compris lorsque l’intéressé aura pris sa retraite.

C’est sur ce dernier point que l’arrêt du 6 juillet 2023 innove. En effet désormais il est nécessaire d’examiner l’incidence de l’accident du travail sur les droits à retraite du salarié victime, lors de l’estimation des préjudices non-corporels dont il réclame l’indemnisation, la rente accident du travail ne couvrant pas cette réparation.

COUR DE CASSATION, Chambre civile 2ème, 6 juillet 2023 (pourvoi n° 21-25.667, publié au Bulletin)

M. [J] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 21-25.667 contre l’arrêt rendu le 23 septembre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige l’opposant au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 2021), à la suite d’une agression subie sur son lieu de travail le 4 décembre 2013 alors qu’il était âgé de 52 ans, prise en charge au titre de la législation du travail, M. [H] a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions en réparation de ses préjudices.

(…)

3. M. [H] fait grief à l’arrêt de lui allouer la seule somme de 15 000 euros au titre de l’incidence professionnelle, alors :

« 1°/ qu’en jugeant, pour débouter M. [H] de sa demande au titre des pertes de droit à la retraite qu’il subissait à raison de ce que, du fait de l’accident, il a été licencié pour inaptitude, qu’il ne démontrait pas l’incidence sur des droits à la retraite, après avoir pourtant constaté que la perte de son emploi étant imputable à l’agression dont il a été victime et qu’il a subi une perte de gains professionnels future totale, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

4°/ qu’en se bornant à affirmer que les indemnités journalières et les périodes de chômage indemnisées donnaient lieu à la validation de trimestres d’assurance vieillesse pour la retraite de base, sans rechercher, comme elle y était invitée, si en raison de l’accident le montant de la retraite de M. [H] serait inférieur à celui qu’il aurait eu en l’absence de cet accident, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

4. Pour rejeter la demande formée par M. [H] au titre de la perte de droits à la retraite incluse dans le poste incidence professionnelle, l’arrêt énonce qu’aucune incidence sur les droits à la retraite de base n’est démontrée dès lors que, d’une part, M. [H] bénéficie d’une rente accident du travail qui continuera à être versée après qu’il aura fait valoir ses droits à la retraite, d’autre part, les indemnités journalières et les périodes de chômage indemnisées donnent lieu à la validation de trimestres d’assurance vieillesse pour la retraite de base.

5. En statuant ainsi, alors qu’elle relevait que M. [H], qui était âgé de 55 ans à la date de la consolidation, avait été licencié pour inaptitude le 23 mars 2016, que la perte de son emploi était imputable à l’agression dont il avait été victime et qu’il avait subi une perte de gains professionnels futurs totale, ce dont il résultait, en l’absence d’éléments contraires, qu’il avait nécessairement subi une diminution de ses droits à la retraite, qui ne dépendent pas uniquement du nombre des trimestres validés, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)