Après la définition du temps de travail effectif, le Code du travail illustre aux articles L.3121-2 et suivants certaines situations récurentes dans la vie de l’entreprise, pour écarter en principe cette qualification. Ainsi en est-il notamment des temps de trajet entre les lieux de résidence et de travail habituels.
Bien sûr pour le salarié itinérant, les tâches affectées au poste de travail comprennent les déplacements professionnels entre deux lieux de travail au cours de la même journée. Le « trajet » au sens susvisé s’entend alors souvent en pratique, depuis la porte du domicile jusqu’au véhicule professionnel : rouler vers le premier client ou prospect constitue déjà un temps de travail effectif, le salarié ne pouvant notamment plus vaquer librement à des occupations personnelles.
C’est une solution que la Cour de cassation vient préciser dans l’arrêt reproduit ci-dessous. La situation factuelle permet en effet de rappeler que malgré ces illustrations légales, la définition juridique du temps de travail effectif prévaut.
Le salarié prétendait ainsi qu’au regard de la durée de la mission, s’étendant pendant toute la semaine où il lui était impossible de rentrer à son domicile, il était sur le poste de travail dès son entrée dans le véhicule le matin et jusqu’à sa sortie le soir. Or la Chambre sociale rappelle que si effectivement les trajets quotidiens l’éloignaient de son domicile pendant plusieurs jours consécutifs, on ne pouvait de façon automatique inclure ces déplacements dans la journée de travail.
En l’espèce en effet, le salarié ne visitait qu’un seul client par jour, et donc n’effectuait qu’un seul déplacement quotidien : il n’effectuait pas une tournée journalière de plusieurs sites, entrecoupée de déplacements professionnels. Il était donc nécessaire pour les Juges du fond de vérifier si pendant cet aller-retour quotidien, et quel que soit son lieu de résidence, le salarié restait à la disposition de l’employeur pour se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles : à défaut il s’agit d’un trajet exclu du champ du temps de travail effecif.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 7 juin 2023 (pourvoi n° 21-22.445, publié au Bulletin)
La société Dekra Automotive Solutions France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 21-22.445 contre l’arrêt rendu le 2 juillet 2021 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l’opposant à M. [D] [R], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 juillet 2021), M. [R] a été engagé en qualité d’enquêteur mystère par la société Dekra Automotive Solutions France, suivant contrats à durée déterminée, entre 2008 et 2014.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 26 juin 2017 de diverses demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail.
Examen des moyens
(…)
3. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et d’indemnités pour travail dissimulé et pour exécution fautive du contrat de travail, et de lui ordonner de remettre un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat rectifiés, alors :
« 1°/ que le lieu d’hébergement dans lequel un salarié se repose et peut vaquer librement à des occupations personnelles, sans se tenir à la disposition de l’employeur, ne constitue pas un lieu de travail ; qu’en conséquence, le trajet effectué par un salarié de ce lieu d’hébergement à son lieu de travail, et inversement, constitue un simple temps de déplacement professionnel non assimilé à un temps de travail effectif ; qu’en l’espèce, dès lors que l’employeur contestait la qualification de lieux de travail aux hôtels où le salarié se rendait pour y dormir et que la cour d’appel constatait elle-même ‘‘qu’une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d’hôtel pris en charge par l’employeur », en sorte que les trajets en semaine effectués par le salarié hors domicile-temps de travail comprenaient nécessairement, et principalement, des déplacements hôtels-lieu de travail, la cour d’appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d’heures supplémentaires au titre de ses heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant à énoncer que les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile devaient être assimilés à du temps de travail effectif, sans vérifier, comme elle y était invitée, si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l’hôtel pour y dormir et y repartir constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais des simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail ;
2°/ qu’un salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires pour des temps de déplacement qu’à la condition que ceux-ci constituent du temps de travail effectif, entendu comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu’en l’espèce, dès lors qu’elle constatait elle-même ‘‘qu’une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d’hôtel pris en charge par l’employeur », et relevait elle-même que ‘‘le salarié disposait d’une certaine liberté dans l’organisation de son temps de travail », qu’ ‘‘en l’état des pièces produites, il ne pouvait être déterminé de manière certaine que l’organisation des visites de concessions s’établissait à partir d’un planning impératif et sur un quota de concessions par semaine », la cour d’appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d’heures supplémentaires au titre des heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant simplement à affirmer que devaient être assimilés à du temps de travail effectif les trajets effectués entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessités par l’organisation du travail selon des plannings d’intervention déterminés par l’employeur du travail qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à la disposition de l’employeur, sans caractériser que, pendant l’ensemble de ses heures de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l’hôtel afin d’y dormir, et y repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l’employeur et dans l’impossibilité de pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 3121-1 du code du travail :
4. Aux termes de ce texte, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
5. Pour condamner l’employeur au paiement d’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, l’arrêt, après avoir relevé qu’il n’était pas contesté qu’une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d’hôtel pris en charge par l’employeur, retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l’organisation du travail selon des plannings d’interventions déterminés par l’employeur qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à sa disposition.
6. En se déterminant ainsi, alors qu’elle constatait que le salarié ne visitait qu’une concession par jour et sans vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l’hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l’hôtel afin d’y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
(…)
PAR CES MOTIFS, (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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