Jusqu’à ce que le législateur intervienne, la jurisprudence sociale maintenait à la charge de l’employeur le coût de l’expertise décidée à tort par le Comité pour l’Hygiène, la Sécurité et les Conditions de Travail (CHSCT). Ainsi même si le Juge annulait a posteriori la décision des représentants du personnel (lesquels ne disposaient alors d’aucun budget propre) de diligenter une expertise en matière de santé et sécurité, l’expert ayant effectivement réalisé l’enquête conservait la possibilité de faire régler la facture afférente à l’entreprise.

On rappelle en outre que le coût de l’expertise sollicitée par les institutions représentatives du personnel est souvent plus élevé que les mêmes opérations sollicitées par l’entreprise. Selon la solution régulièrement retenue en effet, les difficultés rencontrées par l’expert sont plus importantes quand l’employeur n’est pas à l’origine de ses opérations…

Le remplacement définitif de ces institutions par le Comité Social et Economique (CSE) à compter du 1er janvier 2020 ne modifie pas radicalement le contexte. Le budget de fonctionnement du CSE lui permet toutefois désormais, le cas échéant, de financer une expertise même en matière de santé et sécurité.

Mais devant l’exotisme du régime prétorien de la prise en charge par l’entreprise de l’expertise annulée du CHSCT, une Loi du 08 août 2016 a modifié les articles L. 4614-1 et suivants du Code du travail. Depuis lors, l’employeur dispose de 15 jours à compter de la délibération du CSE (ou encore pour quelques mois du CHSCT) décidant une expertise en matière de santé et sécurité, pour contester judiciairement le bien fondé de cette décision.

Cette action judiciaire suspend les mesures d’expertise ; à défaut leur coût ne peut être imputé à l’entreprise. Par ailleurs en cas d’annulation de la décision des représentants du personnel, l’expert doit rembourser à l’employeur les sommes éventuellement versées pour les opérations menées avant le  »jugement » définitif.

L’arrêt ici éclairé du 25 septembre 2019 illustre une difficulté liée à l’application de cette réforme dans le temps. Ainsi les nouvelles dispositions sont-elles applicables à tout contentieux déclenché postérieurement à son entrée en vigueur, et ce même si la délibération contestée du CHSCT est antérieure.

Cour de cassation, Chambre sociale, 25 septembre 2019 (pourvoi n° 18-16.323, publié au Bulletin)

(…)

Vu l’article L. 4614-13 dans sa rédaction issue de l’article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu, selon ce texte, que lorsque l’employeur qui conteste la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de recourir à une expertise obtient l’annulation définitive de cette décision, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur ; que ces dispositions s’appliquent aux frais de l’expertise mise en oeuvre en vertu d’une délibération contestée judiciairement, postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 31 de la loi du 8 août 2016 ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par délibération du 16 juin 2016, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la commune du Thor a décidé de recourir à une expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12 du code du travail et a désigné la société Elios pour y procéder ; que par acte d’huissier du 8 novembre 2016, M. E…, pris en sa qualité de maire de la commune et de président du CHSCT, a saisi le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, d’une demande d’annulation de cette délibération ; que par arrêt du 16 novembre 2017, la cour d’appel a fait droit à cette demande ; que le 20 décembre 2017, la société Elios a présenté une requête en omission de statuer sur la demande de condamnation de la commune au paiement de la somme de 39 000 euros correspondant aux frais d’expertise ;

Attendu que pour rectifier l’arrêt du 16 novembre 2017 et, y ajoutant après le chef du dispositif annulant la délibération, constater que la créance d’honoraires de la société Elios est de 39 000 euros et condamner M. E…, en sa qualité de maire du Thor, à payer cette somme à la société Elios au titre des honoraires d’expertise, l’arrêt énonce que la loi du 8 août 2016 a modifié l’article L. 4614-13 du code du travail en enfermant dans un délai de 15 jours le délai ménagé à l’employeur pour contester une expertise, en attachant à la saisine du juge un effet suspensif d’exécution de la mesure et en disposant qu’en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur, que toutefois, ces dispositions ne sont applicables qu’aux délibérations rendues par les CHSCT postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi et que la délibération en litige étant antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, seules les dispositions antérieures de l’article L. 4614-13 du code du travail telles qu’interprétées de façon continue par la Cour de cassation demeurent applicables jusqu’à cette date par l’effet de la décision 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 du Conseil constitutionnel ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la délibération avait été contestée judiciairement postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 31 de la loi du 8 août 2016, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…)