A l’heure numérique, le vote électronique peut apparaître d’une part plus pratique, d’autre part moins contraignant pour l’entreprise employeur, qui sous-traite souvent le traitement technique de ce scrutin. Pourtant ce choix accroît la responsabilité de la Direction, et alourdit l’opération.

En effet l’employeur a l’obligation de vérifier et d’assurer la possibilité pour tous les salariés d’accéder aisément à un terminal, une liaison sécurisée, et un réseau efficace, à tout moment des opérations électorales, sous peine pour le moins de l’annulation des élections. C’est ce que décide logiquement la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit.


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 1ER JUIN 2022 (pourvoi n° 20-22.860, publié au Bulletin)

La société Adrexo, dont le siège est [Adresse 78], a formé le pourvoi n° M 20-22.860 contre le jugement rendu le 4 décembre 2020 par le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l’opposant :

1°/ à la Fédération (…)

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, 4 décembre 2020), par décision unilatérale du 18 décembre 2019, la société Adrexo (la société) a prévu l’élection par vote électronique des membres de la délégation du personnel au comité social et économique. Les deux tours du scrutin se sont déroulés du 19 au 26 février et du 11 au 18 mars 2020. Par requêtes des 5 et 11 mars 2020, invoquant diverses irrégularités dans le recours au vote électronique et son déroulement, la Fédération CFTC Média et la Fédération SUD PTT ont saisi le tribunal judiciaire en annulation des élections.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société fait grief au jugement d’annuler les élections au comité social et économique, membres titulaires et suppléants, alors :

« 1°/ que le système de vote électronique retenu doit assurer la confidentialité des données transmises, notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales des collèges électoraux, ainsi que la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, de l’émargement, de l’enregistrement et du dépouillement des votes ; qu’en l’espèce, la société Adrexo faisait valoir qu’il ne pouvait pas être admis que les salariés du collège « employé » puissent utiliser un matériel professionnel ne leur appartenant pas pour procéder au vote, dans la mesure où l’utilisation d’un ordinateur professionnel appartenant (pendant le temps de la relation de travail) aux cadres et agents de maîtrise ne peut ni être confié à des tiers pour les opérations de vote, encore moins être utilisé par les propriétaires du matériel pour voter au lieu et place d’autres salariés, pour des raisons évidentes de confidentialité et, partant, de sincérité du scrutin ; qu’en inférant pourtant des courriels des 4 et 14 février 2020 de Mme [LG], juriste pour le compte de la société, et du 18 février 2020 adressé par la direction des ressources humaines au personnel, que l’employeur aurait « estimé devoir interdire toute utilisation des ordinateurs de la société par les distributeurs ou d’un ordinateur personnel par ces derniers », et en en déduisant que l’employeur aurait porté atteinte à l’égalité des salariés face à l’exercice du droit de vote, sans rechercher, ainsi qu’il y était invité, si une telle prescription émise par l’employeur, garant de la sécurité et de la confidentialité du vote, n’était pas légitime et même indispensable pour garantir la sincérité du scrutin, le tribunal judiciaire a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2314-8, L. 2314-21 à L. 2314-24, L. 2324-11 et L. 2324-19 à L. 2324-22 du code du travail, ensemble l’article R. 2314-5 du même code ;

2°/ que le système de vote électronique retenu doit assurer la confidentialité des données transmises, notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales des collèges électoraux, ainsi que la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, de l’émargement, de l’enregistrement et du dépouillement des votes ; qu’en l’espèce, la société Adrexo faisait valoir que les salariés du collège « employé » ne disposent pas de matériels informatiques professionnels, à l’inverse de ceux des autres collèges et que n’étant donc pas placés dans une situation identique, mais n’étant pour autant nullement empêchés de procéder aux opérations de vote, il ne pouvait y avoir d’inégalité de traitement, ni de mise à mal de la sincérité du scrutin ; qu’en jugeant que l’employeur aurait porté atteinte à l’égalité des salariés face à l’exercice du droit de vote, quand il résultait de ses propres constatations que les agents de maîtrise et les cadres disposaient d’un bureau et d’un poste de travail dans le cadre de leurs fonctions, de sorte qu’ils n’étaient pas dans une situation identique à celle des salariés employés ne disposant pas d’un ordinateur professionnel, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2314-8, L. 2314-21 à L. 2314-24, L. 2324-11 et L. 2324-19 à L 2324-22 du code du travail, ensemble l’article R. 2314-5 du même code ;

