Le salarié qui s’estime victime d’actes de harcèlement dans le cadre de son emploi, bénéficie d’une protection légale particulièrement efficace, que renforce encore la jurisprudence sociale. Ainsi un régime prétorien a été peu à peu construit par la Cour de cassation, qui étend notamment les sanctions exceptionnelles prévues pour les actes de harcèlement.

La Cour permet ainsi par exemple, de prononcer la nullité d’un licenciement motivé par la plainte du salarié, pourtant objectivement démontrée comme infondée par l’employeur, et ce même si l’intéressé ne se plaint pas expressément de harcèlement, dès lors que les faits répétés invoqués sont ainsi ultérieurement qualifiés dans le cadre du contentieux prud’homal. La liberté d’expression du travailleur est donc largement entendue, dans le cadre du harcèlement, et ne peut être neutralisée que si la preuve de la mauvaise foi du salarié est rapportée sans aucun doute : il avait conscience de son mensonge.

Toutefois les actes dénoncés ne peuvent avoir été commis que pendant l’exécution du contrat de travail, ou du moins jusqu’à la fin effective de celui-ci (le harcèlement d’un salarié dont le contrat est suspendu est admis), et non au-delà de la rupture. C’est ce que vient de rappeler la Chambre sociale dans l’arrêt ici largement reproduit.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 19 avril 2023 (pourvoi n° 21-24.051, publié au Bulletin)


Mme [O] [D], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-24.051 contre l’arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour
d’appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [V] [M], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société [M], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
(…)
Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), Mme [D] a été engagée le 11 mars 2002 par M. [M], notaire, en qualité
    d’employée accueil standard qualifiée. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du mois de mars
    2008, puis licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 16 juillet 2008.
  2. Soutenant notamment avoir subi un harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, le 16 septembre
    2013, de demandes formées à l’encontre de M. [M] et de la société [M], tendant au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, à la nullité de son licenciement, à sa réintégration avec paiement d’une indemnité d’éviction,
    subsidiairement à défaut de réintégration, au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement
    pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au paiement de diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice
    de préavis, d’indemnité de licenciement, de rappel de salaire du mois de juillet 2008, de remise tardive des documents
    sociaux, de garantie d’emploi conventionnelle et du droit à l’information sur la formation.
    Examen des moyens
  3. (…)
  4. M. [M] fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour
    harcèlement moral, alors, « que les faits dont le salarié a connaissance après la fin du contrat de travail ne sauraient être appréhendés par les dispositions des articles L. 1151-1 et L. 1152-1 du code du travail ; que la cour d’appel qui constate que le courrier litigieux est daté du 16 octobre 2008, dernier jour du préavis conventionnel, ce dont il s’inférait qu’il n’avait pu être reçu par Madame [D] que postérieurement à la fin de ce préavis et donc à la cessation de la relation de travail la liant à Maître [M], ainsi au demeurant que Mme [D] l’admettait elle-même dans ses écritures d’appel, ne
    pouvait, sans s’expliquer sur la date à laquelle Mme [D] avait eu connaissance de ce courrier, retenir celui-ci comme
    point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral sans priver sa décision de base légale au regard des articles précités, ensemble les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail en sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013. »

    Réponse de la Cour
    Vu les articles 2224 du code civil et L. 1152-1 du code du travail :
  5. En application de l’article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de
    prescription est le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  6. Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement
    moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses
    droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
  7. Il en résulte que, d’une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié
    a connaissance, d’autre part, le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du harcèlement moral
    ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail.
  8. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par l’employeur, l’arrêt retient que le point de
    départ du délai de prescription est la date du dernier fait de harcèlement allégué par la salariée, de sorte que, celui-ci
    étant constitué par le courrier de l’employeur du 16 octobre 2008 daté du dernier jour du préavis conventionnel de trois
    mois, la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, formée le 16 septembre 2013, est recevable.
  9. En se déterminant ainsi, alors qu’elle avait relevé que la lettre de l’employeur était datée du 16 octobre 2008, dernier
    jour du préavis, sans s’expliquer sur la date à laquelle la salariée avait pris connaissance de cette lettre, la cour d’appel
    n’a pas donné de base légale à sa décision.
    PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)