Dans l’entreprise de plus de 50 salariés, le comité social et économique (CSE) est une personne morale disposant de nombreux moyens, notamment de moyens financiers. Ainsi dispose-t-il de budgets auxquels concourt l’entreprise, mais aussi de prises en charge directes par l’employeur.
Parmi ces prises en charge, le recours à l’expertise est un outil efficace à l’appui des missions économiques du CSE. On connaît surtout l’expert comptable du CSE, choisi par ce dernier et dont le coût est mis à la charge de l’entreprise ; mais le CSE peut aussi recourir à un expert habilité, pour toute question technique notamment lorsque la santé et la sécurité au travail est concernée.
En tout état de cause, la facture de l’expert ne sera payée par l’employeur, que si les conditions légales sont réunies. Ainsi ce n’est que dans les cas précisément prévues par la Loi, que le CSE pourra imposer l’expert comptable.
Et ce n’est que lorsqu’un « projet important » modifiant l’environnement de travail est envisagé par l’employeur, que la prise en chargé de l’expert habilité lui sera de même imposé. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 6 mai 2025 (pourvoi n° 24-11.167, inédit)
1°/ La société SFR Fibre, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 9],
2°/ la société Completel, société par actions simplifiée,
3°/ la société SFR, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3], [Localité 7],
4°/ la société SRR, société anonyme, dont le siège est [Adresse 15], [Localité 12],
5°/ la société Numergy, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 11],
6°/ la société SMR, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 13],
7°/ la société XP Fibre, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 11],
8°/ la société XP Fibre.Cvn, dont le siège est [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° J 24-11.167 contre le jugement rendu le 18 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Paris, dans le litige les opposant :
1°/ à la société Sextant expertise, dont le siège est [Adresse 10], [Localité 8],
2°/ au comité social et économique B2C & fonctions support de l’unité économique et sociale SFR, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 7],
défendeurs à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Paris, 18 janvier 2024), statuant selon la procédure accélérée au fond, et les pièces de la procédure, l’unité économique et sociale SFR (l’UES SFR) se compose des sociétés SFR Fibre, Completel, SFR, SRR, Numergy, SMR, XP Fibre, XP Fibre.Cvn. Elles exercent principalement une activité d’opérateur de téléphonie mobile et appartiennent au pôle télécom du groupe Altice France, composante du groupe Altice.
2. Au sein de l’UES SFR, la représentation du personnel est assurée par un comité social et économique central et six comités sociaux et économiques. Le comité social et économique B2C et fonctions support (le CSE B2C et FS) représente les salariés attachés aux directions exécutives grand public, ressources humaines, financière, juridique et secrétariat général, exécutive contenus acquisitions et partenariat, des six sociétés situées en métropole.
3. En 2016, le groupe Altice a annoncé son projet de création d’un pôle relation client dédié en dehors du pôle télécom et a acquis, à cette fin, le groupe Intelcia.
4. Le 28 septembre 2023, l’UES SFR a transmis au CSE B2C et FS un document d’informations relatif à un projet de transfert de l’activité assurance de la société SFR à la société Intelcia France appartenant au groupe Intelcia et l’a convoqué à une réunion extraordinaire fixée au 4 octobre 2023 dans le cadre d’une procédure d’information-consultation au titre des dispositions du 2° de l’article L. 2312-8 du code du travail.
5. A l’issue de la réunion du 4 octobre 2023, le CSE B2C et FS a décidé de désigner la société Sextant expertise pour l’accompagner dans le cadre de cette consultation en application des dispositions de l’article L. 2315-94 du code du travail.
6. Le 7 octobre 2023, la société Sextant expertise a adressé à la direction de l’UES un projet de lettre de mission estimant le coût prévisionnel de son intervention.
7. Le 12 octobre 2023, l’UES SFR a assigné le CSE B2C et FS ainsi que la société Sextant expertise selon la procédure accélérée au fond devant le président du tribunal judiciaire de Paris à l’audience du 21 décembre 2023 afin de contester la nécessité de l’expertise et, subsidiairement, son étendue et son coût prévisionnel.
