L’arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, du 1er juin 2023 reproduit ci-dessous, livre plusieurs solutions dont certaines ne sont pas de simples rappels. La thématique en est le régime de la protection légale des représentants du personnel, principalement contre le licenciement : la rupture de leur contrat de travail ne peut ainsi intervenir qu’après l’autorisation de l’Inspection du travail, et à défaut une indemnisation spécifique leur est accordé à la suite de la nullité de la rupture.

Le premier point concerne le transfert des mandats de représentation, en cas de transfert d’entreprise : si à l’occasion de ce dernier, en effet, l’établissement dans lequel le mandat a été désigné conserve son autonomie, celui-ci reste opposable au nouvel employeur. Or un employeur qui n’est pas informé de l’existence d’un mandat de représentation, n’est pas tenu de mettre en oeuvre la procédure spéciale de licenciement.

Il en est ainsi, souvent, des mandats extérieurs à l’entreprise (le mandat prud’homal par exemple), si le salarié ne le signale pas à sa hiérarchie. Mais dans le cas où l’entreprise cédante n’informe pas l’entreprise cessionnaire de l’existence de mandats qu’elle connaît, le nouvel employeur ne peut invoquer cette dissimulation pour échapper aux conséquences rigoureuses de la nullité du licenciement notifié sans autorisation administrative.

L’entreprise cessionnaire peut-elle alors engager la responsabilité de l’entreprise cédante, dans le cas où le transfert a été organisé par un lien de Droit (contrat de cession de fonds de commerce, par exemple, comme en l’espèce) ? C’est bien sûr possible, le cas échéant, mais pas devant le Conseil de prud’hommes où le salarié invoque la nullité de son licenciement : il faudra saisir le Juge civil compétent entre les deux employeurs successifs.

Dernier enseignement fourni par cette décision : l’indemnité spéciale versée au salarié victime d’un tel licenciement nul, et qui ne demande pas sa réintégration, est calculée sur la base des douze derniers mois de salaire précédant la rupture. Or si sur cette période, l’intéressé était en arrêt-maladie, l’assiette de calcul de l’indemnité est constituée des salaires précédant la suspension du contrat, et non son éviction définitive.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 1er juin 2023 (pourvoi n° 21-21.191, publié au Bulletin)

La Société de distribution automobiles creusoise, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 21-21.191 contre l’arrêt rendu le 14 juin 2021 par la cour d’appel de Limoges (chambre économique et sociale), (…)

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Limoges, 14 juin 2021), M. [C], engagé en qualité de vendeur automobile le 9 juin 1992 par la société Daraud, a été promu par la suite conseiller des ventes. Le 15 avril 2015, la société Daraud a été reprise par la société Les grands garages de la Creuse, devenue la société Distribution automobile creusois (la société DAC). Le 12 juin 2015, le salarié a été élu délégué du personnel suppléant.

3. Par acte du 9 mai 2017, la Société de distribution automobiles creusoise (la société SODAC) a racheté le fonds de commerce de la société DAC. Celle-ci a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chateauroux du 14 novembre 2018, qui a désigné la société Zanni, prise en la personne de M. Zanni, en qualité de mandataire liquidateur.

4. Placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 4 septembre 2017, le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail lors d’une visite de reprise du 4 avril 2018, puis licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 27 avril 2018.

5. Invoquant la violation de son statut protecteur, le salarié a saisi la juridiction prud’homale, le 5 mars 2019, de demandes tendant à la nullité de son licenciement prononcé sans autorisation administrative préalable et au paiement de sommes subséquentes formées à l’encontre de la société SODAC, laquelle a appelé en la cause la société DAC, représentée par son mandataire liquidateur.

Examen des moyens

(…)
7. La société SODAC fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et au titre de la violation de son statut protecteur, alors « que prive le délégué du personnel licencié du bénéfice du statut protecteur le silence sciemment conservé sur l’existence d’un mandat que l’employeur peut légitimement ignorer ; qu’en l’espèce, la SODAC avait fait valoir, dans ses conclusions d’appel, que M. [C] ne pouvait se prévaloir à l’appui de sa demande tendant à voir juger son licenciement nul, d’un mandat de délégué du personnel suppléant dont l’existence avait été occultée par l’entreprise cédante lors de son transfert et qu’il lui avait lui-même dissimulé en s’abstenant volontairement, tout au long de l’exécution de son contrat de travail, d’exercer les attributions que ce mandat lui avait confiées dans l’intérêt de la collectivité des salariés ; qu’en déclarant cependant le licenciement de M. [C] nul pour violation du statut protecteur au motif inopérant que  »… son silence ou son abstention ne pouvant valoir renoncement à son statut protecteur », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1 et L. 2411-2° du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l’article L. 2314-28, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur, telle que mentionnée à l’article L. 1224-1, le mandat des délégués du personnel de l’entreprise ayant fait l’objet de la modification subsiste lorsque cette entreprise conserve son autonomie juridique.

9. L’article L. 2411-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, dispose que le licenciement d’un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail.

10. Ayant retenu qu’à la suite du transfert de l’entité économique de la société DAC vers la société SODAC, l’entreprise avait conservé son autonomie juridique, ce qui emportait le maintien du mandat de délégué du personnel suppléant du salarié, lequel venait à échéance le 12 juin 2019, la cour d’appel, qui en a déduit que le statut protecteur du salarié imposait à la société SODAC de solliciter auprès de l’inspecteur du travail l’autorisation préalable de le licencier, peu important que l’acte de cession ne fasse pas mention de ce mandat et que le salarié n’en ait pas fait état auprès d’elle, a légalement justifié sa décision.

