Le Droit du travail est (aussi) un Droit pénal, et l’employeur visé par un régime coercitif particulièrement sévère. Sa responsabilité est ainsi aggravée y compris s’agissant des infractions susceptibles d’être commises es-qualité.
Ainsi de façon exceptionnelle, la jurisprudence accueille-t-elle plusieurs cas de cumul réel d’infractions, permettant de prononcer plusieurs peines sur plusieurs fondements infractionnels, mais pour le même fait : celui-ci constitue donc en lui-même plusieurs infractions. Or la règlementation sociale elle-même prévoit que le même comportement puisse recevoir techniquement plusieurs qualifications, et donner lieu au prononcé de plusieurs peines.
C’est par exemple le cas pour les contraventions en matière de santé et sécurité des travailleurs, comme le relève l’arrêt ci-dessous reproduit par extraits. Et rappelons que l’amende pénale prévue par le Code du travail, peut être prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par les manquements de l’employeur.
COUR DE CASSATION, Chambre criminelle, 23 janvier 2024 (pourvoi n°23-80.091, publié au Bulletin)
La société [2] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2022, qui, pour infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs et contraventions de blessures involontaires, l’a condamnée à quatre amendes de 3 500 euros chacune et deux amendes de 2 000 euros chacune, et a prononcé sur les intérêts civils.
(…)
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Deux salariés de l’entreprise [1] ont été blessés alors qu’ils travaillaient sur un site industriel exploité par la société [2].
3. Cette dernière a été poursuivie des chefs d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et contraventions de blessures involontaires.
4. Le tribunal correctionnel a déclaré la société prévenue coupable de ces chefs, l’a condamnée à deux amendes et a prononcé sur les intérêts civils.
5. La société [2], les deux salariés victimes et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
(…)
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la société [2] coupable des chefs de délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, de délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et de contravention de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n’excédant pas trois mois dans le cadre du travail, alors « que l’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité s’applique aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue ; que le manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement est un élément constitutif de l’infraction de blessures involontaires résultant de ce manquement ; qu’en l’espèce, l’exposante avait demandé, dans ses dernières écritures d’appel à ce que l’affaire soit jugée à la lumière de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (n° 21-81.864), avait soutenu que « l’élément matériel constitutif de la contravention de blessures involontaires repose directement et exclusivement sur les fautes d’inobservation du Code du travail reprochées à la prévenue », avait fait valoir que selon « les termes de la prévention, cette infraction de nature non intentionnelle est ici exclusivement basée sur des manquements à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par le Code du travail, à savoir le fait de : 1) Ne pas avoir réalisé un plan de prévention des risques conforme ; 2) Ne pas avoir informé concrètement MM. [U] et [N] des risques auxquels ils étaient exposés » et soutenu que la cour d’appel « ne pourra donc que réformer le jugement en ce qu’il ne pouvait retenir d’infractions au Code du travail venant se cumuler avec une infraction plus générale, pour les mêmes faits » ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt qu’« il est exact, comme le relève le conseil de la société [2], que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, qui constituent les éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n’excédant pas trois mois reprochée à la prévenue, sont les infractions de défaut de plan de prévention des risques préalables conforme et de défaut d’information préalable des salariés sur les risques » ; que la cour d’appel a pourtant énoncé qu’il « n’y a pas lieu de relever en l’espèce un cumul d’infractions », que la « chambre criminelle de la Cour de cassation admet en effet constamment qu’un tel cumul est admis si les infractions retenues sanctionnent la violation d’intérêts distincts » dès lors que, au cas d’espèce, les « infractions au code du travail reprochées à la société [2] pourraient être en effet poursuivies de façon autonome et la survenance de blessures, subies par les deux victimes, constitue un fait distinct, pris en compte par la poursuite de la contravention de blessures involontaires » ; qu’en statuant ainsi pour condamner la société [2] du chef de ces trois infractions sur le fondement abandonné par la Cour de cassation de la « violation d’intérêts distincts », quand il résultait de ses propres constatations que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement constituaient les éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires, critère, selon l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 précité, de la mise en oeuvre du principe ne bis in idem, pour laquelle la société [2] était aussi condamnée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a statué par des motifs contradictoires en violation de l’article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 du protocole n° 7 additionnel à la même Convention, article 14-7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques et le principe ne bis in idem. »
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe ne bis in idem, l’arrêt attaqué énonce que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement relevés comme éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires sont les infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs poursuivies concomitamment.
9. Les juges retiennent qu’un tel cumul est toutefois admis si les infractions sanctionnent la violation d’intérêts distincts.
10. Ils ajoutent que les infractions au code du travail reprochées à la prévenue pourraient être poursuivies de façon autonome et que la survenance de blessures, subies par les deux victimes, constitue un fait distinct, pris en compte par la poursuite de la contravention de blessures involontaires.
11. C’est à tort que la cour d’appel se fonde sur l’existence d’intérêts protégés différents pour exclure la violation du principe ne bis in idem.
12. Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte de l’article L. 4741-1 du code du travail, en ce qu’il incrimine la méconnaissance des articles R. 4512-6 et suivants et R. 4512-15 du même code, et de l’article R. 625-2 du code pénal, réprimant la contravention de blessures involontaires, qu’aucune des trois infractions prévues par ces textes n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’une des deux autres.
13. En effet, l’article R. 625-2 du code pénal vise les fautes de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement et non spécifiquement la méconnaissance des dispositions des articles R. 4512-6 et suivants et R. 4512-15 du code du travail comme élément constitutif de cette contravention.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
(…)
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE et ANNULE (…)
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