Après avoir peu à peu ouvert la possibilité pour les salariés de solliciter la réparation d’un préjudice d’anxiété, à la charge de l’entreprise employeur ayant manqué à son obligation de sécurité, la Cour de cassation généralise désormais le champ d’application de cette indemnisation à toute substance nocive ou toxique, dans un arrêt promis à une large diffusion en date du 11 septembre 2019. Inutile par conséquent pour le salarié, de justifier entrer dans les critères posés par la Loi (amiante par exemple), pour établir la crainte de contracter une maladie susceptible d’être causée par un environnement professionnel malsain.
Cour de cassation, Chambre sociale, 11 septembre 2019 (pourvois n° 17-24.879 à 17-25.623, publié au bulletin)
(…)
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués M. X… et
les autres demandeurs aux pourvois ont été employés, en qualité de
mineurs de fond et de jour par les Houillères du bassin de Lorraine
(HBL), devenues établissement public à caractère industriel et
commercial Charbonnages de France. Cet établissement a été placé en
liquidation le 1er janvier 2008, M. B… étant désigné en qualité de
liquidateur.
4. Les salariés ont saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d’anxiété et du manquement à une obligation de sécurité. A la suite de la clôture de la liquidation, les droits et obligations de l’Epic Charbonnages de France ont été transférés à l’Etat à compter du 1er janvier 2018. La cour d’appel de Metz a rejeté les demandes des salariés.
Examen des moyens réunis
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige :
5. En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.
6. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour (Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, en cours de publication ; Soc. 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24444, Bull. V n° 234) que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.
7. Pour rejeter la demande des salariés au titre d’un préjudice d’anxiété, les arrêts retiennent, d’abord, que la réparation du préjudice spécifique d’anxiété, défini par la situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, n’est admise, pour les salariés exposés à l’amiante, qu’au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l’arrêté ministériel pris en application, et que les salariés doivent être déboutés de leur demande présentée à titre principal en réparation du préjudice d’anxiété, lequel n’est pas ici indemnisable, même sur le fondement de l’obligation de sécurité, et ce en l’absence de dispositions légales spécifiques.
8. Les arrêts retiennent, ensuite, que les salariés versent aux débats plusieurs attestations mettant en cause la qualité, le nombre et le port des masques individuels fournis par l’employeur ainsi que le système d’arrosage destiné à capter les poussières. À titre d’exemple, il y est ainsi fait état de ce que « nous n’avions pas de masque à poussières individuel… la plupart des mineurs ne portait pas de masques à poussières, certains d’entre nous achetaient des masques en mousse en pharmacie… nous fermions l’eau pour ne pas être noyés à front… dans les années 90 on portait des masques jetables ils se colmataient vite avec la respiration et la poussière les colmatait et on n’en avait pas assez à disposition et ils n’étaient pas adaptés à un travail physique intense » (M. C…), de ce que « les différentes sortes de masques présentaient chacun leurs lacunes… distribution limitée au jour ; …les buses étaient souvent bouchées voire hors service. Les arrosages sectoriels étaient très vite hors service » (M. D…), de ce que « le port du masque n’était pas obligatoire » (M. E…, M. F…, M. G…, M. H…), de ce que « plus il fallait de l’eau pour la neutraliser, ce qui provoquait énormément de boue à l’avant de la machine, celle-ci s’embourbait, conclusion mécanique, il fallait réduire la quantité d’eau sur l’arrosage. En sachant que les buses d’arrosage étaient souvent bouchées car la qualité de l’eau était médiocre. Pour nous protéger de toute cette poussière, il nous fallait des masques de protection, lorsqu’on avait la chance d’en avoir ce qui était très rare, ils étaient très souvent et rapidement inutilisables ou hors service… » (M. I…), ou de ce que « les buses du soutènement machant, les premières années, étaient inexistantes et ensuite étaient régulièrement bouchées par les poussières » (M. J…) ou de ce qu’il y avait des buses à eau sur les tambours mais le débit était insuffisant pour éliminer toute la poussière du havage. Même avec des buses bouchées le havage continuait car le plus important était avant tout la production’ (M. K…) ou de ce que « j’ai assisté plusieurs fois à la mise en place du capteur de poussières qui était toujours placé derrière une toile de jute mouillée par une buse à eau » (M. L…) ».
9. Les arrêts retiennent également que l’attestation de M. M…, un ancien salarié des HBL qui après son départ en 1973 a travaillé pour un fournisseur des HBL, ce qui l’a conduit à faire des essais techniques dans des galeries, fait état de ce que « nous sommes donc descendus par la tête de taille pour accéder à la haveuse qui était en plein abattage, la poussière était tellement dense qu’on n’y voyait pas à 2 mètres. Nous avons progressé jusqu’au pied de la taille pour les essais de serrage au couple en situation réelle, mon masque à poussière était bon à jeter, quand je me suis mouché, le mouchoir était noir. Au retour, j’ai remarqué qu’un capteur de poussière était masqué par de la toile de jute arrosée par une buse à eau. Dans la voie de base, les convoyeurs, les broyeurs dégageaient malgré l’arrosage une énorme poussière et mon masque était saturé ; un mineur me l’a soufflé à l’air comprimé afin que je puisse le réutiliser, il m’a précisé qu’il lui faudrait environ quatre ou cinq masques par poste ce que j’ai tendance à croire, le mien étant colmaté après une petite heure. D’après ses dires confirmés aussi par l’agent de maîtrise de chantier, il arrivait fréquemment qu’il n’y ait plus aucun masque de stock ».
