La restructuration d’une entreprise est souvent source de tension sociale, mais aussi de risques contentieux en raison des conséquences juridiques qu’elle peut avoir sur la gestion des ressources humaines. Les relations individuelles de travail (transfert de contrat, mutation, modification des conditions de travail etc.), comme les relations collectives, sont concernées.

S’agissant des relations sociales dans l’entreprise, la question du statut collectif applicable aux nouvelles structures est des plus éminentes. Celle des institutions représentatives du personnel est d’habitude moins délicate, parce que leur réorganisation et la redéfinition de leur champ, leurs moyens, leur composition etc. sont en pratique envisagées dans le cadre même de la restructuration.

Toutefois les répercussions de ces profondes modifications qu’entraîne ce type d’opération peuvent être différées, ou mal anticipables. L’exemple nous en est donné par l’arrêt ci-dessous signalé, par lequel la Cour de cassation rappelle que la détermination de la représentativité syndicale dans l’entreprise est figée pendant toute la durée du cycle électoral ayant permis de la déterminer.

Cette solution connue protège d’habitude la représentation syndicale. Dans le cas présent, elle va desservir l’organisation salariée.

En l’espèce un syndicat salarié a fait la preuve de sa représentativité dans un établissement, et y a désigné des représentants en conséquence ; cet établissement est absorbé par un autre établissement de l’entreprise. La définition juridique et pratique de cette absorption est discutable, et peut influer sur la décision judiciaire (qui absorbe qui, puisqu’il ne s’agit pas de la fusion de deux sociétés ou personnes morales ? N’y a-t-il pas fusion, et donc naissance d’une troisième structure sociale en lieu et place des deux anciennes ? Quid du transfert des mandats des représentants syndicaux de l’établissement absorbé etc. ?).

Ces questions ne se posaient visiblement pas dans le contentieux tranché en l’occurrence par la Chambre sociale. Le syndicat décide en tout état de cause, quelques temps après cette restructuration, de désigner des représentants au sein de l’établissement absorbant : délégué syndical et représentant syndical au CSE.

Or n’ayant pas présenté de candidat aux dernières élections tenues dans ledit établissement, et n’y ayant donc pas fait la preuve de sa représentativité, il ne pouvait procéder à ces désignations : seul un représentant de section syndicale peut le cas échéant être désigné. Il faudra donc attendre le renouvellement du CSE dans l’établissement absorbant, et l’organisation de nouvelles élections, pour que ce syndicat puisse alors établir par son score au premier tour, son éventuelle représentativité afin de procéder aux désignations afférentes.

Cette représentativité sera établie jusqu’au terme du nouveau cycle électoral. A moins bien sûr qu’une nouvelle restructuration ne vienne la remettre en cause…

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 5 JANVIER 2022 (pourvoi n° 21-13.141, publié au Bulletin)

1°/ La Fédération des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance CGT, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ M. [U] [W], domicilié [Adresse 1],

3°/ Mme [S] [M], domiciliée [Adresse 5],

ont formé le pourvoi n° T 21-13.141 contre le jugement rendu le 1er mars 2021 par le tribunal judiciaire de Pau (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :

1°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la Société générale, société anonyme, prise en son établisssement de Pau, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Pau, 1er mars 2021), lors de l’organisation des élections des membres du comité social et économique, qui se sont déroulées au sein des différents établissements de janvier à décembre 2019, la Société générale comportait deux directions de l’exploitation commerciale (DEC) dans le département des Pyrénées-Atlantiques, la DEC de Pau et la DEC de Bayonne, qui disposaient chacune d’un comité social et économique (CSE) d’établissement.
  2. Le 17 février 2020, la DEC de Bayonne a été absorbée par la DEC de Pau et de cette fusion est issue, à compter du mois de juin 2020, la direction commerciale régionale (DCR) de Pau.
  3. Par lettre du 17 septembre 2020, la Fédération des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance CGT (le syndicat CGT) a désigné M. [W] en qualité de délégué syndical au sein de l’établissement DCR de Pau et Mme [M] en qualité de représentant syndical au CSE de ce même établissement.
  4. (…)
  1. Le syndicat CGT, M. [W] et Mme [M] font le même grief au jugement, alors :

« 1°/ que lorsqu’un établissement est absorbé par un autre au sein d’une même entreprise, une organisation syndicale qui a fait la preuve de sa représentativité au sein de l’établissement absorbé aux dernières élections doit pouvoir désigner un délégué syndical au sein de l’établissement issu de l’absorption et un représentant syndical au comité social et économique d’établissement de ce dernier afin que les salariés de l’établissement absorbé soient représentés jusqu’aux prochaines élections par l’organisation syndicale qu’ils ont élue ; qu’en l’espèce, en exigeant de la Fédération CGT, pour qu’elle puisse désigner un délégué syndical et un représentant au comité social et économique de l’établissement de Pau, avec lequel l’établissement de Bayonne avait fusionné, qu’elle rapporte la preuve de sa représentativité dans l’établissement de Pau, quand il n’était pas contesté que cette organisation syndicale avait obtenu 64 % des suffrages aux dernières élections des membres titulaires du comité social et économique de l’établissement de Bayonne, de sorte qu’elle était en droit de désigner un délégué syndical et un représentant syndical au comité social et économique d’établissement au sein de l’établissement de Pau afin qu’ils représentent la collectivité des salariés venant de l’établissement de Bayonne, le tribunal judiciaire a violé les dispositions des articles L. 2143-3, L. 2314-2 et L. 2122-1 du code du travail tels qu’interprétés à la lumière des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

2°/ en toute hypothèse, que le fait que la représentativité des organisations syndicales soit établie pour toute la durée du cycle électoral même si le périmètre de l’entreprise se trouve modifié ne fait pas obstacle à ce qu’une organisation syndicale désignée représentative dans un établissement puisse se prévaloir durant tout le cycle électoral de cette représentativité quand bien même cet établissement serait absorbé par un autre ; qu’en retenant, pour refuser à la Fédération CGT le droit de désigner un délégué syndical et un représentant au comité social et économique de l’établissement de Pau, avec lequel l’établissement de Bayonne avait fusionné, que la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral quand bien même le périmètre de l’entreprise se trouve modifié, quand la Fédération CGT se prévalait précisément de la représentativité qu’elle avait acquise en début de cycle électoral au sein de l’établissement de Bayonne, afin de désigner des représentants syndicaux au sein de l’établissement de Pau dans l’attente des prochaines élections, le tribunal judiciaire a violé les dispositions des articles L. 2143-3, L. 2314-2 et L. 2122-1 du code du travail tels qu’interprétés à la lumière des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

  1. En application des articles L. 2121-1, L. 2122-1, L. 2143-5 et L. 2314-2 du code du travail, la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral y compris en cas de modification du périmètre de l’entreprise.
  2. Ayant constaté que le syndicat CGT n’avait pas présenté de candidats dans l’établissement de Pau lors des dernières élections professionnelles, le tribunal en a exactement déduit que, n’étant pas représentatif au sein de cet établissement, il ne pouvait procéder à la désignation d’un délégué syndical et d’un représentant syndical au CSE auprès de cet établissement, peu important que l’établissement de Pau ait absorbé celui de Bayonne où ce syndicat avait été reconnu représentatif.
  3. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)