Les élections professionnelles constituent, au sein de l’entreprise, un évènement sensible susceptible de concentrer de nombreuses tensions : entre les candidats et leurs soutiens parmi les salariés, entre les organisations syndicales concurrentes, entre encore l’employeur, organisateur du processus électoral, et la collectivité des salariés… Or la règlementation sociale, qui s’ajoute aux dispositions du Code électoral, encadre l’évènement d’un régime juridique complexe, ce qui aggrave encore le risque contentieux.
Par ailleurs, les mandats électoraux sont en principe de quatre ans ; ils commencent à la proclamation du résultat des élections, et ils finissent pareillement de façon automatique, à celle des résultats de l’élection suivante et au plus tard au terme des quatre ans. Ce n’est que de façon exceptionnelle qu’une prorogation de la durée de ces mandats s’impose.
Lorsque l’employeur et ses partenaires sociaux ne parviennent pas à conclure le protocole électoral, malgré leur négociation, l’Inspecteur du travail est chargé de fixer le nombre des collèges électoraux au sein de l’entreprise, et d’y répartir les mandats et les électeurs. Justement dans cette hypothèse, le processus électoral est suspendu tant que l’Inspecteur du travail n’a pas rendu sa décision : si le terme des quatre ans intervient pendant cette suspension, la Loi prévoit précisément une prorogation des mandats concernés.
Cette décision de l’Inspecteur du travail peut faire l’objet d’un recours contentieux, devant le Juge de l’élection c’est-à-dire en l’espèce le Tribunal judiciaire. Dans l’arrêt ci-dessous reproduit, la Cour de cassation précise que tant que dure ce contentieux électoral, et que les élections ne sont pas réalisées, cette prorogation des mandats subsiste.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 8 novembre 2023 (pourvoi n° 22-22.524, publié au Bulletin)
La société Orano recyclage, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], ayant un établissement situé site de [Adresse 12], a formé le pourvoi n° N 22-22.524 contre le jugement rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal judiciaire de Cherbourg (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l’opposant :
1°/ à la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Normandie, dont le siège est [Adresse 10], ayant un établissement dont le siège est [Adresse 9],
2°/ au syndicat national du nucléaire de la métallurgie CFDT, Orano recyclage [Localité 11], dont le siège est [Adresse 3],
3°/ au syndicat national du nucléaire et des activités connexes CFE-CGC, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ au syndicat CGT Orano recyclage [Localité 11], dont le siège est [Adresse 5],
5°/ au syndicat Force Ouvrière Orano recyclage [Localité 11], dont le siège est [Adresse 6],
6°/ au syndicat SUD Orano recyclage [Localité 11], dont le siège est [Adresse 7],
7°/ au syndicat UNSA/SPAEN Orano recyclage [Localité 11], dont le siège est [Adresse 8],
8°/ au syndicat CFTC Union départementale de La Manche, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Cherbourg, 18 octobre 2022), les 16 et 18 mai 2022, la société Orano recyclage (la société) a engagé, pour son établissement de La Hague, un processus de négociation préélectorale en vue des élections des membres du comité social et économique, devant se dérouler les 4 et 19 octobre 2022.
2. Parmi les sept organisations syndicales invitées à la négociation, seules deux d’entre elles ont signé, le 12 juillet 2022, le protocole d’accord préélectoral.
3. Le 13 juillet 2022, la société a saisi le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) de Normandie afin qu’il fixe la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux pour les élections du comité social et économique de l’établissement de [Localité 11].
4. Cette demande a été rejetée par décision du 15 septembre 2022, aux motifs essentiellement de l’absence de la part de l’employeur d’une tentative loyale de négociation d’un protocole d’accord préélectoral.
5. Par requête déposée le 3 octobre 2022, la société a saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annuler la décision de l’autorité administrative du 15 septembre 2022 et de fixer la répartition des salariés et des sièges entre les collèges électoraux.
(…)
Enoncé du moyen
6. La société fait grief au jugement de constater la prorogation des mandats des élus du comité social et économique de l’établissement de [Localité 11] arrivant à expiration le 19 octobre 2022, jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, alors :
« 1°/ que le tribunal judiciaire statuant sur le recours contre la décision de l’autorité administrative saisie en vue de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux n’a pas le pouvoir de statuer sur la prorogation des mandats en cours ; qu’en l’espèce, le tribunal judiciaire, saisi par l’employeur d’un recours contre la décision de la Dreets ayant refusé de statuer sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux, a constaté » la prorogation des mandats des élus du comité social et économique de l’établissement de La Hague de la société Orano recyclage arrivant à expiration le 19 octobre 2022, jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin ; qu’en statuant de la sorte, il a violé l’article L. 2314-13 du code du travail ;
2°/ que le mécanisme de prorogation des mandats prévu par l’article L. 2314-13, alinéa 4 du code du travail n’est pas applicable lorsque l’autorité administrative a refusé de trancher la question de la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux ; qu’en pareil cas, la prorogation des mandats ne peut intervenir qu’en présence d’un accord unanime ; qu’en l’espèce, il résulte du jugement que la Dreets a, par décision du 15 septembre 2022, refusé de statuer sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux ; qu’en jugeant cependant que compte tenu des dispositions non sujettes à interprétation de l’article L. 2314-13 du code du travail, la saisine de la Dreets avait entraîné la prorogation des mandats des élus en cours jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin malgré l’absence d’accord de prorogation unanimement ratifié, le tribunal judiciaire a violé le texte susvisé ;
3°/ que le tribunal judiciaire ne peut constater la prorogation des mandats en cours en l’absence de convocation à l’audience des élus concernés ; qu’en constatant la prorogation des mandats des élus du comité social et économique de l’établissement de La Hague de la société Orano recyclage arrivant à expiration le 19 octobre 2022, sans avoir convoqué ces élus, le tribunal judiciaire a violé l’article 14 du code de procédure civile et l’article R. 2314-25 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l’article L. 2314-13 du code du travail, la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux font l’objet d’un accord entre l’employeur et les organisations syndicales conclu selon les conditions de l’article L. 2314-6. Cet accord mentionne la proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège électoral. Lorsque au moins une organisation syndicale a répondu à l’invitation à négocier de l’employeur et que l’accord mentionné au premier alinéa du présent article ne peut être obtenu, l’autorité administrative décide de cette répartition entre les collèges électoraux. Pour ce faire, elle se conforme soit aux modalités de répartition prévues par l’accord mentionné à l’article L. 2314-12, soit, à défaut d’accord, à celles prévues à l’article L. 2314-11. La saisine de l’autorité administrative suspend le processus électoral jusqu’à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin. La décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
8. Il en résulte que lorsque l’autorité administrative a été saisie pour fixer la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux, les mandats des élus en cours sont prorogés de plein droit jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.
9. En l’espèce, le tribunal a relevé que les mandats des élus, venant à expiration le 19 octobre 2022, étaient en cours lors de la saisine par l’employeur, le 13 juillet 2022, de l’autorité administrative aux fins de déterminer la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux en vue des élections des membres du comité social et économique de l’établissement de La Hague.
10. C’est par conséquent sans encourir les critiques du moyen qu’il a constaté que la saisine de l’autorité administrative avait entraîné la prorogation des mandats des élus en cours jusqu’à la proclamation des résultats.
11. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
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