10. La cour d’appel a toutefois considéré que ces attestations et témoignages faisaient état de constats qui ne pouvaient être reliés directement à la situation concrète de chaque salarié demandeur en fonction des différents postes successivement occupés par eux.
11. La cour d’appel a, par ailleurs,
retenu qu’il était démontré que l’employeur avait pris toutes mesures
nécessaires de protection, tant individuelle que collective, et
également d’information, au vu notamment de différents documents
relatifs aux taux d’empoussiérage, de documents relatifs aux systèmes
d’aérage, de capteurs et dispositifs d’arrosage, aux masques
individuels, d’attestations – telle celle de M. N… indiquant que
’’tant au point de vue des machines d’abattages, des différents
convoyeurs, que du soutènement, et des effets individuels ces différents
moyens de lutte étaient constamment contrôlés et entretenus… les
masques à poussière étaient à la portée de chaque agent avant la
descente en quantité suffisante. Des contrôles de poussière étaient
organisés par des appareils individuels portés par des agents durant
tout le poste aux conditions réelles de travail” ou celle de M. O… qui
indique avoir constaté sur trente ans l’évolution des méthodes et du
matériel dans tous les services et dans le domaine de la lutte contre
les poussières par la recherche et la mise en oeuvre des moyens les plus
efficaces ainsi que leur adaptation en fonction de l’évolution des
techniques et des matériels- de documents relatifs au suivi par les
médecins du travail des nuisances professionnelles et du suivi médical
renforcé du personnel des mines, des nombreux rapports des
délégués-mineurs faisant apparaître que lorsque une observation est
formulée sur la sécurité, il y est donné suite par l’exploitant, par
exemple le rapport du 10 avril 1997 où le délégué mineur indique « lors
de l’utilisation de la balayeuse, un nuage de poussière est créé, le
personnel est incommodé. Je demande le retrait immédiat de cet engin
balayeuse inadapté aux conditions du carreau Merlebach nord » avec la
réponse apportée : « le balayage ne sera plus fait par temps sec avec cet
engin. Une balayeuse « humide » d’une société extérieure sera commandée
selon les besoins » ; notamment encore le rapport de M. P… du 21 août
1958 indiquant « Veine Anna 3 sud + nord les ouvriers travaillent dans
une atmosphère poussiéreuse. Les masques que ces ouvriers possèdent
rendent leur respiration pénible. Je demande à l’exploitant de revoir
pour les masques une meilleure qualité » avec parallèlement la réponse
« les mesures nécessaires sont prises » ou ceux de M. Q… mentionnant le
22 septembre 1982 “visité la 1°NE Aux. Constaté un important
empoussiérage du T.B provenant de la veine Irma, j’ai demandé au secteur
concerné l’installation d’une batterie de buses à eau pour neutraliser
les poussières à la tête du montage Irma Sud. Ce travail fut réalisé en
cours de poste » et mentionnant le 17 janvier 1983 « assisté partiellement
au havage du front, j’ai pu constater que la neutralisation des
poussières par le dépoussiéreur était très positive, des comptes-rendus
des réunions de la commission d’hygiène et de sécurité, ainsi que des
rapports sur l’activité du service médical du travail, tel celui de
l’année 1986 où il est noté « les effets des nombreuses remarques faites
par les médecins du travail au cours de leurs visites de chantier et
d’atelier : beaucoup ont été prises en compte par la hiérarchie qui a
permis tantôt des améliorations techniques, tantôt la fourniture
d’effets de protection individuelle et dans certains cas une information
du personnel » et où il est précisé, au nombre des constatations faites
par les médecins du travail au cours de leurs visites de chantiers du
fond « comme points positifs : l’augmentation du nombre de dépoussiéreurs
dans les chantiers de creusement, l’utilisation croissante des masques
antipoussières ».
12. En se déterminant ainsi, par des motifs
insuffisants à établir que l’employeur démontrait qu’il avait
effectivement mis en oeuvre les mesures nécessaires pour assurer la
sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs,
telles que prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du
travail, la cour d’appel, qui devait rechercher si les conditions de
mise en oeuvre de la responsabilité de l’employeur telles que définies
aux paragraphes 3 et 4 étaient réunies, n’a pas donné de base légale à
sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
13. Il n’y a pas lieu de mettre hors de cause l’Agence nationale de garantie des droits des mineurs.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE (…)
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