3°/ que l’élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique peut être réalisée par vote électronique, le cas échéant comme modalité unique de vote, sur le lieu de travail ou à distance ; que cette possibilité prévue par la loi repose sur le postulat que, dès lors que sont satisfaites les conditions relatives à la communication des données nécessaires à la réalisation du vote électronique et qu’un délai suffisant est laissé aux salariés pour voter par voie électronique à distance, tout salarié est réputé à même d’avoir accès aux moyens techniques élémentaires permettant l’expression du vote par voie électronique (connexion internet) ; qu’aux termes de la décision unilatérale de l’employeur relative à la mise en place du vote électronique : « Les électeurs ont la possibilité de voter à tout moment pendant la période d’ouverture du vote électronique à partir de n’importe quel terminal internet via un lien direct avec le site du prestataire, de leur lieu de travail, de leur domicile ou de tout autre lieu de leur choix en se connectant sur le site sécurisé propre aux élections » ; qu’il était par ailleurs constant que la durée du scrutin, tant au premier tour qu’on second tour, était de huit jours, soit un délai amplement suffisant pour que tout salarié puisse avoir accès par ses propres moyens à une connexion internet lui permettant de voter ; qu’en l’espèce, en annulant les élections du comité social et économique titulaires et suppléants au sein de la société Adrexo, au motif que l’employeur n’aurait pas pris « les précautions appropriées pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet » et ne justifiait pas « de ce qui l’empêchait de mettre en place des procédés permettant de pallier le défaut d’accès de ses distributeurs au matériel de vote, comme, par exemple, la mise en place dans ses établissements des terminaux dédiés au vote électronique avec un protocole garantissant la sécurité et la confidentialité des votes », de sorte qu’il aurait méconnu l’égalité des salariés face à l’exercice du droit de vote, le tribunal a violé les articles L. 2314-8, L. 2314-21 à L. 2314-24, L. 2324-11 et L. 2324-19 à L. 2324-22 du code du travail, ensemble l’article R. 2314-5 du même code ;

4°/ que l’élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique peut être réalisée par vote électronique, le cas échéant comme modalité unique de vote, sur le lieu de travail ou à distance ; que cette possibilité prévue par la loi repose sur le postulat que, dès lors que sont satisfaites les conditions relatives à la communication des données nécessaires à la réalisation du vote électronique et qu’un délai suffisant est laissé aux salariés pour voter par voie électronique à distance, tout salarié est réputé à même d’avoir accès aux moyens techniques élémentaires permettant l’expression du vote par voie électronique (connexion internet) ; qu’en l’espèce, pour annuler le scrutin, le tribunal a retenu, par des motifs généraux et abstraits, une prétendue rupture d’égalité entre les candidats résultant censément de ce que l’employeur n’aurait pas pris les précautions appropriées pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet ; qu’en se déterminant de la sorte, sans à aucun moment faire ressortir de manière précise ni concrète si des salariés avaient été effectivement empêchés de voter pour des raisons d’accessibilité à du matériel électronique, ni en quelle proportion, sans préciser aucun élément probant qui aurait démontré une telle difficulté d’accès au vote électronique et sans, enfin, caractériser une influence sur les résultats du scrutin, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2314-8, L. 2314-21 à L. 2314-24, L. 2324-11 et L. 2324-19 à L. 2324-22 du code du travail, ensemble l’article R. 2314-5 du même code ;

