L’arrêt ci-dessous principalement reproduit relève certes de l’état du Droit antérieur à la réforme des ordonnances de septembre 2017, et à celle de la loi du 08 août 2021, mais la solution innovante qu’y pose la Cour de cassation non seulement est applicable de nos jours, mais en outre constitue une étape supplémentaire dans la construction du régime du licenciement du salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail. Elle concerne l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur, et elle aggrave l’engagement de sa responsabilité contractuelle alors que les différentes réformes législatives tendent à la restreindre.

On rappelle que dans le cadre du suivi médical du salarié par le service de prévention et de santé au travail, le médecin du travail peut à tout moment constater son inaptitude physique au poste occupé dans l’entreprise. Plusieurs solutions peuvent alors se présenter, que l’on peut aujourd’hui synthétiser en deux majeures : soit le médecin du travail préconise des recommandations médicales pour reclasser le salarié, soit son avis d’inaptitude ne comporte aucune recommandation en ce sens.

Dans ce dernier cas, l’employeur est dispensé de toute recherche de reclassement ; dans le premier cas, il doit rechercher toutes les possibilités de reclassement, selon les recommandations du médecin du travail : en cas d’impossibilité de reclassement, ou de refus par le salarié du reclassement proposé, le licenciement redevient alors possible. Bien entendu, comme toute obligation issue du contrat de travail, cette obligation de reclassement doit être exécutée loyalement : à défaut le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Cette loyauté du reclassement s’entend notamment du respect par l’employeur des recommandations émises par le médecin du travail, qui guident strictement ses recherches : si les propositions de reclassement s’en éloignent, la responsabilité de l’employeur est engagée. En revanche si la proposition de reclassement s’y conforme, une seule suffit à libérer l’employeur, même s’il existait en principe d’autres postes accessibles et disponibles.

Il est recommandé en pratique de vérifier auprès du médecin du travail, qui peut être consulté sur ce point pendant les recherches de reclassement, la compatibilité de l’offre de reclassement avec les nouvelles capacités physiques et psychiques du salarié. En l’occurence, la preuve de la conformité du reclassement avec les recommandations médicales ayant assorti l’inaptitude, en sera objectivement rapportée.

Mais comment apprécier la légitimité du licenciement du salarié physiquement inapte, quand il a refusé une proposition de reclassement préalable de l’employeur, alors même que ce dernier n’était pas tenu de rechercher un tel reclassement ? En l’occurence la règlementation sociale actuelle ne vise que l’hypothèse où le médecin du travail n’a émis aucune recommandation médicale de reclassement.

L’employeur étant légalement autorisé à licencier immédiatement le salarié, on pourrait en déduire que sa proposition facultative de reclassement échappe au champ d’appéciation judiciaire du licenciement abusif. A l’inverse si le salarié accepte un tel reclassement, l’employeur manque à son obligation de santé et sécurité au travail : mais par définition le Juge ne peut être conduit à apprécier la rupture du contrat de travail que postérieurement.

Par conséquent en cas de refus par le salarié de cette proposition, ayant conduit à son licenciement, on pourrait exclure toute responsabilité de l’employeur même si celle-ci n’était pas conforme à l’avis du médecin du travail. Le paradoxe apparaît d’emblée dans l’état actuel du Droit, puisqu’en l’occurence il n’existe aucune recommandation médicale de reclassement.

Mais il existe bien un avis médical du médecin du travail : l’inaptitude physique du salarié à son poste dans l’entreprise. Ainsi dans le cas où l’employeur choisit quand même de proposer un reclassement, et même de façon vertueuse en créant un poste de travail au profit de l’intéressé, il ne peut omettre d’obtenir l’avis du médecin du travail quant à l’inaptitude physique du travailleur sur ce reclassement, et devra en tout état de cause s’y conformer.

A défaut, selon l’arrêt du 21 juin 2023, le licenciement sera disqualifié au motif de l’exécution déloyale de l’obligation de reclassement, même si la Loi ne l’impose pas et même si le salarié l’a refusée. La Chambre social ajoute ici une contrainte supplémentaire à la charge de l’employeur, dans la procédure déà complexe du licenciement du salarié déclaré physiquement inapte.

COUR DE CASSATION, Cambre sociale, 21 juin 2023 (pourvoi n° 21-24.279, publié au Bulletin)

La société GBB., société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-24.279 contre l’arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d’appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l’opposant à M. [I] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rouen, 16 septembre 2021), M. [M] a été engagé en qualité de plombier-chauffagiste par la société CGB le 15 octobre 1982.

2. Il a été victime le 2 novembre 1984 d’un accident du travail et placé en arrêt de travail à plusieurs reprises, en dernier lieu le 6 mars 2017.

3. Il a été déclaré inapte par le médecin du travail et une proposition de reclassement, qu’il a refusée, lui a été faite le 29 mai 2017.

4. Il a été licencié le 16 juin 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

5. Le 28 septembre 2017, il a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement et obtenir paiement de diverses indemnités.

(…)

7. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que les propositions de reclassement faites par l’employeur au-delà de son obligation légale, ne peuvent lui être imputées à faute ni lui être opposées pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne seraient-elles pas compatibles avec l’état de santé du salarié ; que l’obligation légale de reclassement, qui s’impose à l’employeur lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste de travail, n’implique pas l’obligation d’envisager la création d’un nouveau poste conforme aux prescriptions du médecin du travail ; que lorsque l’employeur décide, au-delà de son obligation légale de reclassement, de proposer un poste qu’il envisage de créer pour le salarié déclaré inapte, le fait qu’il n’ait pas soumis ce poste à l’appréciation du médecin du travail est sans incidence sur le bien-fondé du licenciement ; qu’en affirmant en l’espèce que  »Dans la mesure où comme développé plus avant, l’employeur a proposé un poste de reclassement sans s’assurer auprès du médecin du travail de sa compatibilité avec l’état de santé du salarié et n’a pas pris en compte le motif de son refus pour accomplir les diligences nécessaires auprès du médecin du travail et envisager, au besoin, un aménagement du poste proposé en fonction de son avis, alors qu’en proposant un poste d’assistant administratif, l’employeur admettait le besoin de création d’un tel poste, il n’a pas rempli son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale, ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse », la cour d’appel a violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail dans leur version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l’article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

9. L’article L. 1226-12 du même code dispose que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

10. Il résulte de ces textes que lorsque l’employeur propose un poste au salarié déclaré inapte, il doit s’assurer de la compatibilité de ce poste aux préconisations du médecin du travail, le cas échéant en sollicitant l’avis de ce médecin, peu important que le poste ait été créé lors du reclassement du salarié.

11. L’arrêt constate que l’employeur a proposé au salarié un poste d’assistant administratif créé pour lui, que ce poste impliquait la conduite d’un véhicule dans des conditions et un périmètre non précisés, que le médecin du travail, sans exclure les déplacements, avait exclu un maintien long dans une même position et que le salarié, qui a refusé le poste, avait évoqué l’incompatibilité du poste avec son état de santé.

12. L’arrêt relève ensuite que l’employeur n’a pas pris en compte le motif du refus du salarié et ne s’est pas assuré auprès du médecin du travail de la compatibilité de ce poste avec l’état de santé du salarié ou des possibilités d’aménagements qui auraient pu lui être apportées.

13. En l’état de ces constatations, dont elle a déduit que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)