Le médecin du travail statue sur l’inaptitude physique du salarié à son poste de travail dans l’entreprise ; il peut rendre un avis d’inaptitude avec ou sans recommandation de reclassement. L’employeur doit alors le cas échéant entreprendre les recherches de reclassement conformes à ces recommandations médicales ; à défaut de possibilité ou de recommandation de reclassement, il peut alors procéder au licenciement de l’intéressé.
L’avis d’inaptitude (ou encore l’absence d’un tel avis à l’issue de la visite médicale) peut faire l’objet d’une contestation, que ce soit à l’initiative du salarié ou de l’employeur. Le Code du travail organise la procédure judiciaire afférente : il s’agit désormais d’une procédure urgente au fond devant le Conseil de prud’hommes, après la procédure en la forme des référés prévue antérieurement.
Le Juge prud’homal substitue sa décision à celle du médecin du travail, et déclare le salarié apte ou inapte. Pour ce faire, il lui est possible de solliciter le médecin-inspecteur du travail, dont l’avis pourra l’éclairer sur la décision qu’il est amené à prendre.
Ainsi le Juge doit examiner les éléments médicaux sur lesquels le médecin du travail a fondé sa décision : l’irrégularité de la procédure prévue aux articles L.4624-2 et suivants du Code du travail est donc en la matière inefficace, à elle seule, à disqualifier la décision contestée. En effet si le médecin du travail doit procéder à une enquête contradictoire avant de se prononcer, mettre à jour la fiche d’entreprise, examiner les opportunités de reclassement dans l’entreprise etc., le Juge peut lui-même le cas échéant, indirectement procéder à ces mesures dans le cadre du contentieux prud’homal.
La Cour de cassation rappelle cette articulation entre les pouvoirs du médecin du travail et ceux du Juge, dans l’arrêt ci-dessous reproduit. Cette décision est intéressant à plus d’un titre.
D’abord il est assez rare de voir la Chambre sociale se prononcer sur cette question, et cette solution vient alimenter le régime jurisprudentiel de l’action en contestation de la décision du médecin du travail. Ensuite le cas d’espèce est original : le médecin du travail a en effet ici déclaré l’inaptitude non pas suite aux conditions d’exécution de la prestation de travail, mais en raison de la dégradation de l’état de santé du salarié à la suite des agissements de l’employeur pendant son arrêt-maladie.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 7 décembre 2022 (pourvoi n° 21-17.927, publié au Bulletin)
La société Access Assistance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-17.927 contre l’arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d’appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l’opposant à M. [Y] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Colmar, 8 avril 2021), M. [Z] a été engagé par la société Access Assistance le 14 avril 2004 en qualité d’agent d’entretien.
2. Le 25 février 2019, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude, indiquant : « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
3. Le 7 mars 2019, l’employeur a saisi le conseil de prud’hommes, statuant en la forme des référés, aux fins de contester l’avis d’ inaptitude et demander l’organisation d’une expertise.
4. Le médecin inspecteur régional du travail a été désigné par ordonnance du 26 avril 2019.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le salarié était inapte au poste d’agent d’entretien ainsi qu’à tout autre poste au sein de la société Access Assistance, alors « que selon l’article R. 4624-42 du code du travail, un salarié ne peut être déclaré médicalement inapte à son poste qu’après, d’une part, qu’il a été réalisé un examen médical permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation, de mutation de poste ou sur la nécessité de proposer un changement de poste, d’autre part, qu’il a été réalisé ou fait réaliser une étude de poste, de troisième part, qu’il a été réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et, enfin, qu’il a été procédé à un échange avec l’employeur ; que ces conditions cumulatives doivent être respectées quelle que soit la cause de l’inaptitude ; qu’au cas présent, la société Access Assistante faisait valoir que les avis d’inaptitude du médecin du travail et du médecin inspecteur du travail n’avaient été précédés d’aucune étude de poste, ni d’aucune étude des conditions de travail au sein de l’établissement ; que, pour confirmer l’inaptitude, la cour d’appel a énoncé qu’une telle absence serait »sans influence » au motif que l’inaptitude »ne résulte pas des conditions de travail mais d’une dégradation des relations entre les parties pendant l’arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées » ; qu’en statuant de la sorte par des motifs inopérants, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
6. Selon l’article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, modifiée par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes en la forme des référés d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4.
7. Ce texte ajoute que le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence et que sa décision se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées.
8. Selon l’article R. 4624-42 du code du travail dans ses dispositions issues du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que s’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste, s’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste et une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée et enfin s’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur.
9. Il en résulte que le juge saisi d’une contestation de l’avis d’inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction.
10. La cour d’appel, qui a procédé à l’examen de la procédure suivie par le médecin du travail et relevé que l’inaptitude de l’intéressé ne résultait pas des conditions de travail mais d’une dégradation des relations entre les parties pendant l’arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées, a pu en déduire que l’absence d’études récentes était sans influence sur les conclusions du médecin du travail qui concernaient une période postérieure à l’arrêt de travail et décider que le salarié était inapte au poste d’agent d’entretien ainsi qu’à tout autre poste au sein de la société Access Assistance.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
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