Le Comité social et économique (CSE) dispose d’un droit d’alerte pour les atteintes à la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi qu’aux droits de la personne (harcèlements, discrimination etc.). Chacun des élus, quel que soit l’effectif de l’entreprise, dispose pareillement de ce droit d’alerte.

Il s’agit dans un premier temps de solliciter l’employeur, aux fins d’une enquête conjointe. A défaut de réaction de la hiérarchie, ou si l’enquête se révèle insatisfaisante, les élus peuvent saisir le Juge prud’homal dans le cadre d’une procédure accélérée, en vue d’obtenir la condamnation de l’entreprise employeur à faire cesser l’atteinte dénoncée.

La Cour de cassation interprète largement les textes encadrant ce droit d’alerte, sur le plan processuel. L’arrêt ci-dessous reproduit en partie, confirme de façon particulièrement bien illustrée cette large appréciation.

Ainsi en premier lieu, un syndicat salarié peut exercer son action dans l’intérêt collectif, en se joignant à l’action judiciaire déclenchée par un élu dans le cadre de son droit d’alerte. Il suffit que les conditions de cette action « de droit commun » soient réunies, et que la défense de l’intérêt catégoriel salarié puisse être invoquée.

En second lieu, cette procédure judiciaire d’alerte peut être exercée par plusieurs élus du personnel, puisque chacun d’entre eux, au-delà du droit d’alerte du CSE en tant qu’institution, dispose de cette prérogative. Enfin cette procédure judiciaire peut évoquer le cas de salariés victimes d’atteintes aux droits de la personne, même s’ils n’étaient pas indentifiés lors de la première phase de l’alerte.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 3 Décembre 2025 (pourvoi n° 24-10.326, publié au Bulletin)

1°/ M. [Y] [D], agissant en qualité de membre de la délégation du personnel au comité social et économique de la société Sedifrais Montsoult Logistic, domicilié [Adresse 1],

2°/ le syndicat CGT Commerce Sedifrais Montsoult, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° V 24-10.326 contre l’arrêt rendu le 26 octobre 2023 par la cour d’appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant à la société Sedifrais Montsoult Logistic, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 26 octobre 2023), par lettre du 27 avril 2021, M. [D] agissant en qualité de membre de la délégation du personnel au comité social et économique (le comité) de la société Sedifrais Monsoult Logistic (la société), ainsi que deux autres membres de la délégation du personnel, ont exercé leur droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes prévu par l’article L. 2312-59 du code du travail, en faisant état de ce que, dans le cadre d’une procédure prud’homale engagée par M. [B], salarié de l’entreprise, afin d’obtenir son repositionnement conventionnel, la société avait produit un document intitulé « avenant au contrat de travail » qui s’était révélé être un faux et que de telles pratiques ne pouvaient être acceptées en ce qu’elles participaient de la dégradation des conditions de travail au sein de l’entreprise, témoignaient de la réalité d’un harcèlement moral subi par de nombreux salariés de l’entreprise et, au cas particulier de M. [B], de l’atteinte à son avenir professionnel en termes de promotion. Ils demandaient à l’employeur qu’il procède sans délai à une enquête sur ces faits et prenne toutes les dispositions nécessaires pour remédier à la situation. Cette lettre mentionnait également qu’au regard de l’absence d’accès à la base de données économiques et sociales et des interrogations concernant cette entrave, il serait opportun d’organiser au surplus, en parallèle à l’exercice de leur droit d’alerte, une réunion extraordinaire du comité.

2. Par lettre du 11 juin 2021 la société a répondu que la situation dénoncée n’entrait pas dans les prévisions de l’article L. 2312-59 du code du travail.

