La victime des escroqueries aux prestations sociales n’est pas systématiquement le système de sécurité sociale : c’est la raison pour laquelle tout ses acteurs (assujettis, prescripteurs, praticiens etc.) doivent être particulièrement vigilants. La Caisse n’est en effet pas le garant de ses partenaires en matière de fraude.
Un exemple est donné sur ce point par la Cour de cassation, dans l’arrêt ci-dessous principalement reproduit. En l’occurence des médicaments ont été délivrés par un pharmacien en pratiquant le tiers-payant, sur présentation d’une fausse ordonnance et d’une attestation de soins.
La Caisse a refusé de rembourser cette dépense, c’est-à-dire d’assumer la fraude commise par le bénéficiaire. La Cour de cassation valide cette décision, puisqu’il existe une application gratuite disponible (à laquelle en l’espèce le pharmacien ne s’était pas abonné) permettant d’identifier les fausses ordonnances, et que la demande était suspecte au vu de l’absence de carte vitale et du caractère exceptionnel du traitement.
Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 8 juillet 2021 (pourvoi n°20-11.884, publié au Bulletin)
(…)
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Bobigny, 28 novembre 2019), rendu en dernier ressort, la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines (la caisse) a notifié à la société Pharmacie [Localité 1] (la pharmacie) sa décision de refus de prise en charge de la facture n° 36514 du 26 avril 2018 correspondant à la délivrance de médicaments d’exception.
2. La pharmacie a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.
(…)
3. La caisse fait grief au jugement de la condamner à prendre en charge la facture du 26 avril 2018, alors :
« 1°/ que les caisses de sécurité sociale ne peuvent rembourser que les produits médicamenteux prescrits par un médecin ; que même en cas de bonne foi de la pharmacie, la caisse ne peut rembourser une prescription non établie par un praticien ; qu’en ordonnant le remboursement d’un produit vendu sur la base d’une fausse ordonnance, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles R. 161-40, R. 163-2 et R. 165-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que la force majeure est conditionnée à l’existence d’un événement incontrôlable, imprévisible et irrésistible ; qu’en l’espèce, la présentation à la pharmacie d’une ordonnance frauduleuse, même rédigée sur une souche authentique, ne caractérisait nullement une situation de force majeure dès lors que la fraude à l’ordonnance pour les hormones de croissance est fréquente et que la pharmacie disposait gratuitement de moyens sécurisés mis en place par l’assurance maladie pour contrôler tant l’authenticité de l’ordonnance que la réalité de l’ouverture des droits de l’assuré, ce qui excluait tout caractère insurmontable, imprévisible et irrésistible ; qu’en considérant que la pharmacie s’était trouvée dans une situation de force majeure, de sorte qu’elle pouvait demander le remboursement de la facture litigieuse en dépit du caractère falsifié de l’ordonnance, le tribunal a violé les articles L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale et 1218 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 161-1-4, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, applicable au litige :
4. Aux termes de ce texte, sauf cas de force majeure, la non-présentation par le demandeur de pièces justificatives, la présentation de faux documents ou de fausses informations ou l’absence réitérée de réponse aux convocations d’un organisme de sécurité sociale entraînent la suspension, selon le cas, soit du délai d’instruction de la demande pendant une durée maximale fixée par décret, soit du versement de la prestation jusqu’à la production des pièces demandées ou la réponse à la convocation adressée.
5. Pour condamner la caisse à prendre en charge la facture de médicaments, le jugement retient qu’il apparaît que l’inscription à l’applicatif ASAFO (alerte sécurisée automatisée aux fausses ordonnances) n’est pas obligatoire et qu’il n’est pas paramétré pour diffuser des alertes automatiquement, sans besoin d’y être abonné et sans besoin de procéder à des recherches après connexion. Le jugement relève encore qu’il ne peut être reproché à la pharmacie de n’avoir pas consulté ledit applicatif et que si le prix du produit doit inciter à de la prudence de la part des pharmacies, pour autant cela ne suffit pas à écarter tout risque de fraude. Le jugement ajoute qu’en raison de l’utilisation d’un carnet à souches originales dérobé au médecin endocrinologue prescripteur réel, la falsification était encore plus difficile à détecter. Le jugement estime enfin que la caisse ne démontrant pas qu’il était impossible pour la pharmacie de ne pas détecter le caractère falsifié de l’ordonnance litigieuse, l’absence d’alerte automatique relative à des ordonnances falsifiées ou volées sans besoin d’un abonnement à l’applicatif et l’absence d’obligation de consulter l’applicatif avant chaque délivrance de produits quel qu’en soit le montant, constituent des éléments en faveur du cas de force majeure, empêchant la pharmacie de présenter une ordonnance non falsifiée.
6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le cas de force majeure, alors qu’il constatait que l’ordonnance remise à la pharmacie aux fins de délivrance du médicament d’exception était un faux qui aurait pu être détecté par la consultation d’un applicatif donnant accès au signalement des ordonnances falsifiées et que la pharmacie avait délivré ce médicament en pratiquant le tiers payant sur la base d’une simple attestation de soins et non d’une carte vitale, ce dont il résultait que la vérification de la prescription médicale n’était pas imprévisible, le tribunal qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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