A l’heure où le Législateur est bientôt à nouveau invité par l’Union européenne, à enrichir la règlementation sociale applicable aux travailleurs des plateformes, la Cour de cassation confirme dans ce secteur sa jurisprudence relative à la reconnaissance d’un contrat de travail salarié. Après la Chambre criminelle en effet, la Chambre sociale rappelle de façon sévère la nécessité de démontrer concrètement le lien de subordination, dans l’exécution de la prestation effectuée au profit du donneur d’ordre.
Ainsi dans l’arrêt signalé ci-dessous, le cadre contractuel unissant le chauffeur de VTC à la plateforme de mise en relation avec la clientèle était particulièrement strict, et permettait un contrôle des déplacements et des modalités de prise en charge des passagers. Cela ne suffit pourtant pas, selon la Cour de cassation, à établir l’inclusion du chauffeur dans un service organisé, indice d’un contrat de prestation de service subordonnée : il est en effet nécessaire d’établir que la plateforme exerçait réellement le pouvoir de direction, et notamment adressait de fait ses directives, les contrôlait et en sanctionnait l’inexécution.
Or il faut remarquer que les faits remontaient à une période antérieure à 2016, soit concomitamment aux pratiques ayant valu à la société UBER la requalification de ses relations avec les chauffeurs de VTC, en contrat de travail. Il convient donc désormais de souligner la force opérée par la présomption légale de prestation indépendante, que le Juge confirme régulièrement.
COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 13 AVRIL 2022 (pourvoi n° 20-14.870, publié au Bulletin)
(…)
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2020), M. [T] a signé le 31 juillet 2015 avec la société Voxtur un contrat de
location longue durée d’un véhicule, ainsi qu’un contrat d’adhésion au système informatisé développé par cette
société sous le nom de « Le Cab ».
(…)
Enoncé du moyen
5. La société [Y] Yang-Ting, ès-qualités, fait grief à l’arrêt de requalifier la relation contractuelle en contrat de travail, et de condamner la société Voxtur à verser à M. [T] des sommes à titre de dommages-intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour procédure irrégulière, d’indemnité
compensatrice de congés payés, d’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de
dommages-intérêts pour travail dissimulé et au titre des frais d’essence, alors :
« 1°/ qu’il résulte de l’article L. 8221-6 du code du travail que la présomption de non-salariat pour l’exécution d’une
activité donnant lieu à une immatriculation au répertoire des métiers n’est écartée que lorsqu’il est établi que la
personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui la placent dans un
lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ; que le lien de subordination est caractérisé par
l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service
organisé ne peut constituer un indice du lien de subordination que lorsque l’employeur détermine
unilatéralement les conditions d’exécution du travail ; que l’existence d’un service organisé ne saurait dès lors
constituer un indice d’un lien de subordination juridique entre une plateforme de mise en relation avec une
clientèle et un chauffeur VTC lorsque, d’une part, le chauffeur n’a aucune obligation d’utiliser l’application et reste
libre de choisir ses jours et heures d’activité, que, d’autre part, le chauffeur peut se déconnecter quand il le
souhaite, que, de troisième part, le chauffeur est libre d’effectuer des courses pour son propre compte ou pour le
compte de toute autre personne physique ou morale, que, de quatrième part, l’organisation des courses
attribuées par la plateforme relève du libre choix du chauffeur sauf à requérir une indication de la part du client
et, enfin, que chauffeur peut sous-traiter les courses à d’autres personnes sous réserve de justifier que ces
dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ;
qu’en se bornant à énoncer, pour requalifier le contrat entre la société Voxtur et le chauffeur en contrat de travail,
que le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d’un service organisé, sans établir la détermination
unilatérale par des conditions d’exécution du travail par la société Voxtur, la cour d’appel a privé sa décision de
base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
2°/ que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la
dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée
l’activité professionnelle ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité
d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de
sanctionner les manquements de son subordonné ; que le seul fait pour une plateforme de mise en relation entre
une clientèle et un chauffeur VTC de définir, dans le contrat le liant au chauffeur, le type de véhicule et de
déterminer unilatéralement le prix des prestations de transport réalisées par son intermédiaire, ne saurait
caractériser un lien de subordination juridique dès lors que le chauffeur reste libre d’utiliser ou non les services de
la plateforme et de choisir ses jours et heures d’activité, qu’il peut se déconnecter quand il le souhaite et peut
effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale,
qu’il est totalement libre d’organiser comme il l’entend les courses qu’il effectue par l’intermédiaire de la
plateforme et que chauffeur peut sous-traiter des courses à d’autres personnes sous réserve de justifier que ces
dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ;
qu’au cas présent, le contrat d’adhésion au système informatisé stipulait que »le prestataire adhérent est libre de
décider de ses jours et heures d’activité et de ses jours de repos », que »les courses sont attribuées,
automatiquement au(x) prestataire(s) adhérent(s) connecté(s), qui affiche(nt) sur son(leur) matériel embarqué le
statut en attente de course » et »la connexion peut être interrompue, par le prestataire adhérent qui se met alors
en pause » ; que le contrat précisait également que »l’organisation de la course (itinéraire) est laissée au libre choix
du prestataire adhérent, sauf pour lui à requérir, à ce sujet, une indication de la/des personne(s) transportée(s) » ;
