L’article L.1224-1 du Code du travail impose le transfert du contrat de travail en cours au nouvel employeur, en cas de transfert d’entreprise. Il s’agit d’une disposition impérative que ni le Juge, ni les parties, ne peuvent contrarier ; et ce transfert est automatique.
Mais les parties au contrat de travail, ou un accord collectif, peuvent organiser le transfert du contrat de travail sans que les conditions déclenchant l’application de l’article L.1224-1 susvisé soient réunies. Cela imposera d’ailleurs l’expression du consentement exprès des trois parties à l’opération (ancien et nouvel employeur, et salarié).
Or dans ce cadre, le contrat de travail est rompu et un nouveau contrat de travail est conclu, qui reprend toutefois les clauses du précédent : ancienneté, rémunération, durée de travail etc. La novation du contrat de travail entraîne ainsi les effets de sa résiliation.
Et s’il ne s’agit ni d’une démission, ni d’un licenciement ou d’une rupture conventionnelle, certaines conséquences de la résiliation vont pourtant s’exprimer, comme par exemple l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. C’est ce que décide la Cour de cassation, dans l’arrêt ci-dessous partiellement reproduit.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 2 juillet 2025 (pourvoi n° 23-20.428, publié au Bulletin)
M. [Y] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 23-20.428 contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la cour d’appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société [T] [P], venant aux droits de la société Alliance MJ, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], représentée par Mme [T] [P], prise en qualité de liquidatrice judiciaire de la société Isoprotect Rhône-Alpes,
2°/ à l’AGS CGEA de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 18 janvier 2023) et les productions, la société Isoprotec Rhône-Alpes exerçait son activité dans le secteur de la sécurité privée et relevait de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
2. M. [O], engagé en qualité d’agent de sécurité, a été repris, le 1er mars 2016, par la société GIP, nouvel attributaire du marché de sécurité auquel il était affecté.
3. Par jugement du 17 mai 2017, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Isoprotect Rhône-Alpes, la société Alliance MJ étant désignée en qualité de liquidatrice, aux droits de laquelle vient la société [T] [P].
4. Le salarié a saisi, le 9 janvier 2018, la juridiction prud’homale pour que soient fixées au passif de la liquidation de la société Isoprotect Rhône-Alpes diverses sommes, notamment à titre de rappel d’heures supplémentaires et d’indemnité pour travail dissimulé.
(…)
5. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande au titre du travail dissimulé et de mettre hors de cause l’Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 4] sur ce chef de demande, alors « que lorsque les conditions de l’article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre résultant de l’application de dispositions conventionnelles constitue une novation de ce contrat, qui emporte ainsi rupture du contrat de travail initial et création d’un nouveau contrat de travail ; qu’il s’ensuit que le salarié transféré en vertu de telles dispositions conventionnelles peut, postérieurement à la novation du contrat de travail, demander à son ancien employeur le paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue par l’article L. 8223-1 du code du travail, qui est dès lors exigible ; que, pour débouter le salarié de sa demande au titre du travail dissimulé, la cour d’appel a rappelé que »l’indemnité de travail dissimulé de l’article L. 8223-1 du code du travail n’est due qu’en cas de rupture du contrat de travail », puis s’est bornée à relever qu’ »en l’espèce, dès lors que la société Isoprotect Rhône-Alpes était devenue l’employeur à la suite de la société Isopro sécurité privée Sud Ouest par application de l’article L. 1224-1 du code du travail et que le contrat de travail n’avait jamais été rompu par l’une ou l’autre de ces deux sociétés, c’est à tort que le jugement a fixé une créance au titre du travail dissimulé » ; qu’en statuant ainsi, cependant qu’elle constatait que le contrat de travail du salarié avait été conventionnellement transféré, le 1er mars 2016, au nouvel adjudicataire du marché, la société GIP, ce dont il résultait que son contrat de travail avait été nové, donc que le contrat de travail le liant initialement à la société Isopro sécurité privée Sud Ouest, puis à la société Isoprotect Rhône-Alpes, avait été rompu, en sorte que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue par l’article L. 8223-1 du code du travail était, depuis la date dudit transfert conventionnel, exigible, la cour d’appel a violé l’article L. 8223-1 du code du travail, ensemble les dispositions de l’avenant du 28 janvier 2011 à l’accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel, attaché à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 8223-1 du code du travail et 3.1.1 de l’avenant du 28 janvier 2011 à l’accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel relevant de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 :
6. Selon le premier de ces textes, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 du code du travail ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
7. Aux termes du second, pour les salariés repris, l’entreprise entrante établira un avenant au contrat de travail dans lequel elle mentionnera le changement d’employeur et reprendra l’ensemble des clauses contractuelles qui lui seront applicables sous réserve du respect des dispositions de l’article 3.1.2 de l’avenant.
8. Les dispositions de l’avenant du 28 janvier 2011 à l’accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel relevant de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 ne prévoient pas que le nouvel employeur est tenu des obligations qui incombaient à l’ancien employeur au moment de la reprise des salariés.
9. Il résulte de la combinaison de ces textes que si un avenant au contrat de travail conclu avec le nouvel employeur reprend l’ensemble des clauses contractuelles du contrat de travail du salarié, la relation de travail avec l’ancien employeur est rompue de sorte que ce dernier, qui a eu recours au salarié dans les conditions de l’article L. 8221-3 du code du travail ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code, est redevable de l’indemnité pour travail dissimulé.
10. Pour débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que cette indemnité n’est due qu’en cas de rupture du contrat de travail et que dès lors que la société Isoprotect Rhône-Alpes était devenue l’employeur à la suite de la société Isopro sécurité privée Sud Ouest par application de l’article L. 1224-1 du code du travail et que le contrat de travail n’avait jamais été rompu par l’une ou l’autre de ces deux sociétés, c’est à tort que le jugement a fixé une créance au titre du travail dissimulé.
11. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le salarié avait été repris par le nouvel adjudicataire du marché, ce dont il résultait qu’ à l’occasion de ce transfert conventionnel, il avait été mis fin à la relation contractuelle liant le salarié à la société Isoprotect Rhône-Alpes, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
(…)
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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