Le transfert des contrats de travail en cours est automatique lorsque survient le transfert de l’entreprise, notamment en cas de cession du fonds ; c’est ce qu’impose l’article L.1224-1 du Code du travail, d’ordre public absolu. Mais ce transfert ne concerne pas, en principe, le statut collectif applicable à l’entreprise cédée : ainsi les accords d’entreprise sont-il par exemple « mis en cause », ce qui déclenche des conséquences similaires à leur dénonciation.

S’agissant des institutions représentatives du personnel, les mandats sont en principe interrompus par le transfert du contrat de travail autorisé par l’Inspecteur du travail, sauf si le fonds conserve son autonomie. L’arrêt ici éclairé illustre une hypothèse en négatif : l’absence légitime de tout représentant du personnel est-elle opposable par le nouvel employeur ?

La situation d’espèce est la suivante : un procès-verbal de carence a été dressé par l’employeur en 2012, ce qui exonère l’entreprise de toute représentation interne pendant 4 ans, soit jusqu’en 2016. Ladite entreprise est cédée en 2013, et le nouvel effectif dépasse alors 11 salariés équivalent-temps-plein.

En 2014, et plus d’un an après le transfert ayant généré un tel effectif, les élections professionnelles n’ont pas été organisées. Or un salarié est déclaré inapte physiquement par le médecin du travail, avec recommandation de reclassement ; l’employeur doit en principe consulter les délégués du personnel (aujourd’hui le CSE) quant aux recherches de reclassement opérées.

Mais le nouvel employeur fait état du procès-verbal de carence dressé par le précédent, pour s’exonérer de toute élection avant 2016, puisqu’aucun salarié ni organisation syndicale n’ont demandé expressément enter temps l’organisation de telles élections. Le salarié conteste quant à lui la légitimité de son licenciement intervenu sans consultation des représentants élus, alors que l’effectif minimum pour l’organisation des élections a été dépassé pendant plus de 12 mois au jour de la rupture.

La Cour de cassation rejette cette contestation salariale. Le nouvel employeur peut opposer le procès-verbal de carence, puisque l’entreprise a été transférée en l’état et a conservé son autonomie après le transfert.

 

Cour de cassation, chambre sociale, 6 mars 2019 (pourvoi n° 17-28.478, publié au bulletin)
(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bourges, 3 juin 2016), que M. P… a été engagé, le 22 avril 2003, en qualité de menuisier poseur, par la société Bernet, laquelle a, le 20 mai 2013, été cédée à la société Altéa Confort, qui a repris l’ensemble des contrats de travail ; que le salarié, placé en arrêt maladie à compter du 4 juin 2013 et déclaré inapte à son poste à l’issue de la seconde visite médicale de reprise du 24 septembre 2014, a été licencié, le 23 octobre 2014, pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement ; que la société Z… W… a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société Altéa Confort ;

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de dire que la société Altéa Confort a parfaitement et honnêtement respecté la loi, tant sur la consultation des élus que sur la recherche de reclassement et, en conséquence, de le débouter de ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ qu’après modification dans la situation juridique de l’employeur, emportant transfert des contrats de travail, le nouvel employeur, dont l’effectif a atteint le seuil de onze salariés justifiant l’obligation de mettre en place des délégués du personnel, qui licencie un salarié pour inaptitude, est tenu de solliciter l’avis préalable des délégués du personnel, au besoin en les nommant, sans pouvoir légalement se prévaloir du procès-verbal de carence établi par l’ancien employeur, faute pour lui d’avoir pu mettre en place des délégués du personnel ; qu’en énonçant, pour dire que la société Altéa Confort n’avait pas à consulter les délégués du personnel avant son licenciement pour inaptitude, que par l’effet de la cession le nouvel employeur, qui n’était pas tenu d’organiser de nouvelles élections ni à plus d’obligations que le précédent employeur, pouvait se prévaloir du procès-verbal de carence formalisé par ce dernier, la cour d’appel a violé les articles L. 1226-10, L. 2312-1 et L. 2312-2 et L. 2314-28 du code du travail, dans leur version applicable à la cause ;

2°/ qu’en tout état de cause, le mandat des délégués du personnel de l’entreprise qui a fait l’objet de la modification ne subsiste que lorsque cette entreprise conserve son autonomie ; qu’en se bornant à énoncer, pour dire que la société Altéa Confort n’avait pas à consulter les délégués du personnel avant son licenciement pour inaptitude, que par l’effet de la cession ce nouvel employeur pouvait se prévaloir du procès-verbal de carence formalisé par le précédent employeur, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si ce dernier avait conservé son autonomie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 2314-28 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, d’une part que le fonds de la société Bernet Diffusion avait été cédé en sa totalité et était devenu la société Altea Facilities en raison de contraintes de financement puis avait pris la dénomination Altéa Confort, faisant ainsi ressortir que l’entité transférée en application de l’article L. 1224-1 du code du travail avait conservé son autonomie, et d’autre part que la consultation pour avis prévue par l’article L. 1226-10 du code du travail n’avait pu être diligentée par l’employeur, en l’absence de délégués du personnel au sein de la société Altéa Confort, dûment constatée selon procès-verbal de carence en date du 21 décembre 2012 établi par la société Bernet Diffusion à l’issue du second tour de scrutin et valable jusqu’au 21 décembre 2016 en l’absence de demande d’organisation d’élections professionnelles formée par un salarié ou une organisation syndicale, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE (…)