Le développement et la miniaturisation des technologies de communication génèrent de nouveaux comportements sociaux : filmer un évènement dont on est soudain témoin, se mettre en scène sur les réseaux sociaux … ou enregistrer autrui à son insu. Dans l’entreprise, la Cour de cassation construit depuis longtemps le régime juridique encadrant cette pratique, notamment en prohibant l’usage disciplinaire des enregistrements clandestins des activités du salarié.
Or l’on pourrait imaginer, au regard des réactions communément admises devant la violence de ces comportements, que la jurisprudence pénale accompagnerait cette construction de la protection de l’individu. L’arrêt de la Chambre criminelle reproduit ci-dessous contredit cette intuition.
En effet la Cour de cassation n’admet pas les poursuites d’un représentant du personnel ayant clandestinement enregistré le représentant de l’employeur dans le cadre d’un entretien préalable à licenciement d’un salarié qu’il assistait, du chef délictuel d’atteinte à l’intimité de la vie privée. En effet cet entretien ne concernant que la seule activité professionnelle de la victime, cette qualification ne peut être retenue : or il est vrai que l’employeur n’exprime en principe pas de propos relatifs à sa propre situation personnelle lors de ce type d’entretien, consacré aux agissements du salarié.
La Chambre criminelle suggère encore que les locaux de l’entreprise, même s’ils peuvent être considérés comme lieu privé (bureau individuel fermé, salle de repos, vestiaires etc.), n’influent pas sur cette solution : environnement privé ou public, l’enregistrement à l’insu ne tombe pas sous le coup des poursuites pénales si les propos en cause sont de nature professionnelles. Cela permet donc de ne pas pénalement qualifier l’enregistrement clandestin a priori : ce n’est que si les propos deviennent personnels que les poursuites sont encourues, et encore si l’enregistrement se poursuit.
Bien sûr la solution vaut tant pour l’employeur, que pour le salarié enregistré clandestinement. Mais concernant le procès prud’homal, il est évident que cette décision de la Chambre criminelle génère un déséquilibre évident : en effet si le salarié peut produire un enregistrement clandestin sans craindre de poursuites, la preuve étant par ailleurs libre devant le Conseil de prud’hommes, l’employeur en principe ne peut produire d’enregistrement qui n’ait fait l’objet d’une information préalable, individuelle et collective.
COUR DE CASSATION, Chambre criminelle, 12 avril 2023 (pourvoi n° 22-83.581, publié au Bulletin)
M. [N] [O], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, en date du 5 mai 2022, qui, dans l’information suivie, sur sa plainte, contre M. [C] [K], du chef d’atteinte à l’intimité de la vie privée, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction.
(…)
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 13 avril 2017, M. [N] [O], directeur général de Metz habitat territoire, a porté plainte et s’est constitué partie civile contre M. [C] [K], agent technique de cet établissement, du chef, notamment, d’atteinte à l’intimité de la vie privée par enregistrement de paroles tenues à titre privé ou confidentiel.
3. Le 29 juin 2021, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.
4. M. [O] a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé l’ordonnance de non-lieu, alors :
« 1°/ que d’une part, la caractérisation du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui prévu par l’article 226-1, 1°, du Code pénal suppose la captation, l’enregistrement ou la transmission de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la personne qui les prononce ; que le délit est constitué sans qu’il soit nécessaire que les paroles captées, enregistrées ou transmises soient de nature intime ; qu’en confirmant l’ordonnance de non-lieu entreprise du chef d’atteinte à l’intimité de la vie privée aux motifs que « l’information n’a nullement fait ressortir que lors de cet entretien [M. [O]] aurait fait part à ses interlocuteurs de sa situation personnelle, financière ou familiale ou de ses convictions morales, religieuses ou politiques » (arrêt, p. 9, § 6), la chambre de l’instruction a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, en violation des articles 226-1 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d’autre part, en confirmant l’ordonnance de non-lieu entreprise tout en constatant, d’une part, qu’il est établi que « M. [K] a (
) enregistré, à l’insu de M. [O] » (arrêt, p. 9, § 3) et, d’autre part, que les paroles enregistrées ont été prononcées dans le bureau de M. [O], dans le cadre d’un entretien préalable au licenciement, ce dont il résulte que le mis en examen a enregistré des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la partie civile, la chambre de l’instruction n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 226-1 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour dire que M. [K], qui, en qualité de délégué syndical, a assisté M. [X] lors de son entretien préalable au licenciement avec M. [O] et a enregistré la conversation à l’insu de ce dernier, n’a pas commis de faute, l’arrêt attaqué énonce que l’entretien entre dans le cadre de la seule activité professionnelle du plaignant.
7. Les juges concluent que son enregistrement n’est, dès lors, pas de nature à porter atteinte à l’intimité de sa vie privée, quand bien même les propos enregistrés qu’il incrimine auraient été tenus dans un lieu privé.
8. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 226-1 du code pénal.
9. Ainsi, le moyen doit être écarté.
10. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
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