La Cour de cassation poursuit ses rappels quant à l’articulation des différents délais de prescription, leur point de départ ou leur computation etc. En l’occurence on rappelle que l’article L.1471-1 du Code du travail, qui fixe à deux ans le délai de prescription des actions relatives à l’exécution du contrat de travail, prévoit une exception s’agissant des réclamations du salarié portant sur la discrimination abusive ou les harcèlements, dont il prétend avoir été victime.

Par conséquent le délai de Droit commun, d’une durée de 5 ans, est applicable à ces contentieux prud’homaux. Or le texte susvisé renvoie précisément aux dispositions protégeant le salarié victime (comme le salarié témoin) de ces faits, qu’il s’agisse de sanction disciplinaire, de mise en oeuvre du contrat, ou encore de licenciement (article L.1121-2 du Code du travail).

Par conséquent la Chambre sociale en déduit que pour les actions prud’homales relatives à la contestation du licenciement, lorsque le salarié prétend que la rupture constitue en soi un acte de harcèlement, ou encore une mesure prise en rétorsion au harcèlement dénoncé, ce n’est ni le délai de 1 an (résiliation du contrat de travail) ni le délai de 2 ans (exécution du contrat de travail) qui s’appliquent, mais bien le délai de Droit commun de 5 ans, courant à compter de la notification de la rupture. Et il suffit que le salarié invoque de tels faits de harcèlement pour ouvrir ce long délai de prescription.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 9 octobre 2024 (pourvoi n° 23-11.360, publié au Bulletin)


M. [X] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 23-11.360 contre l’arrêt rendu le 6 octobre 2022 par la cour
d’appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Compagnie d’exploitation
des services auxiliaires aériens – Servair, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], et ayant un établissement situé
[Adresse 3], défenderesse à la cassation.
(…)
Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 6 octobre 2022), M. [F] a été engagé en qualité de chauffeur handling
    par la société Compagnie d’exploitation des services auxiliaires aériens – Servair, selon contrat à durée indéterminée du
    26 octobre 1998. Le 8 septembre 2016, il a adressé un courrier à son employeur, pour dénoncer des faits de harcèlement moral commis à son encontre depuis 2012. Après avoir fait procéder à une enquête relative aux faits de harcèlement moral dénoncés, l’employeur a, par une lettre du 22 septembre 2017, convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, puis l’a licencié, selon une lettre du 18 octobre 2017, pour cause réelle et sérieuse.
  2. Le 29 janvier 2020, soutenant avoir été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, le salarié a saisi la
    juridiction prud’homale pour faire constater la nullité de son licenciement et demander sa réintégration ainsi que le
    paiement de ses salaires depuis son licenciement jusqu’à sa réintégration et l’octroi de diverses sommes indemnitaires.
    (…)
    Enoncé du moyen
  3. Le salarié fait grief à l’arrêt de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites, alors « que se prescrit par cinq
    ans l’action en nullité du licenciement que le salarié fonde sur la dénonciation de faits de harcèlement, dont il soutient
    qu’elle a été le véritable motif de la rupture ; que la cour d’appel a jugé irrecevable comme prescrite l’action en nullité du licenciement du salarié, au motif qu’il résultait de la lettre de licenciement que celui-ci avait « été prononcé pour refus
    d’accomplir les tâches qui lui étaient confiées, insubordination et comportement agressif mais pas, contrairement à ce
    qu’ont retenu les premiers juges, pour dénonciation d’un harcèlement moral, le simple rappel, dans les quatrième et
    cinquième paragraphes de la lettre de licenciement, du fait que M. [F] avait informé son employeur de ce qu’il estimait
    être victime de faits constitutifs d’un harcèlement moral n’érigeant pas cette circonstance en grief invoqué par la société
    pour justifier le licenciement de M. [F] » et « qu’il sui(vait) de là que ce licenciement n’était pas fondé sur la dénonciation
    d’un harcèlement moral en sorte que M. [F] disposait d’un délai de douze mois pour contester son licenciement » ; qu’en
    ne tenant compte que des fautes reprochés par l’employeur au salarié dans la lettre de licenciement pour justifier la
    rupture, lorsque M. [F] prétendait que son motif réel résidait dans le fait qu’il avait dénoncé le harcèlement dont il était
    victime, ce qui soumettait à la prescription quinquennale de droit commun l’action en nullité du licenciement, la cour
    d’appel a violé les articles L. 1152-3, L. 1471-1, alinéa 3, du code du travail, ensemble l’article 2224 du code civil. »
    (…)
    Réponse de la Cour
    Vu les articles L. 1471-1, L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail et 2224 du code civil :
  4. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à
    compter de la notification de la rupture. Cette disposition n’est toutefois pas applicable aux actions exercées en
    application de l’article L. 1152-1 de ce code.
  5. Aux termes du deuxième, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet
    ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
  6. Aux termes du troisième, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire,
    directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de
    qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir
    subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou
    les avoir relatés.
  7. Aux termes du quatrième de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter
    du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  8. Il résulte de ces dispositions que l’action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par cinq ans lorsqu’elle
    est fondée sur le harcèlement moral.
  9. Pour déclarer irrecevables les demandes du salarié, l’arrêt retient que le licenciement a été prononcé pour refus du
    salarié d’accomplir les tâches qui lui étaient confiées, insubordination et comportement agressif, mais pas pour
    dénonciation d’un harcèlement moral, le simple rappel, dans les quatrième et cinquième paragraphes de la lettre de
    licenciement, du fait que le salarié avait informé son employeur de ce qu’il estimait être victime de faits constitutifs d’un
    harcèlement moral n’érigeant pas cette circonstance en grief invoqué par la société pour justifier le licenciement. Il en
    déduit que le salarié disposait d’un délai de douze mois pour contester son licenciement prononcé le 18 octobre 2017, en sorte qu’ayant saisi le conseil de prud’hommes par requête enregistrée le 29 janvier 2020, son action est prescrite.
  10. En statuant ainsi, alors que l’action du salarié en nullité du licenciement était fondée sur la dénonciation du
    harcèlement moral allégué, ce dont il résultait qu’elle était soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article
    2224 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
    PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)