La jurisprudence sociale a régulièrement évolué concernant les possibilités laissées à l’employeur pour opérer la surveillance des salariés, en vue le cas échéant de justifier des fautes sanctionnées disciplinairement. Après avoir imposé d’informer préalablement chaque salarié ainsi que les institutions représentatives du personnel, au sujet des moyens de surveillance mis en oeuvre par l’entreprise (système video, enregistrement téléphonique, reroutage télématique etc.), sous peine de rejet systématique du moyen de preuve ainsi qualifié d’illicite, la Cour de cassation a assoupli sa solution.
Ainsi un moyen de preuve, même illicite au sens de cette qualification, peut ne pas être rejeté par le Juge pour établir la réalité et la gravité de l’insubordination du salarié, dès lors que cet élément est » indispensable à l’exercice de [cette preuve] et que l’atteinte [aux droits de la personne] soit strictement proportionnée au but poursuivi « . Notamment l’employeur devra fournir l’ensemble des éléments probatoires lui ayant permis de se convaincre de l’existence de la faute sanctionnée, et le Juge appréciera alors l’ensemble de ces éléments.
C’est la solution ici rappelée dans l’arrêt principalement reproduit ci-dessous, et ce de façon particulièrement pédagogique. La Cour de cassation fournit en effet dans sa Réponse, un mode d’emploi à destination du Juge du fond quant à l’appréciation de ces différents modes de preuve produits par l’employeur.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 8 mars 2023 (pourvoi n° 21-17.802, publié au Bulletin)
La société 3A Grenelle, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-17.802 contre l’arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [P] [N], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 avril 2021), Mme [N] a été engagée, le 22 octobre 2007, en qualité de prothésiste ongulaire par la société 3A Grenelle (la société).
2. Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave par lettre du 12 août 2013, la salariée a saisi la juridiction prud’homale.
Examen du moyen
(…)
4. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que ses pièces n° 10, 13, et 72 sont inopposables à la salariée, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner, en conséquence, à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, d’indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaires pour la mise à pied conservatoire, de l’indemnité conventionnelle de licenciement et en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que d’ordonner la remise de bulletins de salaire, d’une attestation destinée à Pôle emploi et d’un certificat de travail conformes à l’arrêt, alors :
« 1°/ que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; qu’il appartient aux juges du fond de rechercher si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ; qu’en décidant qu’il y avait lieu de constater que l’utilisation de la vidéosurveillance avait porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, et de dire que les pièces n° 10 (procès-verbal de constat de la vidéosurveillance), n° 13 (CD des vidéosurveillances), et n° 72, accessoire de la précédente, (détail des extraits de la vidéosurveillance) étaient inopposables à la salariée dans le cadre de la procédure prud’homale au prétexte qu’il résultait des déclarations de l’employeur que la production de la vidéosurveillance n’était pas indispensable à l’exercice de son droit, puisque qu’il existait d’autres éléments susceptibles de révéler les irrégularités reprochées à la salariée quand elle avait pourtant écarté ces autres éléments de preuve rapportés par l’employeur en soulignant leur insuffisance à démontrer la prétention de l’employeur, ce dont il résultait que seuls l’exploitation des images de la vidéosurveillance et le constat d’huissier qu’elle avait déclarés inopposables à la salariée étaient de nature à démontrer la matérialité et la réalité des détournements de fonds et des soustractions frauduleuses commis par la salariée, et partant le bien fondé des prétentions de l’employeur, la cour d’appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
4°/ qu’est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché l’atteinte portée à la vie privée d’un salarié par le placement sous vidéosurveillance du magasin où il travaille dans un but de sécurité des personnes et des biens ; qu’en énonçant, pour dire inopposable à la salariée le mode de preuve constitué par les enregistrements provenant du dispositif de vidéosurveillance, que l’installation d’une caméra dans le magasin portait atteinte au droit au respect de sa vie privée, ce qui était disproportionné au but poursuivi sans rechercher, comme elle y était invitée si l’installation de ce dispositif n’avait pas pour but d’assurer la sécurité des personnes et la prévention des atteintes aux biens compte tenu des fréquents faits de vols qui avaient lieu dans les »nail bar », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
6. En présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
7. La cour d’appel a d’abord constaté que l’employeur, d’une part, n’avait informé la salariée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance ni de la base juridique qui le justifiait, contrairement aux dispositions de l’article 32 de la loi du 10 janvier 1978 et, d’autre part, n’avait pas sollicité, pour la période considérée, l’autorisation préfectorale préalable exigée par les dispositions, alors applicables, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et des articles L. 223-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, ce dont elle a exactement déduit que les enregistrements litigieux extraits de la vidéosurveillance constituaient un moyen de preuve illicite.
8. Elle a ensuite relevé que, pour justifier du caractère indispensable de la production de la vidéosurveillance, la société faisait valoir que les enregistrements avaient permis de confirmer les soupçons de vol et d’abus de confiance à l’encontre de la salariée, révélés par un audit qu’elle avait mis en place au cours des mois de juin et juillet 2013 et qui avait mis en évidence de nombreuses irrégularités concernant l’enregistrement et l’encaissement en espèces des prestations effectuées par la salariée, tout en constatant que la société ne produisait pas cet audit dont elle faisait également état dans la lettre de licenciement.
9. De ces seules constatations et énonciations, dont il résulte que la production des enregistrements litigieux n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, dès lors que celui-ci disposait d’un autre moyen de preuve qu’il n’avait pas versé aux débats, peu important qu’elle ait ensuite estimé que la réalité de la faute reprochée à la salariée n’était pas établie par les autres pièces produites, la cour d’appel a pu déduire que les pièces litigieuses étaient irrecevables.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
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