Le licenciement d’un représentant du personnel ne peut intervenir que sur autorisation expresse de l’Inspecteur du travail : à défaut il encourt la nullité, le salarié percevant une indemnité spéciale en raison de l’éviction illicite qu’il a subie, et ce qu’il demande ou pas sa réintégration. Or l’autorisation de licencier peut être contestée, notamment devant le Juge administratif : si elle est annulée, le Juge prud’homal est compétent pour prononcer la nullité du licenciement.

En revanche celui-ci ne peut revenir sur la légitimité ou la régularité du licenciement, pour la phase antérieure à la décision administrative : cette dernière s’impose au Juge civil, qui ne peut statuer sur un tel acte administratif. En revanche il reste compétent pour contacter l’existence d’un harcèlement, ou d’une discrimination abusive, commis au cours de l’exécution du contrat de travail : il condamnera alors l’employeur à indemniser le salarié sur ce chef.

Mais il ne pourra remettre en cause la rupture, même s’il estime qu’elle s’inscrit dans le cadre desdits harcèlement ou discrimination. C’est ce que rappelle la Cour de cassation, dans l’arrêt ci-dessous reproduit dans sa motivation principale.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 17 janvier 2024 (pourvoi n° 22-20.778, publié au Bulletin)

La société Gefco France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-20.778 contre l’arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d’appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l’opposant à M. [U] [V], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), engagé en qualité d’attaché commercial le 3 novembre 2000 par la société Gefco France (la société), M. [V] exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable développement marché, statut cadre. Après avoir été élu membre suppléant du comité d’entreprise en mars 2013, il a été désigné représentant de section syndicale le 20 avril 2016, puis à nouveau le 28 mars 2017.

2. Après autorisation de l’inspecteur du travail du 15 février 2018, le salarié a été licencié pour motif économique par lettre du 20 février 2018.

3. Soutenant notamment avoir subi une discrimination syndicale, le salarié a saisi, le 14 novembre 2019, la juridiction prud’homale de diverses demandes en paiement au titre de la discrimination et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4. En cause d’appel il a sollicité la nullité de son licenciement et une indemnité à ce titre.

(…)
6. La société fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale, alors « que l’autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n’a eu, ni pour objet, ni pour effet de faire échec au mandat représentatif ; que le juge judiciaire ne peut donc, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler un licenciement aux motifs d’une discrimination syndicale ; qu’en disant que le licenciement de M. [V] était entaché d’une cause de nullité en ce qu’il avait été prononcé dans le contexte d’une discrimination syndicale, cependant que le licenciement avait été précédé d’une autorisation administrative de licencier délivrée le 15 février 2018 et devenue définitive, retenant expressément  »l’absence de lien entre la demande d’autorisation de licenciement et le mandat exercé par le salarié », et sans constater que ladite autorisation était manifestement illégale, la cour d’appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

7. Si le juge judiciaire ne peut, en l’état de l’autorisation administrative accordée à l’employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l’employeur pendant la période antérieure au licenciement et notamment l’existence d’une discrimination syndicale dans le déroulement de la carrière du salarié.

8. Ayant retenu que le salarié présentait des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale et que l’employeur ne démontrait pas que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d’appel, qui a indemnisé le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale subie par l’intéressé, n’encourt pas le grief du moyen.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu’il fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement est nul et de condamner la société à payer au salarié une indemnité à ce titre

Enoncé du moyen

9. La société fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement est nul et de la condamner à payer au salarié une indemnité à ce titre, alors « que l’autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n’a eu, ni pour objet, ni pour effet de faire échec au mandat représentatif ; que le juge judiciaire ne peut donc, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler un licenciement aux motifs d’une discrimination syndicale ; qu’en disant que le licenciement de M. [V] était entaché d’une cause de nullité en ce qu’il avait été prononcé dans le contexte d’une discrimination syndicale, cependant que le licenciement avait été précédé d’une autorisation administrative de licencier délivrée le 15 février 2018 et devenue définitive, retenant expressément  »l’absence de lien entre la demande d’autorisation de licenciement et le mandat exercé par le salarié », et sans constater que ladite autorisation était manifestement illégale, la cour d’appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

10. Dans le cas où l’employeur sollicite l’autorisation de licencier le salarié, il appartient à l’administration de vérifier si la mesure de licenciement envisagée n’est pas en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l’intéressé. Par conséquent, l’autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n’a eu ni pour objet ni pour effet de faire échec au mandat représentatif.

11. Il en résulte que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler le licenciement pour motif économique du salarié sur le fondement d’une discrimination syndicale subie par ce dernier.

12. Pour dire le licenciement nul et condamner l’employeur au paiement d’une indemnité à ce titre, l’arrêt retient que la discrimination invoquée par le salarié est établie et que le licenciement intervenu dans le contexte de la discrimination syndicale est nul.

13. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que, par décision du 15 février 2018, l’inspecteur du travail avait autorisé le licenciement pour motif économique du salarié, la cour d’appel a violé le principe et les textes susvisés.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)