Le fait d’être en télétravail ne constitue pas une différence de situation permettant de refuser aux salariés les titres-restaurant accordés à leurs collègues en poste au sein des locaux de l’entreprise. Dès lors en effet qu’ils réunissent les seules conditions imposées par l’usage admis par l’employeur, ils peuvent déjeuner (ou faire leurs courses…) en-dehors de leur lieu de travail.

Les salariés en télétravail bénéficie donc des même avantages que les autres salariés de l’entreprise. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous principalement reproduit.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 8 octobre 2025 (pourvoi n° 24-10.566, publié au Bulletin)

La société Esset, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 8], a formé le pourvoi n° F 24-10.566 contre l’arrêt rendu le 23 novembre 2023 par la cour d’appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ au syndicat Sud commerces et services Île-de-France, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 4],

2°/ à l’Union syndicale solidaires, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 5],

3°/ à la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 7],
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 23 novembre 2023), la société Esset (la société), spécialisée dans la gestion de patrimoines immobiliers dit Property Management, emploie des salariés exerçant leur activité soit au siège social situé à [Localité 8] (Hauts-de-Seine) soit au sein de divers établissements répartis sur le territoire national.

2. Elle assure à tous les salariés une participation au financement des frais de repas selon deux modalités : les salariés qui travaillent au siège social ont accès à un restaurant d’entreprise subventionné et ceux qui travaillent en région ainsi que les commerciaux, qui ne peuvent avoir accès au restaurant d’entreprise du fait de leur éloignement, bénéficient de titres-restaurant.

3. A l’occasion du premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, l’ensemble des salariés a été placé en télétravail, le restaurant d’entreprise a été fermé et la société a suspendu l’attribution de titres-restaurant durant la période de télétravail obligatoire du 17 mars au 10 mai 2020.

4. Contestant cette dernière décision, le syndicat Sud commerces et services Île-de-France et l’Union syndicale solidaires ont saisi, le 4 mars 2021, un tribunal judiciaire.

5. La fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services est intervenue volontairement à la procédure.
(…)

Enoncé du moyen

8. La société fait ce grief à l’arrêt, alors :

« 1°/ que l’usage d’entreprise ne peut être caractérisé que s’il est constaté l’octroi d’un avantage de manière générale, fixe et constante à l’ensemble des salariés de l’entreprise ou à une catégorie déterminée d’entre eux ; que c’est à celui qui invoque l’existence d’un usage d’en rapporter la preuve, de sorte qu’il appartient à celui qui invoque l’existence d’un usage octroyant des titres-restaurant aux salariés placés en télétravail de rapporter la preuve de la constance, la généralité et la fixité d’une telle pratique au sein de l’entreprise ; qu’au cas présent, la société Esset contestait l’existence d’un usage ou d’un engagement unilatéral ayant prévu la prise en charge des frais de repas exposés par les salariés placés en télétravail, et qu’en tout état de cause, il n’existait aucun recours généralisé au télétravail avant la période de confinement imposée dans le cadre de la crise épidémique de Covid-19 ; que néanmoins, pour ordonner à la société Esset d’attribuer un titre-restaurant ou une somme d’argent à l’ensemble du personnel placé en télétravail en raison du confinement pour chaque journée travaillée entre le 17 mars 2020 et le 10 mai 2020, la cour d’appel s’est bornée à affirmer qu’ « il résulte des pièces susvisées que, si les salariés qui en bénéficiaient étaient peu nombreux, la société a recouru au télétravail de façon constante, en fonction des besoins et des circonstances. Ainsi, il sera retenu que l’usage existant au sein de la société Esset ne distingue pas selon que le salarié était placé en télétravail ou non » ; qu’en statuant ainsi, sans caractériser l’existence, préalable au confinement en vigueur du 17 mars au 10 mai 2020, d’un usage d’entreprise présentant les caractères de généralité, de fixité et de constance, prévoyant la prise en charge par l’employeur des frais de repas pris à domicile par les salariés exerçant leurs fonctions en télétravail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1103 du code civil ;

2°/ que le principe d’égalité de traitement ne s’applique qu’entre des salariés placés dans une situation identique ou similaire au regard de l’avantage en cause ; que l’octroi de titres-restaurant a pour objet et finalité de compenser les frais supplémentaires exposés par le salarié pour se restaurer lorsqu’il ne dispose ni d’un accès à un restaurant d’entreprise, ni « d’un espace pour préparer son repas » dans le cadre de ses fonctions ; qu’il en résulte que les télétravailleurs, qui disposent d’une cuisine personnelle à leur domicile, se trouvent dans une situation distincte des salariés travaillant sur site, qui seuls subissent un surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile ou d’un restaurant d’entreprise, de sorte que le refus d’attribution des titres-restaurant aux télétravailleurs est justifié par des raisons objectives en rapport avec l’objet des titres-restaurant et ne contrevient pas au principe d’égalité de traitement ; qu’au cas présent, la société Esset s’opposait aux demandes des syndicats et faisait expressément valoir que l’octroi de tickets restaurants a pour seul objet de compenser le surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile subi par les salariés travaillant sur site et n’ayant pas accès à un restaurant d’entreprise, de sorte que les salariés travaillant sur site et les télétravailleurs, qui peuvent prendre leur déjeuner à leur domicile, ne sont pas placés dans la même situation au regard de l’avantage en cause et ne peuvent donc se prévaloir d’une inégalité de traitement ; qu’en affirmant néanmoins qu’ « en toute hypothèse, comme le soutiennent les syndicats, l’exclusion des salariés en télétravail du bénéfice des titres-restaurant aurait été illicite comme contraire au principe d’égalité de traitement », la cour d’appel a violé les articles L. 1222-9, L. 3262-1, R. 3262-7 et L. 3221-2 du code du travail, ensemble le principe d’égalité de traitement ;

3°/ qu’aucune obligation légale n’impose à l’employeur de prendre en charge les frais de restauration du salarié en télétravail en lui accordant le bénéfice de titres-restaurant ou une quelconque indemnité compensatrice de repas ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 1222-9 du code du travail, ensemble l’article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l’article L. 1222-9, III, alinéa 1er, du code du travail, le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise.

10. En application du principe d’égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables.

11. La cour d’appel a d’abord relevé l’existence d’un usage au sein de l’entreprise tenant à l’attribution de titres-restaurant aux salariés qui n’avaient pas accès, par leur éloignement géographique ou le caractère itinérant de leurs fonctions, au restaurant d’entreprise et a exactement retenu que l’avantage ainsi consenti n’ayant pas été dénoncé, il ne pouvait être suspendu lors du placement des salariés en télétravail.

12. Elle a ensuite constaté qu’à compter du mois de mars 2020, tous les salariés étaient placés en télétravail et que le restaurant d’entreprise était fermé, ce dont elle a exactement déduit que tous les salariés se trouvaient dans une situation identique au regard de l’avantage lié à la restauration et qu’il ne pouvait être fait de différence entre eux en considération de leur situation antérieure sans porter atteinte au principe d’égalité de traitement.

13. Le moyen, qui en sa première branche critique des motifs surabondants et en sa troisième branche manque en fait, n’est donc pas fondé.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)