Les articles L.2411-1 et suivants du Code du travail organisent une protection des salariés investis d’un mandat de représentation, contre la modification ou la rupture de leur contrat de travail. Ainsi une procédure dérogatoire de licenciement est-elle notamment imposée à l’employeur : elle profite en particulier au simple candidat aux élections professionnelles, dès la révélation de sa candidature et pendant 6 mois en cas d’échec aux élections.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 2 février 2022 reproduit ci-dessous par extraits, illustre cette hypothèse même si la solution qu’il énonce s’applique à la protection de tous les mandats, externes ou internes à l’entreprise, directs ou syndicaux. On rappelle que la protection légale susvisée, consiste en l’interdiction en principe de licencier le représentant du personnel, sauf autorisation exceptionnelle de l’Inspecteur du travail.

Le débat porte ici sur la compétence du Juge prud’homal, pour apprécier la décision administrative suite à laquelle le licenciement a été notifié par l’employeur. Si ce dernier décide le licenciement sans autorisation de l’Inspecteur du travail, ce licenciement est nul : le salarié peut exiger sa réintégration, avec rappel de salaire, ou bien une indemnisation identique à celle d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec une indemnité spécifique supplémentaire, compensant la perte de salaire.

Si le licenciement a été autorisé par l’Administration, le Juge n’a pas compétence pour statuer sur l’existence d’un motif légitime de licenciement ; il peut en revanche apprécier la régularité de la procédure postérieure à l’autorisation, et notamment la rédaction de la lettre de licenciement : cela peut d’ailleurs le conduire à disqualifier la rupture (indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse) si la lettre est insuffisamment motivée. Mais la contestation de l’autorisation de l’Inspecteur du travail, ou de son refus, relève du contentieux administratif, et échappe à l’appréciation du Juge judiciaire.

Or dans le cas d’espèce de l’arrêt, la période de protection de la salariée avait expiré entre la date où l’autorisation a été demandée par l’employeur, et celle où l’Administration s’est prononcée. Cette dernière s’est, pour cette raison, déclarée incompétente pour statuer sur la demande de l’employeur.

Cette décision est contestable, étant donné le fait que la protection est définitivement acquise pour une procédure de licenciement débutée après son acquisition ; mais en l’espèce aucun recours administratif n’a été diligenté par la salariée concernée. Or elle a sollicité devant le Conseil de Prud’hommes, la nullité de son licenciement au motif du non-respect du statut protecteur légal.

Si l’argumentation développée par l’intéressée est juridiquement fondée à maints égards, le Juge devant lequel elle la développe est incompétent pour l’apprécier, dans le cadre du contrôle de la régularité et la légitimité de la rupture. La Chambre sociale rappelle donc que la nullité du licenciement sur ce chef, ne peut être encourue.

Or par ailleurs il semble que le motif et la procédure du licenciement économique en cause, ne puissent en l’espèce être critiqués, et qu’enfin l’employeur n’ait pas fait preuve de déloyauté dans l’exécution de ses obligations contractuelles précédant la rupture. Par conséquent l’action prud’homale de la salariée ne pouvait qu’être rejetée.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 2 FÉVRIER 2022 (pourvoi n° 19-21.810, publié au Bulletin)
(…)


Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués ([Localité 3], 17 novembre 2017 et 26 juin 2019),
Mme [R] a été engagée le 29 avril 2002 en qualité de professeur de mathématiques par la société Sogedec, aux droits de laquelle vient la société ESGCV (la société). Elle s’est présentée aux élections de délégués du personnel puis au comité d’entreprise de l’UES dont dépend la société en mai et juin 2014 et a bénéficié du statut de salarié protégé du 9 juin 2014 au 9 décembre 2014. Elle a été convoquée le 14 novembre 2014 à un entretien à un éventuel licenciement économique, fixé au 25 novembre 2014. Le 29 décembre 2014, la société a adressé une demande d’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail qui, par décision du 27 février 2015, s’est déclaré incompétent. Le 19 mars 2015, la salariée s’est vue notifier son licenciement pour motif économique.

2. La salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes liées à l’exécution de son contrat, auxquelles elle a ajouté en cours de procédure des demandes liées à la rupture de son contrat de travail.
(…)

Sur le moyen du pourvoi incident de la salariée

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l’arrêt du 26 juin 2019 de la débouter de sa demande tendant à voir déclarer nul son licenciement et de ses demandes subséquentes en réintégration et en paiement des salaires échus jusqu’à sa réintégration effective, alors :

