La règlementation sociale en France contient nombre de présomptions qualifiant ou disqualifiant le statut du travailleur, nonobstant les modalités selon lesquelles s’exerce la prestation de travail. Ainsi le VRP, le journaliste, le mannequin, etc. sont-ils présumés salariés, alors que le travailleur de plateforme, est quant à lui présumé travailleur indépendant.
Il n’en reste pas moins que le contrat de prestation du non-salarié peut toujours être requalifié en contrat de travail, si le Juge constate l’existence d’un lien de subordination avec le donneur d’ordre. En revanche il est rare qu’un contrat présumé contrat de travail, puisse être requalifié en contrat d’entreprise.
Certains statuts légaux prévoient pourtant cette possibilité ; ainsi en est-il de de celui d’artiste du spectacle, dès lors que l’exécution de la prestation est opérée dans des conditions similaires à celles d’un indépendant : selon la formule de l’article L.7121-3 du Code du travail, des conditions impliquant son inscription au registre du commerce. C’est l’exemple illustré par l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessous reproduit.
Mais cette requalification du contrat de travail présumé, en contrat de prestation de service indépendant, exige toutefois que la présomption (simple) soit effectivement renversée. Ainsi doit-il être démontré par exemple que le prestataire a financé ses propres prestations, a décidé de leur calendrier, ou disposait d’un pouvoir sur la réalisation du spectacle, par exemple.
Par conséquent la preuve doit être rapportée de ce que le prestataire s’est de fait comporté de la même façon qu’un producteur, ou qu’un tourneur, ou qu’un organisateur de spectacle public : soit un professionnel impérativement inscrit au registre du commerce. En cas de doute, la présomption légale ne peut être renversée, et le statut salarial s’impose.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, du 14 septembre 2022 (pourvoi n° 21-11.930)
M. [L] [Z], domicilié [Adresse 3] (États-unis), a formé le pourvoi n° B 21-11.930 contre l’arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l’opposant à la société My Family, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], ayant un établissement [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 novembre 2020), M. [Z] a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail avec la société My Family, en qualité de réalisateur d’un « teaser » en vu d’obtenir les financements pour la réalisation ultérieure d’un film et à la condamnation de cette société au paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de ce contrat.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
2. M. [Z] fait grief à l’arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors :
« 1°/ que selon l’article L. 7121-3 du code du travail, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ; que cette présomption n’est pas renversée par la preuve de l’absence de subordination de l’artiste à l’organisateur ; qu’en retenant, pour débouter M. [Z] de sa demande tendant à voir juger qu’il avait été lié par contrat de travail à la société My Family et de ses demandes consécutives, que la société My Family, qui s’était assurée son concours en tant que réalisateur en vue de sa production cinématographique, pouvait renverser la présomption de salariat en démontrant que les conditions d’exercice de l’activité étaient exclusives de tout lien de subordination juridique, la cour d’appel a violé les articles L. 7121-2-10°, L. 7121-3 et L. 7121-4 du code du travail ;
2°/ que selon l’article L. 7121-3 du code du travail, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ; que cette présomption n’est renversée que s’il est constaté que l’intéressé exerçait son activité faisant l’objet du contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ; qu’en considérant, pour débouter M. [Z] de ses demandes en paiement de diverses sommes afférentes à l’exécution et la rupture d’un contrat de travail, que la présomption édictée par l’article L. 7121-3 du code du travail devait ‘’être considérée comme renversée’‘ au vu d’un ensemble de constatations, prises de l’absence de directives données par la société My Family, du choix par M. [Z] de la directrice de casting ou du premier assistant ou encore de son engagement personnel envers les comédiens susceptibles de figurer gracieusement dans le teaser, enfin de l’envoi d’une facture détaillée au nom de la société Shootmakers Entertainement, dont il ne ressort pas que M. [Z] aurait exercé son activité de réalisateur dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 7121-2 à L. 7121-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 7121-3 et L. 7121-4 du code du travail :
3. Selon le premier de ces textes, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
4. Selon le second de ces textes, la présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties.
Cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle.
5. Pour débouter M. [Z] de ses demandes, l’arrêt, après avoir estimé que la relation contractuelle était établie et relevait de la présomption de salariat instituée par l’article L. 7121-3 du code du travail, retient que la société My Family doit faire la preuve que les conditions d’exercice de l’activité ont été telles qu’elles étaient exclusives de tout lien de subordination juridique, que les échanges de SMS produits sont exclusifs de tout pouvoir de direction et de lien de subordination, que M. [Z] s’est comporté comme un partenaire, excédant la liberté artistique dont dispose le réalisateur et qu’à l’abandon du projet par la société My Family, il a établi une facture relative à ses frais de consulting par l’intermédiaire de sa propre société.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l’activité de M. [Z] avait été exercée dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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