Le régime légal du contrat à durée déterminée (CDD) est sévère : il s’agit d’un contrat atypique, réputé alimenter la précarité de la situation des salariés. Par conséquent les sanctions sont conséquentes pour l’entreprise employeur.

La requalification du CDD en contrat à durée indéterminée (CDI), elle-même accompagnée en principe d’une indemnité forfaitaire minimale équivallente à 1 mois de salaire, est ainsi encourrue dès lors que le corpus formel du contrat est irrégulier, ou encore que les limites en terme de durée ne sont pas respectées, que le motif de recours est illégitime etc. Or cette requalification imposant le respect de la procédure de licenciement, la fin des rapports contractuels est là encore souvent disqualifiée, le salarié bénéficiant (au-delà de l’indemnité dite « de précarité » versée au terme de ce qui était alors considéré comme un CDD…) des indemnités de rupture du CDI (préavis et indemnité de licenciement) et des dommages-intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse.

Par trois arrêts publiés et rendus à la même date du 02 juin 2021, la Cour de cassation a toutefois rappelé que cette requalification du CDD en CDI, ainsi que ses conséquences financières, devaient être strictement envisagées. Ainsi le calcul des indemnités de rupture, comme du solde de tout compte, doit-il être soumis aux règles y afférentes, que ce soit au profit comme au détriment du salarié, sans être influencé par ladite requalification.

1ère espèce : Cour de cassation, Chambre sociale, 02 juin 2021 (pourvoi n° 19-18.080, publié au Bulletin)

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 25 avril 2019), M. [X] a été engagé à compter du 21 août 2007 par la société d’Edition de Canal Plus, en qualité de graphiste vidéo, puis de réalisateur, selon plusieurs contrats à durée déterminée.

2. Après diminution de la fréquence des jours travaillés à compter du mois de janvier 2013, la relation de travail a cessé le 30 mai 2015.

3. Le 14 décembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande tendant à la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée et de diverses demandes liées à l’exécution ou à la rupture du contrat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement, de rappel de la prime de treizième mois et sur le fondement de l’article L. 1245-2 du code du travail, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre des intérêts de retard, ainsi qu’une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile, alors « que la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; que réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; ainsi, en cas de requalification de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, la rémunération de référence doit être établie en fonction des sommes correspondant à la durée du travail convenue entre les parties, sauf pour le salarié à démontrer qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur durant les périodes séparant les différents contrats à durée déterminée ; qu’après avoir requalifié les contrats à durée déterminée du salarié en un contrat à durée indéterminée, la cour d’appel a retenu, par motifs propres et adoptés, pour fixer le salaire de référence de ce dernier et condamner l’exposante au titre de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité de préavis et congés payés afférents, de l’indemnité de requalification, du rappel de treizième mois ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, qu’à compter du mois de janvier 2013, la société avait diminué le nombre de jours de travail du salarié en lui fournissant moins de contrats, diminuant ainsi son salaire, ce qu’elle n’aurait pu faire dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en sorte que, les contrats à durée déterminée ayant été requalifiés, il convenait de se fonder sur la rémunération qui était celle du salarié avant que n’intervienne la baisse de la durée du travail imposée par l’employeur ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a considéré que la durée du travail du salarié devait se déduire de la requalification en contrat à durée indéterminée à laquelle elle a procédé, a violé les articles L. 1245-1 et L. 1245-2 dans leur rédaction alors applicable du code du travail, ensemble les articles 1134 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 1315, devenu 1353 du code civil.  »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1245-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les autres stipulations contractuelles.

6. Pour condamner l’employeur à payer diverses sommes à titre d’indemnité de requalification, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de prime de treizième mois et d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt relève que l’examen des bulletins de paie montre qu’à compter du mois de janvier 2013, l’employeur a baissé le nombre des jours de travail et cela jusqu’au 31 mai 2015. L’arrêt retient ensuite la moyenne des douze derniers mois effectivement travaillés avant la baisse imposée par l’entreprise pour fixer la rémunération mensuelle de référence à 2 575 euros et, par suite, les sommes dues au salarié en conséquence de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée.
 