(…)
Enoncé du moyen

11. La société SODAC fait grief à l’arrêt de la renvoyer à mieux se pourvoir auprès du tribunal de commerce pour toutes les demandes formées à l’encontre de la société DAC représentée par son mandataire liquidateur, alors :

« 1°/ que le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs et les salariés qu’ils emploient ; que saisi par un salarié protégé après transfert de son contrat de travail d’une demande de nullité de son licenciement dirigée contre l’employeur cessionnaire, le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître de la demande en garantie dirigée par ce dernier contre l’ancien employeur en raison des irrégularités de l’acte de cession ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles L. 1224-1, L. 1224-2 et L. 1411-1 du code du travail ;

2°/ subsidiairement, qu’un tiers peut être mis en cause par une partie qui y a intérêt afin de lui rendre le jugement commun ; que ni l’article L. 1411-1 du code de procédure civile, ni les articles 331 et 332 du code de procédure civile ne s’opposent à ce que l’employeur ayant cédé l’entité économique à laquelle était attaché le contrat de travail du salarié protégé transféré soit mis en cause devant le conseil de prud’hommes afin de lui rendre le jugement commun lorsque le cessionnaire excipe de l’absence de mention du mandat dans l’acte de cession ; qu’en se déclarant incompétente pour statuer sur la demande subsidiaire formée devant elle par la SOCAC aux fins de  »déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à la SCP Olivier Zanni en qualité de liquidateur judiciaire de la société Distribution automobile creusois », la cour d’appel a violé par refus d’application les articles 331 et 332 du code de procédure civile, ensemble l’article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l’article 51 du code de procédure civile, le tribunal judiciaire connaît de toutes les demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction. Sauf disposition particulière, les autres juridictions ne connaissent que des demandes incidentes qui entrent dans leur compétence d’attribution.

13. L’article L. 1411-1, alinéa 1er, du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.

14. Il en résulte que, si le conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître du litige opposant un salarié protégé à la société cessionnaire à laquelle a été transféré le contrat de travail de ce dernier, sa compétence ne peut être étendue au différend opposant la société cessionnaire à la société cédante fondé sur l’absence alléguée de mention dans l’acte de cession de l’existence du mandat du salarié.

15. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.

(…)
Enoncé du moyen

16. Le salarié fait grief à l’arrêt de condamner la société SODAC à lui verser une certaine somme au titre de la violation du statut protecteur de délégué du personnel suppléant, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2019 pour la somme due à cette date et à compter de chaque échéance mensuelle pour celles dues postérieurement et capitalisables annuellement en application de l’article 1343-2 du code civil, alors « que le salarié, titulaire d’un mandat de représentant du personnel, licencié sans autorisation administrative et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d’une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait dû percevoir depuis la date de prise d’effet de la rupture jusqu’à l’expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois ; que cette indemnité, qui est forfaitaire, est due au salarié peu important son préjudice réel et, sauf à créer une discrimination fondée sur l’état de santé, sans que puissent être pris en compte l’arrêt de travail ou l’inaptitude du salarié intervenus pendant la période d’éviction ; qu’il s’ensuit que lorsque le salarié était placé en arrêt de travail ou déclaré inapte pendant la période d’éviction, l’assiette de calcul de l’indemnité pour violation du statut protecteur est la rémunération moyenne, commissions comprises, perçue par ce salarié avant son arrêt de travail ; qu’en l’espèce, en retenant, pour calculer l’indemnité pour violation du statut protecteur due à M. [C], la moyenne des rémunérations perçue hors commissions sur les douze mois précédant la rupture du contrat de travail motif pris qu’il était placé en arrêt de travail et déclaré inapte dès avant la période d’éviction, alors qu’il lui appartenait de prendre en compte la rémunération moyenne, commissions comprises, perçue avant l’arrêt de travail, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3-1, ensemble l’article L. 1132-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, L. 2411-1 et L. 2411-2 du même code, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :

17. En application du premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.

18. Il résulte des articles L. 2411-1 et L. 2411-2, dans leur rédaction applicable, que le licenciement d’un délégué du personnel, sans autorisation administrative de licenciement ou malgré refus d’autorisation de licenciement, ouvre droit à ce dernier à une indemnité pour violation du statut protecteur.

19. La sanction de la méconnaissance par l’employeur du statut protecteur d’un représentant du personnel, illégalement licencié et qui ne demande pas sa réintégration, est la rémunération que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois.

20. Lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d’éviction, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité due au titre de la violation du statut protecteur est le salaire moyen des douze derniers mois perçu avant l’arrêt de travail.

21. Pour allouer au salarié une certaine somme au titre de l’indemnité pour violation du statut protecteur, l’arrêt retient que le salarié est en droit de prétendre à la rémunération qu’il aurait perçue entre son licenciement jusqu’à l’issue de la période de protection, soit entre le 27 avril 2018 et le 12 décembre 2019, que durant cette période, selon avis du médecin du travail du 4 avril 2018, l’état de santé du salarié faisait obstacle à toute reprise du travail et à tout reclassement au sein de l’entreprise, qu’ainsi ce dernier ne peut prétendre qu’à une indemnisation égale à la moyenne des rémunérations qu’il a perçues, hors commissions, sur les douze mois précédant la rupture du contrat de travail et non à la moyenne des rémunérations qu’il a perçues sur les douze mois précédant son arrêt de travail.

22. En statuant ainsi, alors qu’elle devait prendre en considération la rémunération moyenne du salarié, incluant les commissions, perçue pendant les douze mois précédant son arrêt de travail pour maladie, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

(…)

PAR CES MOTIFS, (…) : REJETTE (…)