L’actuelle réforme de l’assurance chômage est l’occasion pour le gouvernement et sa majorité parlementaire, de rappeler le caractère exceptionnel des « contrats courts », soient les contrats de travail à durée déterminée (CDD) ou intérimaire. Le principe, issu des et/ou confirmé par les Droits suprational et international, est que la forme normale du contrat de travail reste le contrat à durée indéterminée.
C’est sur ce fondement que la règlementation sociale encadre sévèrement la formation comme la rupture du CDD ; les conséquences de ces contraintes légales peuvent être lourdes pour l’employeur. L’arrêt ici exposé rappelle cette sévérité, dans une affaire anecdotique touchant le secteur de l’industrie musicale, dont les paillettes ne couvrent évidemment que la surface…
En l’espèce une « major » ayant « signé » un célèbre groupe pop-rock français pour 3 albums, n’entend pas donner suite après la sortie du premier, dont l’exploitation n’a peut-être pas eu le succès commercial escompté, malgré le succès d’estime. Il faut traduire désormais sur le plan juridique (un groupe n’étant souvent qu’un collectif dénué de toute personnalité juridique) : une société ayant conclu un CDD avec chaque membre du groupe, décide de résilier ces contrats de travail salarié de manière anticipée.
Or une telle rupture anticipée est en principe interdite, hormis quelques cas limitativement énoncés par la Loi. En aucune manière notamment, ce contrat ne peut être résilié pour un motif économique.
Les artistes salariés initient donc un contentieux prud’homal, au terme duquel le Juge va logiquement constater le caractère abusif de ces résiliations. Se pose donc alors la question de l’indemnisation des préjudices afférents.
Sur ce point, l’article L.1243-4 du Code du travail forfaitise le montant des dommages-intérêts dûs par l’employeur. En cas de faute grave du salarié, ou de son inaptitude physique, aucune indemnisation n’est due ; en cas d’évènement de force majeure, le salarié perçoit une indemnité équivalente aux salaires restant dûs jusqu’au terme du contrat ; dans les autres cas, l’indemnité est alors au minimum le solde de ces rémunérations restant dues.
Le Juge du fond est souverain pour apprécier le montant de ces dommages-intérêts, hormis les cas précisément susvisés, dont la Loi ne fixe donc ici que le montant minimal. Rien n’empêche donc les salariés de fixer leur demande indemnitaire à un niveau supérieur, en fonction par exemple ici, de la perte de chance de concevoir d’une part, et d’exploiter d’autre part, les deux autres albums contractuellement prévus par l’employeur.
Cette appréciation est licite, même si ces rétributions dont l’opportunité est perdue, n’ont pas la nature de salaire ; même si elles ne pouvaient être perçues qu’à l’occasion de prestations que les artistes n’ont par définition pas exécutées. Et même si ayant été « signé » par une autre « major » concurrente, le groupe a bien conçu et exploité un autre album par la suite…
Cour de cassation, chambre sociale, 3 juillet 2019 (pourvois n° 18-12306, 18-12307, 18-12308 et 18-12309, publié au bulletin)
(…)
Attendu, selon les arrêts attaqués ( Paris, 6 février 2018), que Mme X…, MM. R…, J… et I…, membres du groupe Superbus, ont conclu un contrat d’exclusivité le 17 novembre 2011 avec la société Universal Music France (la société) pour l’enregistrement en studio de phonogrammes permettant la réalisation de trois albums fermes dont seul le premier a été réalisé ; que le 11 mai 2015, la société leur a notifié la résiliation du contrat ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale afin d’en contester la rupture et réclamer des sommes afférentes ;
Attendu que la société fait grief aux arrêts de la condamner à verser à chacun des artistes une certaine somme en réparation de leur préjudice économique sous déduction des avances sur redevances, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en matière de responsabilité contractuelle, les dommages et intérêts ne doivent comprendre que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ; que, s’agissant de la rupture anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée, le préjudice indemnisable ne peut comprendre que ce qui aurait été dû par le cocontractant fautif si le contrat avait été exécuté ; qu’en énonçant, pour inclure dans le préjudice économique des salariés la perte de chance de percevoir des rémunérations au titre des droits d’auteur, de la diffusion, de la copie privée, des représentations, du merchandising, de l’utilisation de l’image et autres attributs de la personnalité, qui n’auraient pas été dues par la société Universal Music France si le contrat d’exclusivité du 17 novembre 2011 avait été exécuté jusqu’à son terme, que l’article L. 1243-4 du code du travail, qui vise les sommes dues jusqu’au terme du contrat, ne fixe qu’un seuil d’indemnisation et n’empêche pas que l’artiste-interprète obtienne réparation de son entier préjudice, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé l’article 1231-4 du code civil (ancien article 1151 du même code), l’article L. 1243-4 du code du travail et le principe de réparation intégrale ;
