Le pouvoir disciplinaire de l’employeur est encadré par un régime juridique largement prétorien, notamment pour ce qui concerne la définition de la faute ou de la sanction. La Cour de cassation complète de façon remarquable, dans l’arrêt ci-dessous reproduit, les modalités de la rétrogradation.
L’on sait en effet que l’employeur ne peut pas imposer une modification du contrat de travail : il est contraint d’obtenir l’accord exprès du salarié. S’agissant d’une sanction disciplinaire (telle la rétrogradation, qui modifie le niveau hiérarchique de l’emploi occupé), il doit par conséquent dans un premier temps proposer une telle mesure.
Si le salarié la refuse, l’employeur est alors autorisé à lui imposer une sanction de nature différente, le cas échéant plus sévère : en pratique ce sera souvent la rupture du contrat de travail. Mais si le salarié l’accepte expressément, alors le contrat de travail est valablement modifié.
En l’espèce le salarié contestait la sanction (un délai de deux ans lui est laissé pour ce faire…), après avoir conclu un avenant formel actant sa rétrogradation. Le Juge du fond avait rejeté sa demande, constatant qu’il avait en son temps accepté la mesure disciplinaire proposée.
La Chambre sociale casse cette décision, au motif que la conclusion d’un tel avenant contractuel ne peut être considérée comme renonciation à contester la sanction disciplinaire dans le délai de prescription. Aussi la rétrogradation pourrait-elle être annulée, et le salarié réintégré sur son poste de travail initial, avec les conséquences salariales afférentes pour l’avenir … et le rappel de salaire rétroactif.
Cour de cassation, Chambre sociale, 14 avril 2021 (pourvoi n° 19-12.180, publié au bulletin)
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018), M. [B] a été engagé le 31 mars 1989, en qualité de responsable atelier imprimerie par le comité central d’entreprise de la SNCF, aux droits duquel est venu le [Personne morale 1].
2. Le 1er mars 2008, il a été promu au poste de responsable du patrimoine régional (coefficient 172) du village de vacances de [Localité 1]. Sa rémunération mensuelle brute moyenne s’élevait à 2 969,70 euros.
3. Le 12 septembre 2014, l’employeur lui a notifié, sous réserve de son acceptation, une rétrogradation disciplinaire au poste de bibliothécaire 1, catégorie employé 3, coefficient minimum de 141, à [Localité 2], pour une rémunération mensuelle brute de 2 235,85 euros. Un avenant à son contrat de travail à durée indéterminée a été régularisé en ce sens par les parties à effet du 6 octobre 2014.
4. M. [B] a saisi la juridiction prud’homale notamment en annulation de cette sanction et rétablissement sous astreinte dans un poste de qualification et rémunération équivalentes à son précédent emploi.
5. Suite à l’annulation de la sanction de rétrogradation, par jugement du 10 mai 2016, M. [B] a été réintégré selon un avenant du 1er juin 2016, dans la catégorie socioprofessionnelle qu’il occupait avant la notification de sa rétrogradation et maintenu avec son accord dans l’emploi de bibliothécaire 1 au sein du service du livre et des bibliothèques, à [Localité 2].
(…)
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l’arrêt de dire que la sanction notifiée le 12 septembre 2014 était fondée et de le débouter de ses demandes salariales, alors « que le juge, saisi d’un litige, doit contrôler la proportionnalité de la sanction à la faute commise ; que la simple signature d’un avenant portant rétrogradation disciplinaire, ne prive pas le salarié de la faculté de contester la sanction dont il a fait l’objet ; qu’en se bornant à retenir que c’est ’’en parfaite connaissance de cause que M. [R] [B] a signé l’avenant entérinant sa rétrogradation disciplinaire qu’il a ainsi acceptée et qu’il n’est plus fondé à remettre en cause’’, sans examiner, comme elle y était pourtant invitée, si la sanction infligée n’était pas disproportionnée au regard des faits reprochés, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L. 1333-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail :
7. Selon ces textes, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Il peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
8. L’acceptation par le salarié de la modification du contrat de travail proposée par l’employeur à titre de sanction n’emporte pas renonciation du droit à contester la régularité et le bien-fondé de la sanction.
9. Pour dire que la sanction était fondée et débouter le salarié de ses demandes à ce titre, l’arrêt retient que l’intéressé a retourné l’avenant signé et précédé de la mention « lu et approuvé » dans lequel figurent précisément son nouvel emploi avec ses attributions, son lieu de travail, ses conditions d’hébergement, sa rémunération et la durée du travail, et que c’est donc en parfaite connaissance de cause qu’il a signé l’avenant entérinant sa rétrogradation disciplinaire qu’il a ainsi acceptée et n’est plus fondé à remettre en cause.
10. En statuant ainsi, sans s’assurer, comme elle y était invitée, de la réalité des faits invoqués par l’employeur, de leur caractère fautif et de la proportionnalité de la sanction prononcée à la faute reprochée au salarié, la cour d’appel, qui n’a pas exercé son office, a violé les textes susvisés.
(…)
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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