Le régime probatoire de la discrimination abusive en Droit du travail, transposé d’une directive européenne, est exceptionnel et parfois encore mal compris par les Juges et praticiens. Ainsi l’article L.1134-1 du Code du travail prévoit-il que lorsqu’un salarié s’estime victime d’un tel abus, il doit produire un ensemble de faits établissant une apparence de discrimination basée sur un des critères légalement interdits ; l’employeur supporte alors la charge de la preuve objective et matériellement vérifiable, de l’absence de discrimination : en cas de doute, l’employeur sera condamné.

Les sanctions civiles sont sévères, puisqu’au-delà de l’indemnisation des préjudices subis par le travailleur, l’acte discriminant encourt la nullité. Les partenaires sociaux sont donc invités à élaborer des accords collectifs dits anti-discrimination, qui peuvent d’une part prévenir toute différence de traitement reposant sur ces critères, d’autre part corriger les écarts subis par les victimes.

Ces accords collectifs, essentiellement conclus dans l’entreprise, concernent souvent la lutte contre la discrimination syndicale. La Cour de cassation en reconnaît la licéité, y compris pour des mesures de reconstitution de carrière en comparaison avec une catégorie et des critères professionnels repères.

Mais la jurisprudence a en outre complété le régime probatoire légal, en renforçant son efficacité. Ainsi l’intention de nuire de l’auteur de la discrimination, n’est pas un élément constitutif de l’infraction : l’absence de cette intention n’est donc pas de nature à exonérer l’auteur de ses responsabilités.

De même l’absence d’effet de la mesure discriminatoire ne l’exonère pas davantage. Ainsi même lorsque l’acte ou la décision de l’employeur, n’a aucune conséquence sur le salarié discriminé, l’infraction est pourtant constituée (y compris d’ailleurs sur le plan pénal).

En effet le seul fait d’invoquer, même sans en tirer une quelconque conséquence objective, l’un des critères prohibés à l’appui d’un acte ou d’une décision, suffit à caractériser la discrimination abusive. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ici principalement reproduit, au sujet justement d’une discrimination syndicale.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 12 juillet 2022 (pourvoi n° 20-23.290, inédit)

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 22 octobre 2020), M. [R] a été engagé par la société Oxymontage (la société) à compter du 15 mai 2016 pour occuper les fonctions de taraudeur – catégorie ouvriers – niveau 1 – échelon 1 – coefficient 140 de la convention collective de la métallurgie et des industries connexes du Finistère. Il a produit aux débats des bulletins de paie mentionnant qu’au moins depuis juillet 2010 il occupe un emploi d’opérateur de débit – qualification niveau I/échelon 3. Depuis mai 2014, il exerce des mandats de délégué du personnel et de délégué syndical.
  2. Formulant plusieurs griefs à l’encontre de son employeur, le salarié a saisi, le 23 juillet 2015, la juridiction prud’homale. (…)
  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, alors « que sauf application d’un accord collectif visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser, l’exercice d’activités syndicales ne peut être pris en considération dans l’évaluation professionnelle d’un salarié ; qu’en écartant l’existence d’une discrimination syndicale « sans s’arrêter au seul rappel fait par le responsable hiérarchique, M. [C], dans le compte rendu d’entretien du 9 mars 2015, de l’accession de M. [J] [R] à des mandats de délégué syndical et de délégué du personnel » quand la mention des mandats représentatifs dans l’entretien d’évaluation établissait la discrimination, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5, dans leur rédaction applicable en la cause, et L. 1134-1 du code du travail :

  1. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, après avoir retenu que les éléments de fait allégués par le salarié laissaient supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à raison de son activité syndicale et de représentant élu du personnel au sein de la société, l’arrêt énonce que sans s’arrêter au seul rappel fait par le responsable hiérarchique dans le compte rendu d’entretien du 9 mars 2015 de l’accession du salarié à des mandats de délégué syndical et de délégué du personnel, la société établit qu’il n’y a eu aucun changement de ses conditions de travail et encore moins une modification de son contrat de travail puisque son activité d’opérateur de débit englobe toutes les missions y afférentes comme notamment le cisaillage et le pliage, s’agissant de fonctions techniques pour lesquelles dans leur exercice il est attendu une certaine polyvalence et adaptation, fonctions constituées d’un ensemble de tâches confiées à un même opérateur ou à plusieurs pour se combiner et s’enchaîner entre elles dans un processus de fabrication préétabli et qui renvoie à différentes étapes opérationnelles n’étant pas distinctement réservées à l’un ou l’autre des salariés du service, ce que le salarié a expressément accepté dans son principe en signant avec la société l’avenant du 5 janvier 2017 à son contrat de travail.
  2. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’existence d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale, alors que, sauf application d’un accord collectif visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser, l’exercice d’activités syndicales ne peut être pris en considération dans l’évaluation professionnelle d’un salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)