7. En statuant ainsi, alors que la détermination des jours de travail, qui résultait de l’accord des parties intervenu lors de la conclusion de chacun des contrats, n’était pas affectée par la requalification en contrat à durée indéterminée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation prononcée n’emporte pas cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant l’employeur aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à l’encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)

2ème espèce : Cour de cassation, Chambre sociale, 02 juin 2021 (pourvoi n° 20-10.141, publié au Bulletin)

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 21 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 17 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.207), M. [Y] a été engagé, à compter du 4 octobre 2004, en qualité de consultant pigiste par la société Canal plus devenue la Société d’édition de Canal plus (la société), suivant plusieurs lettres d’engagement à durée déterminée.

2. La relation entre les parties ayant cessé au terme du dernier engagement intervenu le 15 août 2012, le salarié a, le 22 novembre 2013, saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein et le paiement d’un rappel de salaires et accessoires ainsi que de diverses sommes au titre de la rupture.

(…)

Enoncé du moyen

4. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement de diverses sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, alors « que le montant de l’indemnité compensatrice de préavis correspond aux sommes que le salarié aurait perçues s’il avait continué à travailler durant le préavis ; que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; qu’en l’espèce, la société avait fait valoir que l’indemnité de préavis devait être calculée sur la base du salaire moyen des 12 derniers mois du salarié, lequel s’établissait à la somme de 725,52 euros ; que, pour fixer le montant de ladite indemnité à la somme de 123 15,06 euros, représentant trois mois d’un salaire de 4 105,02 euros, la cour d’appel a retenu que les contrats à durée déterminée ayant été requalifiés en contrat à durée indéterminée, ’’le défaut d’exécution du délai congé résulte de [l’]action fautive [de l’employeur] et il est tenu de payer une indemnité compensatrice de préavis correspondant à une durée du travail à temps complet, puisque c’est de son fait si aucun travail n’a été fourni et si [le salarié] n’a pas été en mesure de rester à disposition durant cette période’’ ; qu’en retenant une rémunération calculée sur la base d’un temps plein, laquelle ne correspondait toutefois nullement à celle à laquelle le salarié aurait pu prétendre si la relation de travail s’était poursuivie jusqu’au terme du préavis, le salarié ne travaillant que quelques jours par mois et ayant été débouté, aux termes de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Versailles du 7 juillet 2016, de ses demandes de rappel de salaire au titre des périodes d’inter-contrats, la cour d’appel a violé l’article L. 1234-5 du code du travail, ensemble l’article VIII du chapitre V de la convention collective d’entreprise de la société Canal plus, ainsi que les articles 1245-1 et L. 1245-2 dans leur rédaction alors applicable du code du travail et l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.  »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1234-5 du code du travail :

5. Selon ce texte, l’inexécution du préavis n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnités de congés payés comprises.

6. Pour condamner l’employeur à verser une certaine somme à titre d’indemnité compensatrice de préavis, l’arrêt, après avoir rappelé qu’en raison de la requalification en contrat à durée indéterminée, l’employeur ne pouvait rompre la relation de travail du fait de l’arrivée du terme du dernier contrat conclu et que, dès lors, le défaut d’exécution du délai-congé résultait de son action fautive, retient que l’employeur est tenu de payer une indemnité compensatrice de préavis correspondant à une durée de travail à temps complet, puisque c’est de son fait si aucun travail n’a été fourni au salarié et si ce dernier n’a pas été en mesure de rester à disposition durant cette période.

