Certains candidats aux récentes élections présidentielles, promettent désormais aux français un « troisième tour » : il pourrait être électoral à l’occasion des prochaines élections législatives, ou social en raison des annonces de manifestations et/ou de grèves dans les semaines à venir. Or l’occasion vient d’être donnée à la Cour de cassation de revenir sur la protection accordée par la Loi au salarié gréviste.

L’on sait que le droit de grève est un droit fondamental, protégé par la Constitution : il s’agit d’un droit individuel, que chaque salarié peut librement décider d’exercer. Mais l’exercice de ce droit reste collégial : la grève est une cessation collective et concertée du travail, appuyant des revendications professionnelles.

Le Législateur peut toutefois encadrer l’exercice du droit de grève, pour tenir compte d’autres impératifs de rang constitutionnel. Ainsi en est-il des entreprises de transport, ou encore des services publics : dans ces derniers, un préavis syndical est nécessaire pour que les agents soient autorisés à exercer leur droit de grève.

Les organisations syndicales de salariés décident donc du début et de la fin du mouvement de grève dans ces secteurs, à l’occasion du préavis qu’elles formalisent. Les agents quant à eux peuvent librement décider de participer à la grève, dans le cadre de cette période bornée par ledit préavis : ils ne sont en revanche pas tenus d’être gréviste pendant toute la durée de la grève annoncée.

Seul le syndicat peut donc décider de mettre fin au mouvement de grève, en abrégeant par exemple le préavis. L’employeur de l’entreprise en grève, par conséquent, ne peut unilatéralement considérer que la grève est terminée ; et ce y compris si tous les salariés ont repris leur travail : tant que le préavis dure, un salarié peut encore se déclarer gréviste, même s’il est seul à participer à ce mouvement collectivement décidé.

C’est cette situation qui est éclairée par l’arrêt de la chambre sociale ci-dessous reproduit. Le salarié, le seul de l’entreprise à soudainement se déclarer gréviste, a été sommé de reprendre son emploi puisque la contestation était terminée : ayant refusé, il a été licencié pour faute grave.

Or l’article L.2511-1 du Code du travail n’autorise le licenciement (ou toute autre sanction) du salarié gréviste, qu’en cas de faute lourde, c’est-à-dire établissant l’intention de nuire de l’intéressé. Cette protection exceptionnelle n’est bien entendu accordée qu’au travailleur participant à un « vrai » mouvement de grève.

En l’occurence l’employeur prétendait que la grève était de fait terminée, et que la cessation du travail sanctionnée ne pouvait donc plus y être intégrée. Cette erreur est corrigée par la Cour de cassation : le licenciement est annulé, et le salarié réintégré s’il le souhaite (avec rappel de salaire…).

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 21 AVRIL 2022 (pourvoi n° 20-18.402, publié au Bulletin)

M. [H] [Y] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-18.402 contre l’arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d’appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l’opposant à la société Keolis CIF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 9 juillet 2020), M. [Y] [J] est salarié de la société Keolis CIF depuis 2009. Le 16 avril 2015, le syndicat CGT CIF Keolis a déposé un préavis de grève courant du 22 avril 2015 au 31 décembre 2015 pour l’ensemble du personnel de la société Keolis CIF.
  2. Le salarié s’est déclaré gréviste le 5 mai 2015. Le 17 juin 2015, l’employeur lui a enjoint de reprendre son poste au motif que, seul de l’entreprise se déclarant encore gréviste, il ne pouvait prétendre poursuivre un mouvement de grève. Il a été licencié le 16 juillet 2015 pour abandon de poste.

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation, alors :

« 1°/ que tout licenciement prononcé à l’égard d’un salarié en raison de l’exercice de son droit de grève ou de faits commis pendant l’exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde ; si dans les services publics, la grève doit être précédée d’un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier doit mentionner l’heure de début et de fin de l’arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l’absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ; qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que le préavis déposé le 16 avril 2015 par le syndicat CGT CIF Kéolis permettait l’exercice du droit de grève du 22 avril 2015 à 0 heure jusqu’au 31 décembre 2015 à 24 heures pour l’ensemble du personnel sur la totalité des dépôts et annexes des courriers d’Ile de France ; qu’en déduisant du seul fait que M. [Y] [J] s’était retrouvé être le seul salarié gréviste à compter du 8 juin 2015, la cessation de l’arrêt collectif de travail et en considérant que son absence à compter de cette date ne relevait pas de l’exercice normal de son droit de grève, la cour d’appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

2°/ que dans les services publics, la liberté reconnue aux salariés, seuls titulaires du droit de grève, de prendre part à l’action collective à l’instant et pour la durée qu’ils souhaitent s’oppose à ce que l’employeur licencie un salarié gréviste pour abandon de poste dans la période définie par le préavis déposé par un syndicat représentatif au motif qu’il est le seul à poursuivre le mouvement de grève ; qu’en retenant, pour juger fondé le licenciement pour faute grave motivé par un abandon de poste, qu’il importait peu que l’absence de M. [Y] [J], qui s’est déclaré gréviste, se situait durant la période de préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Kéolis dès lors qu’il était le seul, après le 8 juin 2015, à cesser le travail, la cour d’appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2511-1, L. 2512-1, L. 2512-2 du code du travail et l’alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :

  1. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.404, Bull. 2012, V, n° 207 ; Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-14.607, Bull. 2015, V, n° 25 ; Soc., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.078, Bull. 2016, V, n° 237), dans les services publics, la grève doit être précédée d’un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l’heure du début et de la fin de l’arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que l’employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l’absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève.
  2. Dès lors, la cessation de travail d’un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d’un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu’un seul salarié se soit déclaré gréviste.
  3. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l’arrêt retient qu’alors que le préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Keolis à compter du 22 avril 2015 courait jusqu’au 31 décembre 2015, le salarié était seul en cessation de travail dans l’entreprise depuis le 8 juin 2015, et qu’informé par l’employeur de cette situation et mis en demeure de reprendre son poste, il est demeuré absent de l’entreprise, si bien qu’il ne pouvait prétendre au statut de gréviste.
  4. En statuant ainsi, alors que le salarié était en cessation de travail dans le cadre du préavis de grève déposé par un syndicat représentatif et pendant la période couverte par celui-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)