La prise d’acte par le salarié, de la rupture de son contrat de travail imputable aux manquements de son employeur, est soumise à un règime prétorien élaboré par la Cour de cassation. Le salarié doit démontrer la réalité, et la gravité suffisante des fautes commises par son cocontractant, pour obtenir une indemnisation à la charge de ce dernier : à défaut la rupture produit les effets d’une démission.

Or aucun régime probatoire dérogatoire ne vient ici faciliter la tâche du salarié. Il doit démontrer objectivement les manquements de l’employeur, et en cas de doute, celui-ci profite à son adversaire.

L’appréciation des motifs invoqués par le salarié, relève donc du pouvoir souverain du Juge. La Cour de cassation rappelle toutefois que celui-ci doit examiner précisément les griefs allégués, et déterminer s’ils sont susceptibles de constituer un motif légitime de rupture.

Ainsi la seule ancienneté des faits reprochés à l’employeur, ne saurait à elle seule exonérer ce dernier de sa responsabilité contractuelle. Ce sont les circonstances de fait, comme rappelé dans l’arrêt reproduit ci-dessous, qui peuvent sur ce point conduire l’appréciation judiciaire.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 28 septembre 2022 (pourvoi n° 21-12.546, publié au Bulletin)

Mme [H] [Z], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 21-12.546 contre l’arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l’opposant à la société La Robinetterie industrielle, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2021), Mme [Z] a été engagée le 7 octobre 2002 par la société La Robinetterie industrielle, en qualité de secrétaire puis promue assistante ressources humaines.

2. Elle a exercé divers mandats depuis mars 2013.

3. A compter du 1er février 2015, la salariée a été en congé parental d’éducation et en juin 2015, a sollicité la résiliation judiciaire du contrat de travail.

4. Le 2 mai 2016 , elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail puis saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives tant à l’exécution qu’à la rupture du contrat de travail.

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l’arrêt de requalifier la prise d’acte de la rupture du 2 mai 2016 en démission, et de rejeter ses demandes tendant à voir dire que cette prise d’acte produisait les effets d’un licenciement nul, alors « que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté l’existence de manquements graves de l’employeur au cours de l’année 2014, ayant conduit Mme [Z] à solliciter un congé parental ayant pris effet en janvier 2015, ce qui avait suspendu son contrat de travail ; qu’en considérant, pour rejeter les demandes de la salariée, que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’était intervenue que le 2 mai 2016 soit dix-huit mois après les derniers faits reprochés, lesquels ne pouvaient la justifier compte tenu de leur ancienneté, la cour d’appel, qui s’est fondée sur la seule ancienneté des manquements reprochés à l’employeur, sans rechercher si ces manquements étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ni prendre en considération la période de suspension de ce contrat, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l’article L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l’article L. 1231-1 du code du travail :

6. Pour rejeter la demande tendant à voir dire que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul, l’arrêt retient que les manquements et fautes de l’employeur à l’égard de la salariée à savoir, une dispense d’activité imposée, un harcèlement moral, un avertissement injustifié, une modification du contrat de travail illicite, sont intervenus en 2014, qu’ils ont motivé la décision de la salariée de prendre un congé parental qui a pris effet en janvier 2015 et suspendu son contrat de travail, que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’est intervenue que le 2 mai 2016 soit dix-huit mois après les derniers faits reprochés lesquels ne peuvent, compte tenu de leur ancienneté la justifier, de sorte que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit s’analyser en une démission.

7. En se déterminant ainsi, en se référant uniquement à l’ancienneté des manquements et alors qu’elle avait constaté que ces manquements avaient motivé la décision de la salariée de prendre un congé parental en janvier 2015, la cour d’appel, à laquelle il appartenait d’apprécier la réalité et la gravité de ces manquements et de dire s’ils étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)