5°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, la société Adrexo faisait valoir que le simple constat d’une participation plus faible ne prouve pas une difficulté dans les opérations électorales occasionnée par la mise en place du vote électronique, mais bien une tendance générale et nationale constatée aussi bien dans le cadre des élections politiques que dans le cadre des élections professionnelles, avec pour ces dernières, au niveau national, un taux d’abstention largement supérieur au taux de participation ; que la société produisait à l’appui de son argumentation un communiqué de presse de la Direction générale du travail le démontrant ; que le tribunal judiciaire, pour annuler les élections professionnelles, a retenu qu’ « en 2016, 6.675 employés avaient voté alors qu’ils n’ont été que 3.385 en 2020 sans que l’employeur ne fasse état d’une baisse importante des effectifs » ; qu’en se déterminant ainsi, sans prendre en compte ni analyser, même sommairement, ledit communiqué de presse, dont il s’évinçait qu’il ne pouvait être établi une corrélation entre le taux de participation plus faible et la mise en place du vote électronique, le tribunal a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que lorsque l’irrégularité relevée n’affecte qu’un seul collège, l’annulation ne doit viser que le collège concerné ; qu’en l’espèce, pour annuler le premier tour des élections professionnelles titulaires et suppléants au sein de la société Adrexo, le tribunal a retenu que les distributeurs constituent la très grande majorité du collège employés et que l’employeur n’aurait pas justifié de ce qui l’aurait empêché de mettre en place des procédés permettant de pallier le défaut d’accès de ses distributeurs au matériel de vote ; qu’en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que les agents de maîtrise et cadres disposaient d’un bureau et d’un poste de travail dans les locaux de la société, de sorte que la supposée irrégularité retenue n’avait, en tout état de cause, pas affecté le vote dans les collèges dont ils relevaient, le tribunal a violé les articles L. 2314-8, L. 2314-21 à L. 2314-24, L. 2324-11 et L. 2324-19 à L. 2324-22 du code du travail. »

Réponse de la Cour

3. Selon l’article L. 2314-26 du code du travail l’employeur peut décider de recourir au vote électronique à défaut d’accord d’entreprise, dans les conditions prévues par décret au Conseil d’Etat. L’article L. 2314-27 de ce code précise que, sauf accord contraire, l’élection a lieu pendant le temps de travail. Le recours au vote électronique ne permet pas de déroger aux principes généraux du droit électoral (Soc. 3 octobre 2018, n° 17-29.022, publié).

4. Selon l’article R. 2314-5 du code du travail, l’élection peut être réalisée par vote électronique sur le lieu de travail ou à distance, suivant un cahier des charges respectant les conditions prévues par les articles R. 2314-6 et suivants. Le second alinéa de l’article R. 2314-6 précise que le système retenu assure la confidentialité des données transmises, notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales des collèges électoraux, ainsi que la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, de l’émargement, de l’enregistrement et du dépouillement des votes.

5. Ayant relevé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve, que la société, alertée sur les difficultés de certains salariés, parmi les distributeurs ne disposant d’aucun bureau ni poste de travail dans les locaux de la société, à se connecter sur la plate-forme de vote durant la période d’ouverture du vote, avait interdit, pour des raisons de confidentialité, toute utilisation des ordinateurs de la société par les distributeurs ou d’un ordinateur personnel par ces derniers au sein de l’entreprise, sans avoir l’assurance que l’ensemble de ses salariés pourraient avoir accès à un matériel permettant d’exercer leur droit de vote et sans justifier de ce qui l’empêchait de mettre en place des procédés permettant de pallier le défaut d’accès de ses distributeurs au matériel de vote, comme, par exemple, la mise en place dans ses établissements des terminaux dédiés au vote électronique avec un protocole garantissant la sécurité et la confidentialité des votes, le tribunal en a déduit que la société n’avait pas pris les précautions appropriées pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet, ce dont il résultait une atteinte au principe général d’égalité face à l’exercice du droit de vote, constituant à elle seule une cause d’annulation du scrutin, quelle que soit son incidence sur le résultat. Le tribunal a ainsi légalement justifié sa décision, sans être tenu de procéder aux recherches prétendument omises que ses constatations rendaient inopérantes.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)