2°/ que les juges du fond doivent évaluer distinctement les différents chefs de préjudice résultant d’une inexécution contractuelle ; qu’en se bornant à relever, pour allouer à chaque salarié une certaine somme en réparation du préjudice économique que lui aurait causé la rupture anticipée du contrat d’exclusivité du 17 novembre 2011, qu’il convenait de tenir compte de ce que le montant des redevances sur les albums LP6 et LP7 devait être calculé sur la base des ventes de l’album LP5 et que la promotion n’aurait pu permettre d’atteindre l’objectif de 90 % de 170 000 exemplaires, de ce que le montant des droits d’auteur invoqués par les salariés était surévalué car incluant les droits perçus au titre de textes écrits pour d’autres artistes-interprètes, de ce que les rémunérations qui aurait été perçues pour la diffusion et la copie privée devaient être minorées, les pièces attestant des droits perçus par M. R… ne correspondant pas nécessairement à son travail avec le groupe Superbus, et de ce que des rémunérations auraient été perçues pour les représentations publiques et médiatiques, le merchandising, l’utilisation de l’image et des autres attributs de la personnalité, sans évaluer chaque chef de préjudice de manière distincte, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de vérifier le respect du principe de réparation intégrale, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du même code), de l’article L. 1243-4 du code du travail et du principe de réparation intégrale ;
3°/ qu’en outre, l’indemnité réparant la perte de chance résultant d’une inexécution contractuelle se mesure à la chance perdue et correspond à une fraction du préjudice ; qu’en allouant à chaque salarié une certaine somme en réparation de son préjudice économique, constitué de la perte de chance de percevoir diverses rémunérations en suite de l’exécution du contrat d’exclusivité du 17 novembre 2011, sans préciser l’avantage escompté du contrat d’exclusivité du 17 novembre 2011, ni la fraction retenue au titre de la perte de chance, se bornant en particulier à énoncer, en ce qui concerne la perte de chance de percevoir des redevances sur les albums LP6 et LP7, que rien n’indique que les ventes auraient pu atteindre 90 % de 170 000 exemplaires, sans pour autant préciser le pourcentage retenu, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de vérifier qu’elle a mesuré la réparation du préjudice économique des salariés à la chance perdue, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du même code), de l’article L. 1243-4 du code du travail et du principe de réparation intégrale ;
4°/ que la réparation du préjudice soumis à réparation doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire ; qu’en condamnant la société Universal Music France à payer à chaque salarié une certaine somme en réparation de son préjudice économique, sans mesurer la perte de chance ni chiffrer les différents chefs de préjudice, la cour d’appel, qui a en réalité alloué une indemnisation forfaitaire, a violé l’article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du même code), l’article L. 1243-4 du code du travail et le principe de réparation intégrale ;
5°/ que le préjudice doit être indemnisé intégralement, sans perte ni profit pour la victime ; que la société Universal Music France faisait valoir, s’agissant du préjudice économique de chaque salarié , que le groupe Superbus avait conclu, dès le 10 juillet 2015, un nouveau contrat d’exclusivité avec la société Warner Music France portant sur quatre albums dont un ferme et trois optionnels et qu’un sixième album intitulé « Sixtape » était sorti en juin 2016 ; qu’en se bornant à relever que les conditions du contrat d’exclusivité conclu avec la société Warner Music France étaient moins avantageuses, en sorte que les salaries avaient bien subi un préjudice économique du fait de la rupture anticipée du contrat d’exclusivité du 17 novembre 2011, sans tenir compte, dans l’évaluation de la perte de chance de percevoir les rémunérations afférentes aux albums LP6 et LP7, des bénéfices générés par l’album « Sixtape », la cour d’appel, qui a alloué à chacun des salariés une indemnité excédant son préjudice, a violé l’article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du même code), l’article L. 1243-4 du code du travail et le principe de réparation intégrale ;
Mais attendu que selon le premier alinéa de l’article L. 1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8 du même code ; que ce texte fixe seulement le minimum des dommages-intérêts que doit percevoir le salarié dont le contrat à durée déterminée a été rompu de façon illicite ;
Et attendu qu’ayant relevé que la rupture illicite des contrats à durée déterminée avait empêché la réalisation de deux des albums faisant l’objet des contrats, la cour d’appel a pu retenir que les salariés justifiaient d’un préjudice direct et certain résultant de la perte d’une chance de percevoir les gains liés à la vente et à l’exploitation de ces oeuvres, préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ; que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’elle a, sans procéder à une évaluation forfaitaire, fixé le montant du préjudice soumis à réparation ;
D’où il suit que le moyen, irrecevable en sa cinquième branche comme nouveau, mélangé de fait et de droit, n’est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois (…)
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