L’on imagine que certains témoignages, nécessaires par exemple dans le cadre d’un contentieux ou d’une procédure disciplinaire, sont difficiles à obtenir : crainte des représailles, souci de discrétion, scrupule à révéler ses sources, etc. autant de motifs plus ou moins légitimes qui peuvent empêcher la production d’attestation. Certaines hypothèses sont donc propices à organiser un témoignage anonyme, ainsi que l’illustre la décision ici signalée de la Cour de cassation.

Dans le cas d’espèce, la procédure disciplinaire interne à l’entreprise, prévoit notamment ce type de témoignage dans le cadre de plaintes pour harcèlement. La question se pose donc de la valeur de ces attestations, à l’appui d’une décision de l’employeur, surtout s’il s’agit d’un licenciement, et ce dans le cadre du contrôle judiciaire.

La Cour répond de façon subtile, sur le fondement des articles 6 § 1 (juge impartial) et 6 § 3 (publicité des débats) de la Convention européenne de sauvegarde, qui imposent un procès équitable. Ainsi il ne faut pas croire que ce type de témoignage anonyme est en soi prohibé.

En effet la seule restriction consiste à en faire le motif unique ou déterminant de la décision du Juge. Mais si ces témoignages sont appuyés par d’autres éléments probatoires, ils sont recevables et peuvent constituer une part de la motivation judiciaire.

Cour de cassation, chambre sociale, 4 juillet 2018 (pourvoi n° 17-18.241, publié au bulletin)
(…)
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 1er mars 2007 en qualité d’acheteur expert bâtiment par la SNCF mobilités ; que, les 4 et 5 février 2013, le salarié et Mme Z… ont saisi la direction éthique de la SNCF ; que, se fondant sur le rapport de la direction de l’éthique, l’employeur a notifié au salarié le 18 septembre 2013 une mesure de suspension et l’a convoqué devant le conseil de discipline ; qu’il a été licencié le 25 septembre 2013 ;
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Vu l’article 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ;

Attendu que pour dire que la procédure de licenciement est régulière et le licenciement justifié, la cour d’appel, après avoir retenu que l’atteinte aux droits de la défense fondée sur le caractère anonyme des témoignages recueillis par la direction de l’éthique n’est pas justifiée dans la mesure où le salarié a eu la possibilité d’en prendre connaissance et de présenter ses observations, s’est fondée de manière déterminante sur le rapport de la direction de l’éthique ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
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PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)