La discrimination abusive fait l’objet d’un régime probatoire exceptionnel dans le Code du travail. Ainsi sous l’impulsion communautaire, la règlementation sociale aménage la charge de la preuve : le salarié victime doit réunir un ensemble de faits établissant une apparence de discrimination sur le fondement d’un critère interdit, et l’employeur doit alors rapporter la preuve objective de l’absence d’abus.
L’entreprise employeur peut donc, dans le cadre du procès civil, être condamnée au bénéfice du doute… Illustration conforme de ce raisonnement, qui parfois reste confusément méconnu, dans l’arrêt ainsi signalé.
« Ne donne pas de base légale à sa décision, au regard de l’article L. 122-45 du code du travail alors applicable, ensemble l’accord-cadre sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE, du Conseil, du 3 juin 1996, alors applicable, la cour d’appel qui, pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse, retient que s’il n’est pas discutable qu’à l’issue du congé parental d’éducation, la salariée n’a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire, elle n’établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l’existence d’une discrimination à raison de l’état de grossesse et que la preuve d’une discrimination illicite n’est donc pas rapportée, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental, la décision de l’employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »
Cour de cassation, Chambre sociale, 14 novembre 2019 (pourvoi n°18-15.682, publié au bulletin).
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu après cassation (Soc., 14 octobre 2015, n° 14-25.773), que Mme K… , engagée le 8 septembre 1997 par la société Kiosque d’or en qualité de comptable, a bénéficié d’un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle a repris son travail ; que se plaignant d’avoir été victime d’un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral alors, selon le moyen, que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; qu’en statuant sans prendre en considération les éléments médicaux produits et alors, d’une part, qu’elle avait constaté que la salariée avait vu ses fonctions modifiées au retour de son congé parental, ce qui laissait présumer une situation de harcèlement moral et, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 1225-5 du code du travail, à l’issue du congé parental, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu que sous le couvert d’un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à contester l’appréciation souveraine par la cour d’appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1154-1 du code du travail, déduit l’absence de faits précis permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral ;
Mais sur le second moyen :
Vu l’article L. 122-45 du code du travail alors applicable, ensemble l’accord-cadre sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE, du Conseil, du 3 juin 1996, alors applicable ;
Attendu qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’il ressort du premier alinéa du préambule de l’accord-cadre sur le congé parental et du point 5 des considérations générales de celui-ci, que cet accord-cadre constitue un engagement des partenaires sociaux, représentés par les organisations interprofessionnelles à vocation générale, à savoir l’UNICE, le CEEP et la CES, de mettre en place, par des prescriptions minimales, des mesures destinées à promouvoir l’égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes en leur offrant une possibilité de concilier leurs responsabilités professionnelles et leurs obligations familiales et que l’accord-cadre sur le congé parental participe des objectifs fondamentaux inscrits au point 16 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs relatif à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, à laquelle renvoie cet accord-cadre, objectifs qui sont liés à l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu’à l’existence d’une protection sociale adéquate des travailleurs, en l’occurrence ceux ayant demandé ou pris un congé parental (CJUE, arrêt du 22 octobre 2009, Meerts, C-116/08, points 35 et 37 ; arrêt du 27 février 2014, Lyreco Belgium, aff. C-588/12, points 30 et 32 ; arrêt du 8 mai 2019, Praxair, aff. C-486/18, point 41) ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse, l’arrêt retient qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1225-55 et L. 1225-71 du code du travail, qu’à l’issue du congé parental d’éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente, qu’à défaut, le salarié a droit à des dommages-intérêts, qu’en l’espèce la salariée sollicite pour la première fois en cause d’appel une somme à titre de dommages-intérêts au titre d’une discrimination en raison de son état de grossesse et fait valoir que l’employeur a souhaité maintenir M. Q… , qu’il avait embauché pour la remplacer durant le temps de son congé parental d’éducation, à l’unique poste de comptable existant au sein de l’entreprise, au lieu de la réemployer à cette fonction, qu’il résulte de ce qui précède qu’à son retour de congé parental la salariée a effectivement exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d’administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective, que son contrat de travail s’en est trouvé modifié, qu’il n’est donc pas discutable qu’à l’issue du congé parental d’éducation, la salariée n’a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire mais qu’elle se prévaut en réalité d’un manquement de l’employeur à son obligation légale de réemploi, qu’elle n’établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l’existence d’une discrimination à raison de l’état de grossesse, que la preuve d’une discrimination illicite n’est donc pas rapportée ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental, la décision de l’employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…)
Président : M. Cathala
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