Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2018, un contentieux s’est développé s’agissant du mode de calcul de la cotisation des entreprises finançant les services interentreprises de médecine du travail (SSTI). En effet l’article L.4622-6 du Code du travail conduit à n’autoriser que la prise en compte du nombre de salariés pour mesurer la charge de l’entreprise, et à refuser toute cotisation proportionnelle à la masse salariale.
Du point de vue des SSTI en effet, quel que soit le salarié, et le support juridique de son emploi (CDD ouCDI, temps plein ou temps partiel, salarié en alternance ou insertion ou pas etc.), le suivi médical est identique puisque c’est bien la personne physique du travailleur qui en est l’objet. Toutefois plusieurs entreprises ont contesté ce modèle, et ont affirmé qu’il convenait de comprendre la notion de « financement per capita » comme impliquant de mesurer l’effectif équivallent-temps-plein des structures adhérentes.
L’on note que ces objections émanent souvent d’adhérents employant essentiellement sur des postes précaires, des salariés à temps partiel, en CDD ou par intérim : il est donc de leur intérêt de réduire le montant de leur cotisation. L’on note aussi que cela conduit à alourdir celles des adhérents employant une part importante de salariés en CDI et temps complet.
Or la Chambre sociale dans l’arrêt susvisé, retient cette référence à la prise en compte d’un effectif équivallent-temps-plein, qui n’est pourtant justifiée par aucun texte, en se fondant sur un arrêt du Conseil d’Etat du 30 juin 2014. Mais ce dernier quant à lui ne se référait pas expressément à ce mode de calcul, tout en n’annulant pas une interprétation hasardeuse de la Direction Générale du Travail qui … s’y référait !
Plusieurs actions judiciaires, parfois coordonnées par des organisation professionnelles, ont donc été engagées ; à ce jour, nombreux sont les jugements de première instance qui s’opposent à l’interprétation susvisée de la Chambre sociale. Cette contestation silencieuse a sans doute pesé après la transmission par le Tribunal Judiciaire de Thionville, d’une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation a accepté de renvoyer vers le Conseil Constitutionnel.
Il convient désormais de connaître la position qu’adoptera cette juridiction suprême, quant à l’interprétation de l’article L.4622-6 du Code du travail. Mais si l’on suit le rapport Lecoq de 2018, inspirant l’actuel projet de réforme de la Santé au travail, cette question pourrait prochainement être légalement résolue, puisqu’il y est envisagé de transformer le financement des futures organisations de la Médecine du travail.
Ces nouvelles structures serait ainsi financée par le biais d’une nouvelle cotisation sociale, soit … un financement assis sur la masse salariale ! Tout ça pour ça ?
Cour de cassation, Chambre sociale, 16 juin 2021 (pourvoi n° 21-40.006 QPC, publié au bulletin)
1. La SARL K Ange, société adhérente de l’association Agir ensemble pour la santé au travail (AGESTRA), a assigné cette dernière le 13 décembre 2019 aux fins de remboursement d’un trop perçu sur cotisations prélevées pour les années 2017, 2018 et 2019, en invoquant un mode de calcul erroné des cotisations.
2. L’association AGESTRA a sollicité, par mémoire distinct et motivé, la transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité .
3. Le ministère public a été avisé le 7 septembre 2020. Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
4. Par jugement du 22 mars 2021, le tribunal judiciaire de Thionville a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L’article L. 4622-6 du code du travail tel qu’interprété par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 septembre 2018 (n° 17-16.219), sinon l’article L. 1111-2 du code du travail en ce qu’il s’applique au calcul du nombre de salariés prévu par l’article L. 4622-6 du même code, en ce qu’ils prescrivent une répartition des frais de fonctionnement des services de santé au travail qui est fonction des effectifs appréciés non par tête mais par équivalents temps-pleins portent ils atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
5.Aux termes de l’article L. 4622-6 du code du travail, les dépenses afférentes aux services de santé au travail sont à la charge des employeurs. Dans le cas des services communs à plusieurs entreprises, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre de salariés.
6. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne une contestation sur le mode de calcul du montant des cotisations.
7. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
8. La question posée présente un caractère sérieux.
9. En effet, dans un arrêt du 19 septembre 2018, (Soc., 19 septembre 2018, n° 17-16.219, publié), la Cour de cassation a interprété l’article L. 4622-6 du code du travail en ce sens que la cotisation due par les employeurs qui adhérent à un service de santé au travail interentreprises doit être fixée à une somme, par salarié équivalent temps plein de l’entreprise, correspondant au montant total des dépenses engagées par le service de santé interentreprises auquel adhère l’employeur rapporté au nombre total de salariés pris en charge par l’organisme.
10. Ainsi interprétée, la disposition donne lieu à un calcul de cotisations en proportion des effectifs de l’entreprise au sens des dispositions de l’article L. 1111-2 du code du travail applicables à l’ensemble des dispositions de ce code, et non par unité de salarié, créant ainsi une différence de calcul de cotisations selon la proportion respective de salariés employés à temps plein ou à temps partiel au sein de chaque entreprise.
11. La question posée présente un caractère sérieux en ce sens que cette différence de traitement est susceptible de ne pas être justifiée dans la mesure où elle pourrait ne pas être en rapport direct avec l’objet de la disposition contestée.
12. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question posée au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS (…) : RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (…)
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