(…)
Enoncé du moyen
8. Les sociétés composant l’UES SFR font grief au jugement de les débouter de leur demande d’annulation de la délibération du CSE B2C et FS du 4 octobre 2023 désignant la société Sextant expertise, alors :
« 1°/ que selon l’article L. 2315-94, 2°, du code du travail, le comité social et économique (CSE) peut faire appel à un expert habilité en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de »projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail », prévus au 4° du II de l’article L. 2312-8 ; que ne constitue pas un projet important celui qui reste sans effet sur les contrats de travail, le statut collectif, le lieu d’exécution des contrats de travail et l’organisation du travail ; qu’en l’espèce, le tribunal a constaté que »le transfert des contrats de travail, conséquence de la réorganisation envisagée, n’aura pas d’effet immédiat sur les contrats de travail et le statut collectif. Le document de présentation du projet précise par ailleurs que ce transfert n’emportera pas de modification du lieu de travail des salariés concernés, dans la mesure où les locaux situés [Adresse 4] à [Localité 14] seront loués à Intelcia France, ni de modification dans l’organisation du travail de l’équipe » ; qu’en n’ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que le projet et ses impacts sur les conditions de travail des 24 salariés concernés ne justifiaient pas le recours à une expertise, le tribunal a violé l’article L. 2315-94 2° du code du travail ;
3°/ que selon l’article L. 2315-94, 2°, du code du travail, le CSE peut faire appel à un expert habilité, en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° du II de l’article L. 2312-8 ; que l’importance du projet, qui est appréciée à la date à laquelle le recours à l’expertise est voté, implique que les modifications soient certaines et non hypothétiques ; que le CSE doit identifier de façon précise et concrète les modifications importantes découlant du transfert des contrats de travail en application de l’article L. 1224-1 du code du travail et qui ne résultent pas de la seule application de ce texte ; qu’en l’espèce, en se fondant sur les circonstances qu’un changement d’employeur comporte »en germe une modification des conditions de travail », que les salariés concernés »n’ont aucune garantie quant au maintien de leur lieu de travail à Chartres, qui n’est pas un site de la société Intelcia, et de leurs missions actuelles, dédiées à la clientèle SFR », et que le statut collectif »sera effectivement mis en cause à terme par le transfert, dans les conditions fixées par les dispositions de l’article L. 2261-14 du code du travail », lesquelles étaient inopérantes pour caractériser, au 4 octobre 2023, date de la délibération du CSE ayant voté le recours à un expert, un projet important modifiant de manière certaine les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des 24 salariés concernés, ce qui ne pouvait résulter de la seule application de l’article L. 1224-1, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 2315-94, 2°, du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2312-8, II, 2° et 4°, et L. 2315-94 du code du travail :
9. Selon l’article L. 2312-8, II, du code du travail, le comité social et économique est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment, 2°, sur la modification de son organisation économique ou juridique et, 4°, sur l’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
10. Selon l’article L. 2315-94, 2°, du code du travail, le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° du II de l’article L. 2312-8.
11. Il en résulte qu’il n’y a pas un droit général à l’expertise, laquelle ne peut être décidée que lorsque les conditions visées à l’article L. 2315-94 du code du travail sont réunies.
12. Pour débouter les sociétés composant l’UES SFR de leur demande d’annulation de la délibération du 4 octobre 2023, le jugement retient que le transfert des contrats de travail de vingt-quatre salariés, conséquence de la réorganisation envisagée, n’aura pas d’effet immédiat sur les contrats de travail et le statut collectif, que ce transfert n’emportera pas de modification du lieu de travail des salariés concernés, dans la mesure où les locaux situés à [Localité 14] seront loués à Intelcia France, ni de modification dans l’organisation du travail de l’équipe. Il ajoute qu’un changement d’employeur comporte en germe une modification des conditions de travail, le CSE B2C et FS estimant qu’il doit pouvoir s’appuyer sur l’expert qui va recueillir des informations auprès de la société pour compléter le document d’information dès lors que l’employeur ne s’est pas donné la peine de réaliser une étude de l’impact sur la santé des salariés.
13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser au jour de la délibération litigieuse le droit du comité social et économique de recourir à un expert, alors qu’elle avait constaté l’absence de modification des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail à la date de la délibération litigieuse, ce dont il résultait que le projet consistant dans le transfert des contrats de travail de vingt-quatre salariés au sein d’une autre société du groupe ne pouvait être qualifié de projet important au sens de l’article L. 2315-94, 2°, du code du travail justifiant le recours à une expertise, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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