La jurisprudence peut parfois, incidemment, nous renvoyer aux grands moments de l’histoire sociale de notre Nation. Ainsi en est-il de l’arrêt reproduit par extrait ci-dessous, en date du 18 juin 2020.
La Cour de cassation y renvoit une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité d’une disposition légale organisant l’indemnisation des descendants de mineurs ayant été licenciés à la suite de grèves en 1948 et 1952. Le mouvement national de grève des travailleurs de la Mine, déclenché en septembre 1948, a effectivement été exceptionnel.
Il se caractérise surtout par la violence des grévistes, à laquelle a répondu celle des forces de l’ordre, et qui a produit en deux mois 6 morts et plus encore de blessés. Le mouvement syndical ouvrier n’y a pas résisté, puisqu’au delà des divergences doctrinales, les choix opérés par la direction de la CGT ont conduit à un shisme « irréconciliable » avec les militants partis fonder le syndicat CGT-FO.
Cette grève nationale a prolongé après la guerre, les mouvements insurrectionnels auxquels avait participé le secteur minier sous l’occupation allemande : c’est sans doute ce qui a conduit le gouvernement d’une France encore instable, à mobiliser les forces militaires pour réprimer le mouvement. Et la répression a en effet été sévère, au-delà des affrontements : en effet environ 3000 salariés ont été licenciés pour avoir participé à ces « grèves insurrectionelles », et autant ont été pénalement condamnés.
Or c’est bien l’indemnisation de ces salariés pour cause de grève (plutôt celle de leurs enfants…) que la Loi de finance pour 2015 a organisée, et dont les modalités font l’objet du contentieux ci-dessous. La France considère en effet que le traitement subi par les grévistes à l’époque, a été injuste.
Cet épisode de l’Histoire fait-il écho à la situation actuelle ? Les grévistes de 1948 protestaient contre la dégradation des conditions de vie, l’augmentation des prix, la stagnation des salaires etc., alors que les ouvriers de la Mine avaient activement participé non seulement à la résistance à l’Occupant, mais encore à la reconstruction du pays à la Libération.
Ils considéraient donc la manière dont ils étaient traités, tant au sein des entreprises employeurs qu’en dehors, comme humiliante et ingrate. Les syndicats revendiquaient par ailleurs des mesures de protection de la santé des mineurs, qui n’étaient pas entendues.
A l’heure où les personnels soignants de l’Hôpital réclame dans la rue plus que des applaudissements, après avoir été en première ligne pendant la crise épidémique, et à la suite des fameuses protestations populaires en « gilet jaune », il est utile de se remémorer les errements passés. La violence ne sert que peu les revendications sociales, et elle est par ailleurs susceptible de décrédibiliser le pouvoir abusant de la force.
Cour de cassation, chambre sociale, 18 juin 2020 (pourvois n° 20-40005 à 20-40054 QPC ; publié au Bulletin)
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Le conseil de prud’hommes de Paris (section industrie, chambre 1) a transmis à la Cour de cassation, suite aux jugements rendus le 26 février 2020, les questions prioritaires de constitutionnalité, reçues le 4 mars 2020, dans les instances mettant en cause :
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Faits et procédure
2. Mme F… et quarante-neuf autres requérants, alléguant être enfants de mineurs licenciés pour faits de grève au cours des années 1948 et 1952, ont chacun adressé à l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (l’agence) une demande d’allocations en application de l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.
3. Cette agence a déclaré leur demande irrecevable au motif que celle-ci n’avait pas été précédée d’une demande de prestations de logement et de chauffage formée par le mineur ou son conjoint et instruite en application de l’article 107 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.
4. Les requérants ont saisi la juridiction prud’homale, afin d’obtenir la condamnation de l’agence au paiement des allocations prévues audit article 100, et sollicité, par mémoire distinct et motivé, la transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité.
5. Le ministère public a été avisé le 12 avril 2019.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
6. Par jugements du 26 février 2020, le conseil de prud’hommes a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L’article 100 de la loi n° 2014-1654, du 29 décembre 2014, porte-t-il atteinte au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 1er de la Constitution et par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
7. Aux termes de l’article 100 de la loi de finances de 2015, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, « La République française reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et 1952, amnistiés en application de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie, les atteintes ainsi portées à leurs droits fondamentaux et les préjudices qui leur furent ainsi causés. Elle ouvre aux mineurs dont les dossiers ont été instruits par l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, en application de l’article 107 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, le bénéfice des mesures suivantes :
1° Une allocation forfaitaire de 30 000 €.
En cas de décès de l’intéressé, l’allocation forfaitaire est versée au conjoint survivant. Lorsque l’intéressé a contracté plusieurs mariages, l’allocation est répartie entre le conjoint survivant et le ou les précédents conjoints.
Si l’un des conjoints ou ex-conjoints est décédé, l’allocation à laquelle il aurait pu prétendre est répartie en parts égales entre les enfants nés de son union avec l’intéressé.
Une allocation spécifique de 5 000 € est par ailleurs versée aux enfants de ces mineurs. »
8. La disposition contestée est applicable aux litiges qui concernent des demandes de condamnation de l’agence au paiement de diverses allocations que cette disposition prévoit.
9. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
10. La question posée présente un caractère sérieux dans la mesure où les différences entre les enfants des mineurs licenciés décédés, instaurées par l’article 100 de la loi de finances pour 2015 pour le versement des allocations, selon :
– le dépôt et l’instruction préalables, en application de l’article 107 de la loi de finances pour 2005, de demandes de prestations logement ou de chauffage par le mineur licencié ou son conjoint survivant, les enfants dont les parents, en raison de la date de leur décès ou de tout autre cause, n’ont pas procédé à une telle démarche étant privés de toute allocation, alors que les enfants dont les parents y ont procédé sont éligibles aux allocations,
– la naissance de ces enfants, aucune règle de représentation n’étant prévue pour les enfants nés hors mariage ou issus d’un mariage unique de ces mineurs et de leur conjoint décédés, alors que les enfants nés d’un des lits, dans le cas où le mineur licencié décédé a contracté plusieurs mariages, peuvent venir en représentation du conjoint ou d’un ex-conjoint défunt,
sont susceptibles de ne pas être justifiées dans la mesure où ces différences de traitement, faute de participer de la reconnaissance du caractère discriminatoire et abusif des licenciements prononcés à l’encontre des mineurs pour faits de grève en 1948 et 1952, pourraient ne pas être en rapport direct avec l’objet de la disposition contestée.
11. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question posée au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel (…)
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