7. En se déterminant ainsi, sans préciser si au jour de la rupture, le salarié était engagé à temps complet ou à temps partiel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)

3ème espèce : Cour de cassation, Chambre sociale, 02 juin 2021 (pourvoi n° 19-16.183, publié au Bulletin)

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), M. [X] a été engagé par la société Ubiqus en qualité de rédacteur, par une succession de contrats à durée déterminée du 26 novembre 2002 au 24 janvier 2013.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale, le 18 septembre 2013, de demandes en requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, en qualification de la rupture du contrat en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, d’indemnités de requalification, de préavis et de rupture, calculées sur la base du salaire d’un rédacteur permanent à temps complet.

(…)

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l’arrêt de limiter à une certaine somme celle allouée à titre de rappel de salaire pour les périodes inter-contrats, outre les congés payés afférents, alors « qu’il résulte de l’article L. 3121-1 du code du travail que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles ; que constitue du temps de travail effectif devant être rémunéré comme tel le temps durant lequel un salarié se tient à la disposition de son employeur durant les périodes dites interstitielles séparant les contrats à durée déterminée successifs conclus avec lui ; que la cour d’appel a constaté qu’il était établi que le salarié se tenait à la disposition permanente de la société pendant les périodes interstitielles, ce dont il résultait qu’il devait être rémunéré sur la base d’un temps complet ; qu’en déclarant bien fondée sa demande de rappels de salaires durant ces périodes, tout en la calculant sur la base d’un temps partiel, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et, partant, a violé les articles L. 1245-1 et L. 3121-1 du code du travail dans leur version alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1245-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l’article L. 3121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Il résulte du premier de ces textes que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat.

6. Par ailleurs, il incombe au salarié qui sollicite un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles de rapporter la preuve qu’il est resté à la disposition de l’employeur durant les périodes séparant deux contrats à durée déterminée.

7. Pour limiter à une certaine somme le montant du rappel de salaire dû au titre des périodes interstitielles, l’arrêt, après avoir retenu que le salarié, qui s’était tenu à la disposition de l’employeur, était bien fondé en sa demande de rappel de salaire, ajoute qu’en revanche l’intéressé ne peut prétendre à un rappel de salaire sur la base d’un temps complet dans la mesure où il résulte des bulletins de paie qu’il a toujours travaillé à temps partiel pour une durée ne dépassant pas 100 heures par mois.

8. En statuant ainsi, retenant pour base de calcul du montant du rappel de salaire dû la durée moyenne mensuelle de travail obtenue par l’addition des durées des contrats à durée déterminée exécutés rapportée au mois, et non la réalité de la situation de chaque période interstitielle telle que résultant de chacun des contrats à durée déterminée l’ayant précédée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l’arrêt de limiter à une certaine somme celle allouée à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, alors « qu’en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée, le salaire mensuel de référence est le salaire mensuel d’un salarié permanent à temps plein lorsque le salarié est demeuré à la disposition de l’employeur durant les périodes contractuelles et les périodes interstitielles ; qu’en calculant l’indemnité compensatrice de préavis sur la base du salaire mensuel moyen perçu par le salarié dans le cadre de son dernier contrat à durée déterminée à temps partiel et non sur la base du salaire d’un rédacteur permanent à temps plein, sans examiner la disponibilité du salarié sur l’ensemble de la période contractuelle, y compris durant les périodes interstitielles, et ce depuis le jour du premier contrat à durée déterminée irrégulier, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1 et L. 1234-1 du code du travail dans leur version applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail :

10. Selon ces textes, l’indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au montant des salaires qu’il aurait perçus s’il avait travaillé pendant la durée du préavis.

11. Pour limiter la somme allouée à titre d’indemnité de préavis, l’arrêt retient que le salaire mensuel moyen étant en dernier lieu de 407,21 euros, il y a lieu d’allouer au salarié une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire soit la somme de 814,42 euros.

12. En statuant ainsi, en se basant sur un salaire moyen perçu pour les seules périodes contractuelles antérieures à la rupture, sans prendre en compte le salaire que le salarié aurait dû percevoir s’il avait pu exécuter le préavis, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)