que le contrat stipulait encore qu’ »un prestataire adhérent, entre deux connexions, peut librement réaliser des
courses, pour son compte et/ou pour le compte de toute personne physique ou morale, quel que soit le statut de
celui-ci (celle-ci) » ; que le contrat précisait, enfin, que le chauffeur pourra sous-traiter les courses affectées par
l’application sous réserve d’en informer la société Voxtur et que le sous-traitant utilisant le véhicule et l’application
remplisse les conditions pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu’en jugeant néanmoins que le chauffeur
réalisait des prestations dans un lien de subordination constant à l’égard de la société Voxtur, sans caractériser
une quelconque obligation pour le chauffeur de se tenir à la disposition de la plateforme pour effectuer des
courses, ni le moindre ordre ou la moindre directive reçus par la chauffeur relativement aux modalités de
réalisation des courses effectuées par l’intermédiaire de la plateforme, la cour d’appel a privé sa décision de base
légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
3°/ que le système de géolocalisation inhérent au fonctionnement d’une plateforme numérique de mise en
relation de chauffeurs VTC avec des clients potentiels ne caractérise pas un lien de subordination juridique des
chauffeurs à l’égard de la plateforme dès lors que ce système n’a pas pour objet de contrôler l’activité des
chauffeur, et n’est utilisé que pour contacter le chauffeur connecté le mieux situé pour répondre à la demande du
client ; qu’au cas présent, il résulte des constatations de la cour d’appel que, selon les termes du contrat,
l’installation mise à la disposition du chauffeur permet à la société Voxtur »de localiser, en temps réel, chaque
véhicule connecté, de manière à procéder à un dispatche optimisé et efficace des courses, en termes de temps de
prise en charge de la(les) personne(s) à transporter et de trajet à effectuer, pour le(les) chauffeurs, pour assurer
cette prise en charge » ; qu’il résulte de ces constatations que le GPS ne permet de localiser le chauffeur que
lorsqu’il est connecté à l’application et a pour objet de permettre l’attribution au chauffeur le plus proche du client
; qu’en énonçant que le GPS permet à la société Voxtur »d’assurer ainsi un contrôle permanent de l’activité du
chauffeur », la cour d’appel a méconnu les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations et a
violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
7°/ qu’il résulte des constatations de l’arrêt attaqué que, si le type de véhicule utilisé était stipulé par le contrat
d’adhésion au système informatique, ce contrat prévoyait expressément que la location du véhicule auprès de la
société Voxtur était une simple faculté pour le chauffeur qui avait la possibilité d’être propriétaire de son véhicule
ou de le louer auprès d’une autre société ; qu’en se bornant à invoquer l’ »interdépendance des contrats de
location de véhicule et d’adhésion à la plateforme », sans exposer en quoi cette interdépendance permettrait de
caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au
regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
8°/ que l’exécution d’un contrat de partenariat portant sur l’utilisation par un chauffeur VTC d’une application
électronique de mise en relation avec des clients implique une possibilité pour la plateforme, qui est un
intermédiaire de transport soumis aux dispositions du code des transports de s’assurer de la qualité de la
prestation de transport effectuée par son intermédiaire ; que ne caractérise pas un pouvoir disciplinaire, la
possibilité pour une plateforme numérique de rompre unilatéralement le contrat motivée par les seules
évaluations de la clientèle en l’absence de tout ordre ou directive donnés et de tout contrôle opéré par la
plateforme sur l’exécution des courses ; qu’en prétendant que la société Voxtur disposait d’un pouvoir de sanction
à travers le système de notations opérées par les clients, la cour d’appel, qui n’a, par ailleurs, caractérisé aucun
ordre, ni aucune directive donnés par la plateforme relativement aux prestations effectuées, ni aucun contrôle
opéré par cette dernière sur ces prestations, a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble
l’article L. 3120-3 du code des transports, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 8221-6 du code du travail :
6. Il résulte de ce texte que les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation
aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de
travail. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des
prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du
donneur d’ordre.
7. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le
pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de
son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque
l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
8. Pour dire que M. [T] et la société Voxtur ont été liés par un contrat de travail, l’arrêt retient que le chauffeur
n’avait pas le libre choix de son véhicule, qu’il y avait interdépendance entre les contrats de location et d’adhésion
à la plateforme, que le GPS permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de
manière à procéder à une répartition optimisée et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de
la personne à transporter et de trajet à effectuer, et d’assurer ainsi un contrôle permanent de l’activité du
chauffeur, que la société fixait le montant des courses qu’elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, et
qu’elle modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires.
9. L’arrêt ajoute que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, à travers le système de
notation par les personnes transportées prévu à l’article 3 de son contrat d’adhésion.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l’exercice d’un travail au sein d’un service
organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la société Voxtur, sans constater que celle-ci avait
adressé à M. [T] des directives sur les modalités d’exécution du travail, qu’elle disposait du pouvoir d’en contrôler
le respect et d’en sanctionner l’inobservation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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