La Cour de cassation a construit un régime largement prétorien des prérogatives disciplinaires de l’employeur, à partir des dispositions des articles L.1331-1 et suivants du Code du travail. Le législateur ne définit en effet ni la faute, ni la sanction, et impose essentiellement à l’employeur une procédure formelle permettant au Juge de contrôler sa décision, sans s’immiscer dans l’exercice de son pouvoir de direction.
C’est ainsi la jurisprudence qui a précisé au gré des contentieux, par exemple les modalités de telle ou telle sanction. S’agissant des mesures modifiant les rapports de travail, et notamment les éléments contractuels, la Chambre sociale a élaboré un processus complexe.
Le salarié ne pouvant se voir imposées de telles modifications, l’employeur propose la mutation, rétrogradation, changement d’horaires ou de poste etc. : en cas d’acceptation expresse du salarié, le contrat ou les conditions de travail sont légitimement modifiées. Cela n’empêchera d’ailleurs pas ledit salarié de contester judiciairement la régularité ou la légitimité de la sanction, même postérieurement à la conclusion d’un avenant contractuel.
Mais si le salarié refuse, son employeur a la possibilité de notifier une autre sanction, plus ou moins sévère. Dans ce contexte, les prescriptions disciplinaires légales sont neutralisées par le Juge : ainsi le délai de 2 mois entre la constatation de la faute et le déclenchement de la première procédure disciplinaire, de même que le délai de 1 mois entre l’entretien préalable et la notification de la sanction, ne sont plus opposables à l’employeur.
Une nouvelle procédure disciplinaire pouvant être engagée par l’employeur, c’est à compter du refus du salarié que ces délais légaux seront à nouveau déclenchés. Toutefois ils s’appliqueront alors dans toute leur rigueur, ainsi que l’illustre l’arrêt ci-desous reproduit.
Cour de cassation, Chambre sociale, 27 mai 2021 (pourvoi n° 19-17.587, publié au Bulletin)
(…)
1. Selon l’arrêt attaqué (Rouen, 4 avril 2019), M. [X], employé par la société Esso raffinage, s’est vu notifier le 2 mai 2013 une mutation disciplinaire par l’employeur qui lui a donné un délai expirant le 10 mai suivant pour faire connaître sa position, lui précisant que l’absence de réponse dans ce délai vaudrait refus. Le salarié a exprimé son refus le 18 mai 2013.
2. Le salarié a été convoqué le 16 juillet 2013 à un nouvel entretien préalable en vue d’une nouvelle sanction, fixé au 23 juillet 2013. Il lui a été notifié par courrier du 29 juillet 2013 une rétrogradation disciplinaire, qu’il a expressément acceptée.
3. Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de la sanction de rétrogradation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L’employeur fait grief à l’arrêt d’annuler la sanction, de dire n’y avoir lieu d’impartir un délai à la société pour prononcer une nouvelle sanction d’un degré moindre et d’ordonner que le salarié soit rétabli dans ses droits éludés, alors « que le refus d’une mutation disciplinaire par le salarié interrompt le délai de prescription prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail, de sorte que l’employeur dispose d’un nouveau délai de deux mois, à compter de ce refus, pour convoquer le salarié à un entretien en vue d’une autre sanction disciplinaire ; que le délai de deux mois court à compter du refus exprimé par le salarié, peu important que ce refus soit postérieur au délai qui lui a été imparti par l’employeur pour se prononcer ; que pour annuler en l’espèce la rétrogradation disciplinaire prononcée par la société Esso raffinage contre M. [X], la cour d’appel a jugé que seul l’accord du salarié à la rétrogradation disciplinaire devait être exprès, que le 2 mai 2013, l’employeur avait notifié au salarié son intention de le muter à titre disciplinaire et lui a donné un délai jusqu’au 10 mai suivant pour faire connaître son accord et que faute de réponse à cette date, il appartenait alors à l’employeur, soit de prendre une autre sanction dans le délai d’un mois à compter de l’entretien préalable du 5 avril 2013, soit s’il faisait le choix de convoquer le salarié à un nouvel entretien, de le faire dans les deux mois du refus du salarié résultant de son absence de réponse avant le 10 mai, ainsi qu’expressément indiqué dans la lettre du 2 mai 2013, i.e avant le 10 juillet 2013, ce alors que le salarié n’avait été convoqué au second entretien préalable que le 16 juillet 2013 pour le 23 juillet suivant ; qu’en statuant ainsi, quand elle constatait que le salarié n’avait exprimé son refus de la sanction disciplinaire litigieuse que par courrier du 18 mai 2013, ce dont il se déduisait que la convocation du salarié au second entretien, le 16 juillet suivant, était intervenue dans le délai de prescription de deux mois qui n’avait commencé à courir qu’à compter de l’envoi de ce courrier par le salarié, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l’article L. 1332-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. La notification par l’employeur, après l’engagement de la procédure disciplinaire, d’une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, interrompt le délai de deux mois prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail qui court depuis la convocation à l’entretien préalable. Le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai. Il s’ensuit que la convocation du salarié par l’employeur à un entretien préalable en vue d’une autre sanction disciplinaire doit intervenir dans les deux mois de ce refus.
6. La cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait fixé au 10 mai 2013 le délai à l’expiration duquel l’absence de réponse du salarié vaudrait refus de la sanction disciplinaire proposée, a retenu à bon droit qu’en l’absence de réponse du salarié, le délai de prescription de deux mois courait à partir de cette date, peu important le refus de l’intéressé réitéré de façon expresse postérieurement, et que dès lors, la nouvelle convocation à un entretien préalable, le 16 juillet 2013, était intervenue postérieurement à l’expiration du délai de deux mois prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail.
7. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
Commentaires récents