La prohibition de la discrimination abusive repose sur une liste légale de critères interdits. L’employeur notamment ne peut prendre en compte l’un ou l’autre de ces critères, en principe, à l’appui de sa décision.

La discrimination sera qualifiée dès lors que ce critère sera évoqué, même en l’absence d’intention de nuire au salarié, ou même si la décision finale de l’employeur ne tient pas compte du critère litigieux. Les responsabilités civile et pénale de l’auteur de la discrimination sont ainsi aisément engagées.

Bien entendu, seuls les critères expressément visés par la Loi peuvent donner lieu à de telles condamnations. Mais si le Juge ne peut « inventer » un critère abusif, il peut interpréter souverainement les faits en rapport avec l’interdiction légale.

Ainsi la prohibition de la discrimination s’applique aussi bien lorsque la décision repose positivement sur le critère interdit, que lorsqu’elle vise négativement le salarié. La Cour de cassation rappelle ce principe dans l’arrêt ci-dessous reproduit, pour ce qui concerne le critère de la situation familiale.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 9 avril 2025 (pourvoi n° 23-14.06, publié au Bulletin)

M. [P] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-14.016 contre l’arrêt rendu le 8 mars 2023 par la cour d’appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme [I] [F], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 8 mars 2023), Mme [F] a été engagée en qualité de collaboratrice parlementaire par M. [J], député, à compter du 1er juillet 2005. Elle était employée en qualité de cadre, à temps partiel et exerçait ses fonctions au sein de la permanence parlementaire de [Localité 3].

2. A la suite des élections législatives de juin 2017, M. [J] a, le 19 juin 2017, convoqué la salariée à un entretien préalable à son licenciement. Il l’a licenciée par lettre du 30 juin 2017 en raison de la cessation de son mandat de député et le contrat de travail a pris fin le 31 août 2017 au terme du préavis dont la salariée a été dispensée d’exécution.

3. Soutenant avoir subi une inégalité de traitement constitutive d’une discrimination en raison de son défaut d’appartenance à la famille de son employeur, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, le 10 avril 2018, de demandes en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

(…)

Enoncé du moyen

5. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée certaines sommes à titre de rappel de salaire de base, de rappel de primes exceptionnelles, de rappel d’ancienneté sur la différence mensuelle, de rappel de prime d’ancienneté, au titre de l’incidence sur le 13ème mois, des congés payés afférents, à titre de rappel d’indemnité de licenciement, de rappel d’indemnité supplémentaire de licenciement, de majoration de l’indemnité supplémentaire de licenciement et de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la délivrance tardive de l’attestation employeur rectificative, et de lui ordonner de remettre à la salariée divers documents, alors :

« 1°/ que l’article L. 1132-1 du code du travail, qui énonce qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération en raison de  »sa situation de famille », vise la seule situation de famille de la salariée qui invoque la discrimination ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a énoncé que l’expression peut se définir par des critères propres à la personne discriminée, mais aussi par comparaison à d’autres situations de famille prises en compte au détriment de la personne discriminée, et a retenu que M. [J] justifie la différence de traitement entre ses deux collaboratrices par le caractère plus politique des fonctions de son épouse,  »nombreuses, variées et sensibles, et exigeant une disponibilité et une confidentialité totales », pour en déduire qu’il fait reposer la garantie de disponibilité et de confidentialité sur la seule qualité d’épouse de sa seconde collaboratrice, que c’est donc par un critère familial, celui de ne pas appartenir à son cercle familial, qu’il justifie la différence de traitement, pour juger que Mme [F] avait subi une situation de discrimination ; qu’en statuant ainsi, cependant que, comme l’avait retenu à bon droit le conseil de prud’hommes,  »le critère de la situation de famille s’applique à la personne qui se dit victime de discrimination, et non à l’employeur. Une interprétation divergente de cette disposition impliquerait d’en détourner le sens et la lettre », la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article L. 1132-1 du code du travail ;

2°/ que le juge ne peut modifier les termes du litige et dénaturer les conclusions des parties ; qu’en ayant énoncé que M. [J] justifie la différence de traitement entre ses deux collaboratrices par le caractère plus politique des fonctions de son épouse,  »nombreuses, variées et sensibles, et exigeant une disponibilité et une confidentialité totales », fait reposer la garantie de disponibilité et de confidentialité sur la seule qualité d’épouse de sa seconde collaboratrice, et que c’est donc par un critère familial, celui de ne pas appartenir à son cercle familial, qu’il justifie la différence de traitement, cependant que l’employeur justifiait expressément la différence de traitement entre M. [J] et Mme [F] par le fait que M. [J] était disponible et donnait des rendez-vous à la permanence à des horaires décalés (entre midi et 14h ou après 20h), et était joignable y compris le week-end, la cour d’appel a dénaturé les conclusions de M. [J] et a violé l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En application de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de sa situation de famille.

7. Le défaut d’appartenance du salarié à la famille de son employeur, en ce qu’il constitue le motif d’un traitement moins favorable, relève du champ d’application de ce texte.

8. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de discrimination qui décide que le principe de l’égalité de traitement consacré par les directives dans ce domaine s’applique non pas à une catégorie de personnes déterminée, mais en fonction des motifs prohibés visés aux dispositions des directives en matière de discrimination (s’agissant de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail : CJUE, 17 juillet 2008, Coleman, C-303/06, § 38 ; s’agissant de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique : CJUE, 16 juillet 2015, Nikolova, C-83/14, § 56).

9. C’est dès lors à bon droit, sans dénaturation des conclusions, que la cour d’appel a retenu que le motif de discrimination prohibé tenant à la situation de famille était applicable en l’espèce, dès lors que l’employeur entendait justifier la différence de traitement en matière de rémunération entre la salariée et la salariée de comparaison par la qualité d’épouse de cette dernière.

10. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)