3. Invoquant la carence de l’employeur, M. [D], ès qualités, et le syndicat CGT Commerce Sedifrais Monsoult (le syndicat) ont saisi la juridiction prud’homale statuant selon la procédure accélérée au fond, le 29 juin 2021, de demandes tendant à enjoindre à la société, sous peine d’astreinte, concernant la pièce arguée de faux, de retirer l’avenant litigieux de toute procédure judiciaire ou extra-judiciaire en cours ou à venir et de prendre, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir disciplinaire et des dispositions de son règlement intérieur, toute mesure appropriée pour identifier le ou les auteurs du faux et prendre toute sanction le cas échéant à l’encontre du ou des personnes responsables des agissements dénoncés, concernant le harcèlement moral, de prendre les mesures pertinentes et sérieuses et d’en justifier pour faire cesser les atteintes à la santé mentale et physique des salariés, et, concernant la base de données économiques et sociales, de préciser par écrit à la délégation du personnel au comité la date de sa création, de fournir les éléments en justifiant, de préciser aux demandeurs et de modifier le cas échéant la base de données économiques et sociales sur les points suivants : les évolutions des effectifs mois par mois des emplois et des catégories professionnelles, une analyse détaillée de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et les éléments relatifs à la rémunération des salariés et des dirigeants dont l’évolution des rémunérations salariales par catégorie, sexe, et salaire de base minimum et ce, depuis la date de création de la base de données économiques et sociales jusqu’au jour de la demande. Ils ont sollicité en outre la condamnation de la société au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi.
(…)

Enoncé du moyen

11. Le syndicat fait grief à l’arrêt de dire irrecevable son action fondée sur les dispositions de l’article L. 2312-59 du code du travail, alors « que les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ; que, pour déclarer irrecevable l’action du syndicat CGT Commerce Sedifrais Montsoult, la cour d’appel a relevé, d’une part, qu’  »aux termes de l’article L. 2312-59 du code du travail, l’action n’appartient qu’au « salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas » », d’autre part, que  »l’article L. 2132-3 du code du travail dispose que « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent » », puis en a déduit que  »ces dernières dispositions, d’ordre général, ne peuvent toutefois faire échec aux dispositions spéciales et limitatives de l’article L. 2312-59 précitées », approuvant ainsi les premiers juges d’avoir considéré que  »le syndicat CGT Commerce Sedifrais Montsoult n’a pas pouvoir d’agir dans le cadre de la présente instance à l’encontre de la société Sedifrais Montsoult pour défaut de droit à agir » ; qu’en statuant ainsi, cependant que les dispositions de l’article L. 2312-59 du code du travail n’interdisent pas aux syndicats professionnels d’agir devant la juridiction prud’homale, en application de l’article L. 2132-3 du code du travail, aux côtés d’un membre de la délégation du personnel au comité social et économique exerçant son droit d’alerte afin de faire constater et cesser l’atteinte aux droits des salariés de l’entreprise et donc à l’intérêt collectif de la profession que ces syndicats représentent, la cour d’appel a violé les article L. 2312-59 et L. 2132-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2132-3 et L. 2312-59 du code du travail :

12. Aux termes du premier de ces textes, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

13. Aux termes du second, si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L’employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor.

14. L’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles des salariés dans l’entreprise porte un préjudice à l’intérêt collectif de la profession, en sorte qu’une organisation syndicale est recevable à se joindre à l’action engagée par un membre de la délégation du personnel au comité social et économique au titre de son droit d’alerte sur le fondement de l’article L. 2312-59 du code du travail.

15. Pour déclarer irrecevable l’action du syndicat, l’arrêt retient que l’action prévue par l’article L. 2312-59 du code du travail n’appartient qu’au salarié ou au membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas et que les dispositions d’ordre général de l’article L. 2132-3 du même code ne peuvent faire échec aux dispositions spéciales et limitatives de l’article L. 2312-59 précitées.

16. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

17. M. [D] fait grief à l’arrêt de dire irrecevable son action en qualité de membre de la délégation du personnel au comité de la société, alors « qu’aux termes de l’article L. 2312-59 du code du travail,  »en cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond » ; qu’en l’absence de dispositions contraires, il n’est pas interdit au membre de la délégation du personnel au comité social et économique exerçant son droit d’alerte d’invoquer devant la juridiction prud’homale l’existence de faits nouveaux ou la situation particulière de salariés de l’entreprise se rattachant à la situation dénoncée dans le cadre du courrier d’alerte adressé à l’employeur, mais n’y figurant pas expressément ; qu’en jugeant, au contraire, que « concernant la dénonciation d’une atteinte aux droits de salariés, les termes de la lettre du 27 avril 2021, qui fixent les limites du litige, s’ils font effectivement état de la situation de M. [B], ne mentionnent ni M. [L], ni M. [Z], lesquels n’entrent donc pas dans le périmètre de l’alerte, objet du litige », la cour d’appel a violé l’article L. 2312-59 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 2312-59 du code du travail :

18. Selon l’article L. 2312-59 du code du travail, si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, notamment résultant de faits de harcèlement moral, il en saisit immédiatement l’employeur, qui doit procéder sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le membre de la délégation du personnel au comité social et économique, si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui peut ordonner toute mesure propre à faire cesser cette atteinte.

19. La saisine de l’employeur par un membre de la délégation du personnel au comité social et économique exerçant ce droit d’alerte n’étant soumise à aucun formalisme, l’écrit par lequel il a saisi l’employeur lorsqu’il a constaté une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise ne fixe pas les limites du litige. Il en résulte que le membre de la délégation du personnel au comité social et économique peut se prévaloir devant le juge de la situation d’autres salariés, concernés par le harcèlement moral allégué dans l’écrit par lequel il a exercé son droit d’alerte, que celle des salariés mentionnés dans cet écrit.

20. Pour déclarer irrecevables les demandes du membre de la délégation du personnel au comité en ce qu’elles portaient sur l’atteinte aux droits des personnes et à leur santé physique et mentale résultant de faits de harcèlement moral dans l’entreprise, l’arrêt retient que les termes de la lettre du 27 avril 2021, qui fixent les limites du litige, s’ils font effectivement état de la situation de M. [B], ne mentionnent ni M. [L], ni M. [Z], lesquels n’entrent donc pas dans le périmètre de l’alerte, objet du litige.

21. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

22. M. [D] fait grief à l’arrêt de dire irrecevable son action en qualité de membre de la délégation du personnel au comité de la société, alors « qu’aux termes de l’article L. 2312-59 du code du travail, « en cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond » ; que l’exercice par le membre de la délégation du personnel au comité social et économique du droit d’alerte n’est donc pas subordonné à l’absence d’action du salarié victime de l’atteinte constatée ; qu’en retenant, pour déclarer M. [D] irrecevable en sa demande, qu’  »en ce qui concerne M. [B], il est établi et reconnu par M. [D] lui-même aux termes de son courrier, que ce salarié a d’ores et déjà saisi le conseil de prud’hommes du litige qui l’oppose à son employeur », quand l’action en justice du salarié ne faisait pas obstacle à celle du représentant du personnel, la cour d’appel a violé l’article L. 2312-59 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 2312-59 du code du travail :

23. Selon l’article L. 2312-59, alinéa 1er, du code du travail, si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.
L’employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond.

24. L’exercice par un membre de la délégation du personnel au comité social et économique du droit d’alerte prévu par l’article L. 2312-59 susvisé n’est pas subordonné à l’absence d’action du salarié, concerné par l’atteinte invoquée, engagée devant la juridiction prud’homale pour faire valoir ses droits.

25. Pour déclarer irrecevables les demandes du membre de la délégation du personnel au comité en ce qu’elles portaient sur l’atteinte aux droits de M. [B], l’arrêt retient qu’il est établi que ce salarié a d’ores et déjà saisi le conseil de prud’hommes du litige qui l’oppose à son employeur.

26. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)