Lorsqu’un accord collectif d’entreprise, voire parfois la convention collective de branche, prévoient une procédure spécifique que l’employeur doit respecter avant de prononcer une sanction disciplinaire et/ou de décider la rupture du contrat de travail, cette procédure conventionnelle constitue une garantie de fond. Ainsi sa méconnaissance par l’employeur entraîne la nullité de la sanction, ou la disqualification de la rupture : le licenciement est par exemple dit sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences indemnitaires que cela génère.

Une irrégularité peut produire les mêmes effets : mais c’est seulement si en raison de celle-ci, le salarié a été privé de ses droits à défense, ou lorsque cette irrégularité est susceptible d’avoir exercé une influence sur la décision de l’employeur. C’est ce rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit.

Cour de cassation, Chambre sociale, 8 septembre 2021 (pourvoi n°19-15.039, publié au Bulletin

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 19 décembre 2018) M. [E] a été engagé le 19 avril 1990 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Nord Midi-Pyrénées pour occuper en dernier lieu les fonctions de directeur d’agence. Il a été licencié pour faute le 25 novembre 2013 après avis du conseil de discipline.

2. Contestant son licenciement et invoquant le non-respect de la procédure disciplinaire conventionnelle, il a saisi la juridiction prud’homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L’employeur fait grief à l’arrêt de constater la nullité de la procédure disciplinaire, de dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à celui-ci une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage payées au salarié dans la limite d’un mois et de le condamner au paiement des entiers dépens, alors :

« 1°/ qu’il résulte de l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole que lorsqu’un salarié est convoqué devant le conseil de discipline, l’employeur doit procéder à la « communication de son dossier », au salarié comme au conseil, au moins 8 jours à l’avance ; que le dossier peut consister en un rapport synthétique détaillant les agissements reprochés au salarié, les éléments de preuve recueillis pouvant quant à eux être seulement tenus à disposition du salarié comme du conseil ; que la cour d’appel a elle-même constaté que le dossier adressé au salarié et au conseil de discipline contenait le même document, à savoir une synthèse des griefs imputés au salarié par l’employeur, et que les éléments de l’enquête interne réalisée par l’employeur et ayant révélé les faits reprochés au salarié avaient été tenus à sa disposition ainsi qu’à celle du conseil de discipline, aucun des deux n’ayant cependant souhaité en prendre connaissance ; qu’en jugeant cependant que l’employeur avait méconnu les exigences de l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole instituant une garantie de fond au bénéfice des salariés, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 dans sa version applicable au litige du code du travail ;

2°/ qu’il résulte de l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole que lorsque d’un salarié est convoqué devant le conseil de discipline, l’employeur doit procéder à la « communication de son dossier », au salarié comme au conseil, au moins 8 jours à l’avance ; que la communication incomplète du dossier, certains éléments n’étant communiqués ni au salarié ni au conseil de discipline, mais seulement tenus à leur disposition, ne caractérise pas la violation d’une garantie de fond, sauf si cette irrégularité a eu pour effet de priver le salarié de la faculté d’assurer utilement sa défense ; que la cour d’appel a constaté que la communication du dossier faite de la même façon au salarié et au conseil de discipline ne contenait que la synthèse des griefs imputés au salariés, à l’exclusion des éléments de l’enquête interne ayant permis de les découvrir ; que la cour d’appel en a déduit la violation d’une garantie de fond dès lors que la communication du dossier a pour objet de permettre au salarié d’assurer sa défense utilement devant le conseil de discipline chargé de donner un avis sur la mesure de licenciement envisagée par l’employeur ; qu’en statuant ainsi, après avoir elle-même constaté que le conseil de discipline avait été destinataire des mêmes éléments que le salarié, que ni l’un ni l’autre n’avaient sollicité d’autres éléments bien que le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline précisait que « les pièces correspondant aux faits exposés sont tenus à disposition des membres du conseil de discipline et de M. [X] [E] » et que le salarié avait admis avoir procédé aux ristournes qui lui étaient reprochées, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé que la remise d’un dossier incomplet avait eu pour effet de priver le salarié de la faculté d’assurer utilement sa défense, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 dans sa version applicable au litige du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 modifiée par l’accord du 18 juillet 2002 :

4. La consultation d’un organisme chargé, en vertu d’une disposition conventionnelle ou d’un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

5. L’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d’une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu’elle est susceptible d’avoir exercé en l’espèce une influence sur la décision finale de licenciement par l’employeur.

6. Aux termes de l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 modifiée par l’accord du 18 juillet 2002 relatif au conseil de discipline, le conseil de discipline est chargé de formuler un avis sur les sanctions à donner aux fautes professionnelles susceptibles d’entraîner la rétrogradation ou le licenciement du personnel titulaire. L’agent recevra communication de son dossier au moins huit jours à l’avance et pourra se faire assister d’un salarié de la caisse régionale choisi par lui. Les membres du conseil de discipline auront, dans les mêmes délais, communication du dossier.

7. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le terme « communication du dossier » signifie communication de l’entier dossier sur lequel l’employeur fonde ses poursuites disciplinaires, et non communication d’un seul élément dudit dossier, ceci afin de permettre aux membres du conseil de discipline d’appréhender de façon claire la situation qui leur est soumise et au salarié d’assurer sa défense utilement devant ce conseil de discipline chargé de donner un avis sur la mesure de licenciement envisagée par l’employeur. Il énonce que cette disposition conventionnelle, qui institue une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi, constitue une garantie de fond. Il ajoute que la convocation du salarié devant le conseil de discipline ne comportait en pièce jointe que le rapport de synthèse établi par la direction de l’établissement bancaire à l’encontre du salarié, alors que le dossier disciplinaire comportait également les éléments d’enquête interne constitués par le rapport d’audit de contrôle périodique et ses annexes comportant la liste détaillée des opérations de ristournes analysées. Il précise qu’il est indifférent que les membres du conseil de discipline aient reçu le même dossier et que le salarié n’ait pas sollicité d’autres éléments que le rapport de synthèse détaillant les faits reprochés.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l’irrégularité constatée avait privé le salarié de la possibilité d’assurer utilement sa défense devant le conseil de discipline, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE (…)