La Cour de cassation statue une nouvelle fois sur la faute disciplinaire constituée de messages dématérialisés : après les réseaux sociaux, l’arrêt ci-dessous reproduit envisage l’envoi de sms. La problématique est double : le salarié exerce-t-il sa liberté d’expression en critiquant l’entreprise employeur ou sa Direction, d’une part, et d’autre part des messages adressés à des destinataires précis, et non-destinés à être rendus publics, peuvent-ils être qualifiés d’insubordination ?

La Chambre sociale répond par l’affirmative aux deux questions, par un raisonnement qui semble reposer essentiellement sur des arguments d’opportunité. L’on ne peut donc pas en tirer de conclusion générale, seulement des solutions permettant l’utilisation praticienne de « précédents ».

Ainsi en premier lieu, des sms insultants faisant référence aux moeurs sexuelles peuvent être considérés comme injurieux et excessif, et constituer un abus dans l’exercice de la liberté d’expression du salarié. En second lieu, même s’il ne s’agit pas de messages publiquement diffusés, s’ils sont envoyés par le téléphone professionnel du salarié, à destination de collègues ou anciens collègues, et sont en rapport avec leur activité professionnelle, alors ils entrent dans le champ disciplinaire.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 11 décembre 2024 (pourvoi n° 23-20.716, publié au Bulletin)


M. [M] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 23-20.716 contre l’arrêt rendu le 17 mai 2023 par la cour d’appel
de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l’opposant à la société MAPE, Mesur Analys Process Environnemt, société par
actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
(…)
Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2023), M. [K] a été engagé en qualité de « business unit manager », le 4 novembre
    2011, par la société MAPE (la société). A compter du 20 septembre 2016, il s’est vu confier, en sus de ses fonctions, celles de conseiller du président.
  2. Il a été licencié le 17 avril 2018, pour faute lourde, en raison de son refus de collaborer avec la nouvelle direction et de
    ses propos critiques et dénigrants visant la société et ses dirigeants, tenus lors d’échanges électroniques et par SMS
    envoyés au moyen de son téléphone portable professionnel.
  3. Il a saisi la juridiction prud’homale pour contester cette rupture et aux fins de juger son licenciement dépourvu de
    cause réelle et sérieuse.
    (…)
    Enoncé du moyen
  4. Le salarié fait grief à l’arrêt de juger que son licenciement était justifié par une faute grave et de le débouter de ses
    demandes d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de
    licenciement et d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
    « 2°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules
    des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être
    apportées ; qu’en retenant, pour dire que les agissements reprochés à M. [K] étaient constitutifs d’une faute grave, que
    celui-ci avait critiqué auprès d’autres salariés la directive relative à l’obligation faite aux cadres de déclarer leurs heures
    de travail et celle incombant aux responsables d’unité d’exploitation de remplir leurs chiffres dans un logiciel, qu’il avait
    indiqué à un ancien collaborateur que la démarche de ce dernier d’attraire la société devant la juridiction prud’homale
    lui paraissait  »logique » et à un autre qu’il y avait de fortes probabilités que la société perde devant cette juridiction, et
    enfin que  »les courriels, produits par M. [K] lui-même, postérieurs à la suppression de sa mission de conseiller du
    président, sont rédigés sur un ton sarcastique et contestataire qu’ils soient adressés au nouveau directeur technique et
    développement, son N+1, ou à ses collègues ou collaborateurs », sans caractériser l’existence, par l’emploi de termes
    injurieux, diffamatoires ou excessifs, d’un abus dans l’exercice de la liberté d’expression dont jouit tout salarié, la cour
    d’appel a violé l’article L. 1121-1 du code du travail et l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de
    l’homme et des libertés fondamentales ;
    3°/ que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules
    des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être
    apportées ; qu’en retenant qu’étaient fautifs les propos tenus par M. [K] concernant les litiges opposant la société MAPE
    à deux anciens salariés, ainsi que ceux tenus à l’égard de M. [N], alors directeur d’exploitation, sans rechercher si compte tenu du cadre dans lequel ils avaient été tenus, strictement limité à des échanges de SMS, ces propos n’entraient pas dans le cadre d’un usage non abusif de la liberté d’expression, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 du code du travail et 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

    Réponse de la Cour
  5. Il résulte de l’article L. 1121-1 du code du travail que sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou
    excessifs, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression.
  6. La cour d’appel a relevé que le salarié avait désigné un membre de la société sous la dénomination dénigrante « [R] »
    et avait détourné l’appellation « l’EPD » (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes «
    on peut vraiment dire : le PD » pour désigner le directeur général M. [N], caractérisant ainsi l’existence, par l’emploi de
    termes injurieux et excessifs, d’un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression, peu important le caractère restreint de la diffusion de ces propos.
  7. Le moyen n’est donc pas fondé.


    Enoncé du moyen
  8. Le salarié fait le même grief à l’arrêt, alors « qu’une conversation constituée de SMS échangés par le biais du téléphone
    professionnel du salarié, qui n’est pas destinée à être rendue publique, ne peut constituer un manquement du salarié
    aux obligations découlant du contrat de travail ; qu’en retenant qu’étaient fautifs les propos tenus par M. [K] concernant
    les litiges opposant la société MAPE à deux anciens salariés, ainsi que ceux tenus à l’égard de M. [N], alors directeur
    d’exploitation, dans le cadre d’échanges par SMS qui constituaient une conversation privée, la cour d’appel a violé les
    articles L. 1121-1, L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1331-1 du code du travail. »

    Réponse de la Cour
  9. La cour d’appel a constaté que les propos visés dans la lettre de licenciement avaient été tenus par le salarié par
    messages SMS envoyés au moyen de son téléphone portable professionnel, lors d’échanges avec des salariés en poste,
    ou des salariés ayant quitté la société concernant les litiges prud’homaux les opposant à celle-ci et, ensuite, qu’il
    s’agissait de propos critiques de la société et de propos dénigrants à l’égard de ses dirigeants.
  10. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que les messages litigieux, qui bénéficiaient d’une
    présomption de caractère professionnel pour avoir été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa
    disposition par l’employeur pour les besoins de son travail et dont le contenu était en rapport avec son activité
    professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, la cour d’appel a exactement déduit, peu important que ces
    échanges ne fussent pas destinés à être rendus publiques, qu’ils pouvaient être retenus au soutien d’une procédure
    disciplinaire.
  11. Le moyen n’est donc pas fondé.

    PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)