« 1°/ que le licenciement d’un salarié protégé, prononcé en violation du statut protecteur, est nul ; que l’employeur est tenu de demander l’autorisation administrative de licencier un salarié lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable au licenciement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que la salariée bénéficiait du statut de salarié protégé lorsqu’elle avait été convoquée, le 14 novembre 2014, à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique ; qu’elle a encore constaté que la demande d’autorisation de rompre le contrat de travail avait été rejetée par l’inspection du travail, par décision du 27 février 2015 ; que dès lors, en refusant de déclarer nul le licenciement de la salariée, la cour d’appel a violé l’article L. 2411-10 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que le juge a l’obligation d’analyser les éléments de preuve qui lui sont soumis ; qu’en l’espèce, dans ses écritures d’appel, la salariée faisait valoir que l’employeur avait sciemment retardé la procédure de licenciement pour saisir l’inspection du travail après l’expiration de la période de protection ; qu’à l’appui de sa démonstration, elle produisait les ordres du jour et les procès-verbaux des comités d’entreprise des 7 novembre 2014 et 5 décembre 2014, dont il résultait que la consultation portant sur le projet de licenciement, bien que mise à l’ordre du jour, avait été reportée à deux reprises sans raison légitime ; que lors du comité d’entreprise du 5 décembre 2014 -postérieur à l’entretien préalable et contemporain de la période de protection-, la directrice des ressources humaines, Mme [G], avait reconnu que « le comité d’entreprise [devait] donner un avis mais que cette procédure ne [pouvait] s’effectuer maintenant car elle n'[avait] pas adressé dans les délais requis les documents d’information aux membres du comité » ; que la salariée produisait encore le procès-verbal du comité d’entreprise extraordinaire du 18 décembre 2014, ayant permis la consultation du comité après la fin de la période de protection ; que dès lors, en s’abstenant d’analyser, même sommairement, les éléments de preuve précités, de nature à établir les manoeuvres dilatoires de l’employeur invoquées par la salariée, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge est tenu de répondre aux moyens formulés par les parties dans leurs conclusions ; que dans ses écritures d’appel, la salariée faisait valoir, éléments de preuve à l’appui, que l’employeur n’avait procédé qu’à une recherche de reclassement factice, en lui faisant des offres qu’il savait inacceptables et en s’abstenant de lui proposer les postes disponibles qu’elle aurait pu accepter, ces prétendues démarches, dépourvues de sérieux, ayant pour objectif de retarder la procédure de licenciement pour laisser expirer la période de protection ; que l’employeur avait reconnu le manque de sérieux des offres proposées ; que dès lors, en se bornant à faire état des « démarches effectuées par l’employeur », et en jugeant que la preuve n’était pas rapportée de ce que l’employeur aurait volontairement attendu l’issue de la période de protection pour entamer la procédure de licenciement, sans répondre aux conclusions précitées, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que dans ses conclusions d’appel, la salariée invoquait un faisceau d’éléments dont la conjonction était de nature à établir que l’employeur avait volontairement laissé épuiser la période de protection avant de saisir l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement, sachant qu’il ne pourrait justifier d’un motif économique ; que la salariée faisait valoir qu’elle avait refusé la modification de son contrat de travail dès le 24 juillet 2014, que des démarches de reclassement factices avait permis à l’employeur de repousser l’entretien préalable jusqu’au 25 novembre 2014, que la consultation du comité d’entreprise sur le projet de licenciement, dont l’employeur connaissait la nécessité dès octobre 2014, avait été reportée sans raison valable à deux reprises, que la consultation avait notamment été reportée lors de la réunion du 5 décembre 2014 parce que l’employeur s’était opportunément abstenu de transmettre les éléments nécessaires aux membres du comité, qu’un comité d’entreprise extraordinaire avait finalement été réuni le 18 décembre 2014, que cette opération montée de toutes pièces avait permis la saisine de l’inspection du travail après l’expiration de la période de protection, et que l’employeur avait, avec une célérité tranchant avec sa lenteur et ses atermoiements depuis l’été 2014, licencié la salariée dès le lendemain de la réception de la décision de refus de l’inspecteur ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l’ensemble des éléments précités n’établissait pas que l’employeur avait manoeuvré pour laisser expirer le délai de protection avant de saisir l’inspection du travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 2411-10 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, en l’état d’une décision d’incompétence de l’inspecteur du travail, intervenant après la demande faite par l’employeur d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, au motif que celui-ci n’était plus protégé au jour où il statue, décision à l’encontre de laquelle aucun recours n’a été exercé, le juge judiciaire ne peut analyser le licenciement prononcé par l’employeur en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur.

12. En second lieu, l’arrêt constate qu’il ressort des différents échanges de courriels qu’avant d’entamer la procédure, l’employeur à la suite du refus de celle-ci de subir une baisse de son volume horaire annuel, a recherché des possibilités de reclassement, lesquelles n’ont pas abouti et que le délai qui s’est écoulé entre le refus de la salariée fin août 2014 et la convocation à l’entretien préalable, lequel s’est déroulé le 25 novembre 2014, ne paraît pas excessif au regard des démarches effectuées par l’employeur entre temps, de sorte qu’il n’est pas démontré que la société ait sciemment retardé la mise en oeuvre de la procédure de licenciement à l’encontre de la salariée.

13. Il en résulte que la cour d’appel, qui en a déduit l’absence de déloyauté de l’employeur par une décision motivée et qui n’était pas tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, n’encourt pas les griefs du moyen.

PAR CES MOTIFS : REJETTE (…)